Elle ne veut donner ni son nom, ni son âge, ni la ville où elle réside, ni sa profession. Alors, nous la prénommerons Louise. Louise souhaite rester anonyme car elle a peur, encore aujourd'hui, en 2019, d'être à nouveau visée par la Ligue du LOL. Ce groupe d'une trentaine de journalistes et communicants influents, principalement des hommes, qui ont cyber-harcelé de nombreux utilisateurs de Twitter au début des années 2010. Un secret de polichinelle confirmé, témoignages à l'appui, par Libération, le 8 février. Depuis, les enquêtes se multiplient, les victimes s'expriment, et l'affaire a même été reprise par CNN et le New York Times. Certains harceleurs se sont excusés, et ils ont été plusieurs à être mis à pied par leur employeur, le temps qu'une enquête soit réalisée. 

Rien que de revoir leurs pseudonymes et avatars, ça me fout des palpitations.

Vidéo du jour

"Frédéric*, mon compagnon, m'a dit vendredi soir : 'La Ligue du LOL est tombée'. Sur le moment, je n'ai pas trop réagi, car je ne connaissais pas ce terme. Puis il m'a donné des noms, et là, j'ai compris. Je suis allée sur ma timeline, et j'ai lu les enquêtes, relate Louise. Rien que de revoir leurs pseudonymes et avatars, ça me fout des palpitations."

Traitée de "pute"

Fébrile, Louise retrace les contours de cette sombre période où elle a été en contact avec la Ligue du LOL, jusqu'à être harcelée à son tour, entre 2009 et 2010. Selon elle, ces hommes l'ont d'abord suivie sur Twitter parce qu'elle faisait des "blagues graveleuses" après avoir été "salement larguée", et parlait librement de ses dates, de sa sexualité : "C'était assez paradoxal, car tu étais intéressante quand tu tweetais des choses comme ça, mais on te voyait en même temps comme une pute". 

Alors Louise se met à douter : "En tant que nana libérée, je me suis dit que j'avais peut-être un problème de tweeter mes rencontres sur Adopte un mec."

Malgré les remarques, elle entretient des relations cordiales avec certains membres de la Ligue, qu'elle croise parfois à des Twapéros, des apéros entre Twittos et blogueurs. "Ce n'était pas forcément des potes, mais je n'avais pas d'animosité envers eux, en tout cas, détaille Louise. Je n'étais pas une cible à ce moment-là, donc je ne me rendais pas compte de la violence de ce qu'ils faisaient." Louise se souvient notamment de soirées où la blogueuse Capucine Piot, l'une des cibles privilégiées de la Ligue, était invitée. "Ils la prenaient en photo puis la mettaient sur Twitter", raconte-t-elle. 

@jesuisunblog m'a saisi les seins pour me dire bonjour

Pourtant, les comportements déplacés ne tardent pas à surgir. "Un soir, je me rends à une soirée de blogueurs organisée à la Tour Eiffel, où il fallait s'inscrire. @jesuisunblog [R.L-A de son vrai nom, récemment mis à pied par son employeur, Publicis, ndr], m'a saisi les seins pour me dire bonjour, relate Louise. Je suis restée bouche-bée tellement c'était inconvenant." Elle prend ses distances, mais continue à le suivre sur Twitter, par "peur des représailles". "Les gens avaient vraiment peur de ce qu'ils pouvaient déterrer, de trouver nos noms, l'endroit où on travaillait", insiste Louise. 

Harcèlement quotidien

Le harcèlement s'empire lorsque Louise rencontre Frédéric, le père de son enfant, avec qui elle est toujours en couple. "À partir du moment où ça a été sérieux entre nous, et que je suis devenue un peu gnan-gnan, j'ai commencé à être insultée. Quand je tweetais un truc mignon, on me répondait que j'étais une pute." C'était début 2010. "Avec Frédéric, on se levait le matin en se demandant ce qu'ils avaient pu inventer la veille."

On retournait sur leurs comptes environ toutes les deux semaines pour vérifier ce qu'ils disaient, parce que ça nous angoissait.

