Des nus exposés à Abu Dhabi

Au Louvre Abu Dhabi en novembre 2017
Au Louvre Abu Dhabi en novembre 2017
Des nus à Abu Dhabi
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Des nus exposés à Abu Dhabi

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Dans le désert musulman d'Abu Dhabi s’exposent aujourd’hui des femmes nues. Quatre principales raisons l'expliquent, qui reviennent sur la raison d'être du Louvre Abu Dhabi, et sur la représentation des corps dans la religion musulmane.

Dans l'émirat arabe d'Abu Dhabi, la charia est appliquée rigoureusement, et la censure masque de noir les parties du corps dénudées dans les magazines ou sur les prospectus présents dans les aéroports. Pourtant, à l’intérieur de l’enceinte du musée rêvé par Jean Nouvel inauguré en novembre 2017, des tableaux de nus sont exposés. Comment l’expliquer ?

50 min

1- Parce qu'il s'agit du premier musée universel du monde arabe

Dès la conception de ce nouveau musée, toutes les cultures du monde doivent y cohabiter, sans censure. En 2007, Abu Dhabi et la France veulent un musée qui montre la totalité de l’art depuis les origines et sur les cinq continents. 

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“Les premières acquisitions montrent bien qu’il n’y a pas de tabou, que ni la nudité, ni les sujets religieux ne sont prohibés.”
Henri Loyrette, alors président du Louvre Paris
Le Monde, 5 novembre 2009  

Pour M. Khalifa al-Moubarak, secrétaire général de l'Autorité du tourisme et de la culture d'Abou Dhabi (AFP, 2017) : “Le public pourra voir comment nous sommes tous liés. Il s'agit d'un vrai musée universel.”

Pour Jean-Luc Martinez, président du Louvre Paris (AFP, 2017) : “Ce musée est fait pour s’ouvrir aux autres, pour comprendre la diversité.”

La politique d’acquisition des œuvres se fait avec les Emiratis précautionneusement, à vote secret. Elle permet notamment d’acheter plusieurs représentations de corps dénudés présentés lors de l’exposition d’ouverture. 

2. Parce que c'est une vitrine de l’ouverture d’Abu Dhabi

Les Emirats veulent renvoyer un reflet culturel qui convient aux occidentaux. C’est ce que montre le politologue Alexandre Kazerouni dans ses recherches sur les musées dans les principautés du Golfe persique. Il l'expliquait sur France Musique en novembre 2017 : 

“Les conservateurs français ont pu acheter des nus. Ils ont pu acheter un Christ crucifié bavarois alors qu’en islam, le Christ n’est pas crucifié. Il y a aussi des sculptures de Bouddha, et la famille régnante a poussé pour qu’il y ait des achats massifs autant que faire se peut, de judaicas_,_ pour justement prendre le contre-pied de ce qu’on pense être des problèmes dans le monde musulman. Si le monde de la culture intéresse tant la famille régnante d’Abu Dhabi, mais aussi celle du Qatar, c’est parce que d’abord, la France est une puissance militaire qui a la bombe atomique et un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Et par ailleurs, la France est une démocratie. Donc il faut avoir de son côté des sociétés d’armement et pétrolières, mais aussi ce qui façonne l’opinion publique.”

3- Parce que ce musée est destiné à une élite

La Louvre Abu Dhabi s’est conçu avec peu de collaboration des nationaux, de la classe moyenne, des chercheurs et conservateurs locaux majoritairement contestataires. Ce n’est pas tant un musée du peuple, qu’un instrument de la famille régnante destiné à une élite locale et touristique qui a pour vocation de rayonner à l’international. 

4- Parce que la représentation des corps et de la nudité, dans l’islam, n’a pas toujours posé problème

Depuis l’origine de l’islam au VIIe siècle, la représentation figurative a bien été distinguée de l'idolâtrie par les théologiens, juristes ou artistes musulmans. La représentation des êtres vivants n’a jamais fait l’objet d’une prohibition intégrale dans l’histoire de l’islam.

Christiane Gruber, professeur d'art islamique, lors d'une conférence donnée au Louvre, en février 2018 : 

“Dans la période omeyyade, entre 650 et 750, les membres de la famille royale firent créer de somptueuses décorations dans leurs palais. Dans le palais de Khirbat al-Mafjar par exemple, les pendentifs, un système de voûtes, étaient couverts de reliefs de stuc représentants des animaux, des raisins, des vignes et des femmes nues, qui étaient peut-être des symboles de fertilité et d’abondance. Cet usage des représentations humaines dans des espaces privés distincts des espaces de prière n’étaient pas interdits par le Coran et n’étaient pas un sujet de contestation au début de l’islam."

Dans les mots du Coran, ce n’est pas la représentation des corps qui est interdite mais l’adoration des idoles.