Interview

«La culture du secret a toujours été pratiquée dans l’Eglise»

Le spécialiste du Vatican Marco Politi explique que le déni des autorités catholiques sur toutes les questions touchant à la sexualité est en train de s’estomper.
par Eric Jozsef, correspondant à Rome
publié le 17 février 2019 à 20h56

Vaticaniste depuis plus de quarante ans, auteur de nombreux livres dont Io, prete gay («moi, prêtre gay») en 2006 et François parmi les loups en 2014, Marco Politi analyse les scandales d'abus sexuels et revient sur les révélations du livre Sodoma sur la présence de nombreux homosexuels au sommet du Saint-Siège.

Les homosexuels sont-ils majoritaires au Vatican et dans l’Eglise catholique, comme l’atteste le livre Sodoma ?

La présence d’homosexuels dans l’Eglise est sans aucun doute très diffuse et le livre de Frédéric Martel qui a mené un travail approfondi est utile pour faire la lumière sur cette réalité. Il a parfaitement raison quand il réfute l’idée d’un lobby gay à proprement parler. Au Vatican, il y a plutôt des clans qui se soutiennent mutuellement.

Le phénomène des abus sexuels ou la présence de prélats homosexuels n’est pas nouveau, ce qui l’est c’est qu’on en parle. Les temps ont changé. Il y a encore quelques années il aurait été par exemple impensable que le nonce apostolique en France soit visé par une enquête pour «agressions sexuelles».

La culture du secret concernant la sexualité de certains prêtres, au bout du compte aurait aussi favorisé la couverture d’abus, notamment sexuels ?

Dans l’Eglise, la culture du secret a toujours été pratiquée mais pas seulement sur l’homosexualité. Egalement sur les prêtres ayant des relations hétérosexuelles, sur les abus sexuels et sur les scandales financiers.

Peut-on parler d’hypocrisie de l’Eglise sur les questions sexuelles et notamment de la part des prêtres gays ?

On peut dire qu’il y a une forte schizophrénie de certains prêtres qui vivent une existence homosexuelle et qui prennent des positions radicales et homophobes. En réalité, le discours de l’Eglise sur la sexualité a évolué, notamment dans le confessionnal. Il n’y a plus qu’une minorité de prêtres qui se prononcent contre les divorcés ou les homosexuels. Nous ne sommes plus dans les années 70. Mais l’élément central, c’est que cela doit continuer à rester dans la sphère privée. Il n’y a pas de changement de doctrine au sommet.

Y a-t-il déjà des réactions au Vatican au livre Sodoma ? Est-ce que cela peut chambouler l’institution ?

Sans doute les cardinaux et les évêques vont-ils lire le livre avec avidité. Aujourd'hui, les conservateurs de l'Eglise mènent une bataille farouche contre le pape François et, dès qu'il y a un nom qui sort, ils prennent prétexte pour l'attaquer en l'accusant de tolérer des homosexuels dans l'Eglise. La guerre est notamment menée par l'ancien nonce apostolique aux Etats-Unis Carlo Maria Viganò lequel a reproché au pape d'avoir longtemps couvert le cardinal Theodore McCarrick, coupable d'abus sexuels. Mais, dans le livre Sodoma il n'y a semble-t-il pas de révélations sur des personnes vivantes et on peut donc prédire qu'il ne se passera pas grand-chose.

Le pontificat de François n’a rien changé en profondeur ?

François a modifié le cadre de référence. Par ses paroles et ses gestes, il a fait sortir l’Eglise de son obsession sur les thèmes sexuels et changé l’image d’une Eglise sexophobe. Il a reçu une personne trans avec sa fiancée, ou encore un couple d’homosexuels à New York dont l’un des membres était l’un de ses anciens élèves. Pour l’actuel pape, l’important est de savoir si on agit dans le bien ou le mal indépendamment de ses orientations sexuelles. En revanche, il est peu probable qu’il y ait un changement du catéchisme durant son pontificat. Peut-être ses successeurs modifieront-ils la doctrine. Mais de toute manière, et c’est le point central, l’Eglise n’influence plus la société. En Italie par exemple, la pilule, l’avortement ou les couples homosexuels sont légalisés. La crise de l’Eglise est avant tout liée à la sécularisation de la société.

Comment, par exemple, expliquer que l’Italie soit épargnée par la révélation d’abus sexuels ?

Il y a eu des abus sexuels en Italie comme l’a montré notamment l’affaire d’une institution de Vérone où des jeunes sourds et muets ont été abusés par des prêtres. Mais pendant des années la conférence épiscopale italienne a freiné les révélations en ne mettant pas en place un système pour la recherche des abus, leur sanction et le dédommagement des victimes. Ce n’est qu’avec la nomination l’an dernier du nouveau président, l’archevêque Gualtiero Bassetti qu’un service de prévention nationale a été introduit. Le vrai défi pour l’Eglise c’est d’emprunter la voie de la transparence et de la rigueur sur les abus sexuels. C’est ce que cherche à faire François, qui a convoqué à Rome, à partir du 21 février, les présidents des conférences épiscopales. Ce n’est pas le pape le problème. Il vient d’ailleurs d’expulser de l’Eglise le cardinal McCarrick. Mais il y a encore beaucoup d’évêques qui freinent et font du sabotage.

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