Pour le couple, cela devient une inquiétude quotidienne. "Si un tweet arrivait à 16 heures, j'envoyais un texto à mon mec et on passait des soirées entières à essayer de trouver quoi répondre pour qu'ils arrêtent. Mais ça n'a jamais marché." Au bout d'un peu moins d'un an, Louise et Frédéric décident de bloquer ceux qui les harcèlent. "On retournait sur leurs comptes environ toutes les deux semaines pour vérifier ce qu'ils disaient, parce que ça nous angoissait."

Avant de fréquenter Frédéric, Louise avait envoyé une photo d'elle, "un peu lascive", à l'un des membres de la Ligue, avec lequel elle flirtait. "J'ai continué à le suivre, de peur qu'il s'attaque à nous ou sorte la photo, et j'ai bien fermé ma gueule. Lui ne se moquait pas de nous, mais il était bien violent avec beaucoup d'autres personnes." À ce jour, Louise a encore peur que la photo refasse surface. 

Attaques violentes

Parmi ceux qui s'en prennent à elle à l'époque, Louise désigne notamment un autre internaute, développeur à la mairie de Paris. Il lui tweete un jour, en 2010 : "Je rêve de voir ton visage explosé sur un trottoir." Celui-ci a fermé son compte Twitter cette semaine.

Je rêve de voir ton visage explosé sur un trottoir.

À ce jour, Louise ne parvient plus à se rappeler du contexte, elle a enfoui ce souvenir choquant dans un recoin de sa mémoire. "Je l'ai bloqué sans lui répondre." Le 14 février, on a appris dans Le Parisien que lui, et un autre Twittos aussi employé par la mairie de Paris, auront un entretien avec la directrice de leur service d'ici une dizaine de jours. 

Louise accuse aussi Stephen D.A., qui a aussi fermé son compte Twitter dans la foulée des révélations de Libération, et Sylvain P.. Ce communicant freelance faisait partie du podcast Studio 404, qui a été arrêté après la découverte de son implication dans la Ligue du LOL. Il dit l'avoir quittée il y a deux ans pour divergences et parce qu'ils ne supportaient plus les "obsessions" de certains membres du groupe. 

En 2010, un faux compte voulant usurper l'identité de Louise apparaît : "Ce compte me ressemblait vraiment, avec des photos, des vidéos, des montages de ma tête." Elle signale le compte à ses abonnés, et il est rapidement désactivé. Mais elle ne prévient pas Twitter. À l'époque, ce réflexe n'existe pas, n'est pas encouragé par la plateforme.

Des comptes anonymes gérés à plusieurs

Car la Ligue du LOL, en plus des comptes personnels des uns et des autres, aurait aussi recours à des comptes Twitter anonymes, gérés à plusieurs, pour harceler. Louise cite @foutlamerde, qui s'est notamment moqué de ses tweets où elle parle de son compagnon, et de son physique. Pis encore, le compte prétend tweeter une sextape de Louise, en partageant une vidéo porno d'une femme lui ressemblant vaguement. Le 13 février, Vincent G. a reconnu auprès de 20 Minutes avoir fait partie des "6 à 7 personnes" qui avaient accès à @foutlamerde. Le compte n'est plus actif depuis 2012, mais n'a pas été supprimé.

Lors de notre deuxième appel, un deuxième compte revient à la mémoire de Louise : @Tweet_clash, surtout actif en 2009 et 2010. À l'époque, il sert à relayer les disputes entre Twittos, comme un fil AFP du clash. Si Louise n'est pas sûre que des gens de la Ligue du LOL en soient à l'origine, elle relève que des médias et journalistes y étaient abonnés, et le sont encore, même si rien n'y a été posté depuis 2014. 

Après vérification, on constate que le compte était en effet suivi par de nombreux journalistes, dont certains de premier plan, ainsi que par des comptes officiels de médias (Télérama, Slate, Topito, SnatchMag, Le Tag Parfait). À première vue, il servait à relayer des "clashs" qui semblent assez innocents pour certains, mais il moquait, aussi, des victimes présumées de La Ligue du LOL, comme Capucine Piot, Daria Marx et Nora Bouazzouni. On retrouve aussi beaucoup le nom de Florence Desruol, communicante alors proche de l'UMP, très fréquemment prise à partie par la bande de Vincent G. à l'époque. 

Le nom de ce dernier, ainsi que ceux d'Alexandre H., Henry M. et Christophe C., sont très souvent mentionnés par @Tweet_clash, de manière sympathique. Un tweet du 20 janvier 2010 révèle que le compte était géré par plusieurs personnes, mais on ignore leur identité.

Pour Louise, ce compte est une preuve que le milieu journalistique était au courant d'au moins certaines campagnes de harcèlement, ou en tout cas, cautionnait une culture du clash pouvant virer au harcèlement. "Quand les médias disent qu'ils n'étaient pas au courant de ce qui se passait, je n'y crois pas."

Un impact sur le long terme

Louise a changé de vie, s'est éloignée de Twitter. Mais la mise à jour des pratiques de la Ligue du LOL a remonté des souvenirs difficiles, et lui a fait prendre conscience qu'elle avait occulté une partie du harcèlement qu'elle avait subi. "Clairement, ça a eu un impact, même sur ma sexualité. Ça peut arriver que mon mec me propose quelque chose, et une petite voix dans ma tête me dit 'C'est un truc de pute.' Comme j'ai été moquée à une période où j'étais libérée, j'ai fini par l'intégrer complètement. Je pense que je viens de le réaliser en en parlant."

Je me suis dit : 'Ils ont raison, je suis grosse, je suis moche'.

Le harcèlement de la Ligue du LOL a aussi empiré son estime d'elle-même : "Quand ils ont posté cette sextape d'une femme grosse, je me suis dit : 'Ils ont raison, je suis grosse, je suis moche'."

"J'ai fini par avoir super peur d'eux, explique Louise. et le pire, c'est que je n'avais aucun poids sur eux. Je me disais que je ne pouvais rien faire. Je n'avais aucune prise."   

La pression du clash

Louise évoque une vraie pression à devoir être au courant des "clashs". C'est en janvier 2009 qu'elle commence à utiliser activement Twitter, un an après avoir créé son compte."Il n'y avait pas grand monde à l'époque, explique-t-elle. On ne savait pas qui suivre." Les membres de la Ligue du LOL sont parmi les premiers Twittos à se démarquer en France. Actifs, bavards. Très vite, la pression de suivre au plus près ce qui se trame apparaît. "Chaque matin je scrollais ma timeline, pour être sûre de ne rien louper", dit Louise.

"Au début, ils clashaient surtout des jeunes blogueuses. Dans mon souvenir, c'était encore assez bon enfant." Au fil de nos deux appels, Louise se souvient d'anecdotes précises, montrant l'ambiance malsaine, celle du clash à outrance, qui régnait sur le Twitter parisien. Et des proportions énormes que cela pouvait prendre, sans que les utilisateurs hors de ce cercle médiatique, se rendent forcément compte qu'ils prenaient part à des campagnes de moqueries contre des personnes en particulier.

"Certaines phrases devenaient des mèmes, et les gens les réutilisaient sans savoir d'où elles venaient. Cela a été le cas avec une jeune Twitto qui avait live-tweeté son accouchement. Quelques temps après, son mec l'avait quittée, et elle avait tweeté, à cause d'une erreur du correcteur automatique : 'J'ai environ de mourir'. Tout le monde s'est mis à reprendre cette phrase, rappelle Louise. Si on cherche aujourd'hui sur Twitter, on peut encore la retrouver, mais les gens n'ont sûrement aucune idée d'où ça vient." Quelques années plus tard, Louise a re-croisé cette jeune femme, qui lui raconte avoir subi du harcèlement sur Twitter. Louise comprend alors qu'elle fait référence à cette période, et lui a présenté ses excuses, car elle s'en était elle-même amusée à l'époque.  

On ne peut pas prendre l'excuse qu'on était jeunes et cons.

"L'état d'esprit de Twitter était très violent les trois quarts du temps à l'époque, regrette Louise. On ne peut pas prendre l'excuse qu'on était jeunes et cons. Si les gens prenaient mal ce qu'on leur disait sur Internet, ça voulait dire qu'ils étaient trop sensibles. On faisait la différence entre ce qui se passait sur Internet et dans la vraie vie, jusqu'à ce qu'on se retrouve soi-même visé, et qu'on se rende compte que c'était invivable, que ça fait aussi mal qu'une insulte lancée en face."

Devenir maman a permis à Louise de prendre du recul : "Je ne veux pas que mon enfant fasse ça un jour."

*Le prénom a été modifié pour garantir l'anonymat.