Récit

L’Eglise étouffée par ses mensonges

Jeudi s’ouvre à Rome un sommet d’ampleur : plus d’une centaine d’évêques du monde entier seront réunis pour parler des scandales d’abus sexuels sur mineurs. Une première au sein des instances catholiques.
par Bernadette Sauvaget
publié le 17 février 2019 à 21h16

Le décret datait du 11 janvier, pris par la Congrégation pour la doctrine de la foi, l’ancienne inquisition à Rome. Il vient juste d’être entériné par le pape François. Le geste est fort, éminemment symbolique et politique. Il intervient une semaine à peine avant l’ouverture, jeudi, du sommet mondial sur la pédophilie dans l’Eglise qui rassemblera plus d’une centaine d’évêques du monde entier. Par ce décret, Theodore McCarrick a été, dans le langage du Vatican, renvoyé de l’état clérical. En clair, cette figure extrêmement influente du catholicisme américain ne peut plus exercer ses fonctions de prêtre, la peine la plus grave pour un clerc.

Le prélat a été reconnu coupable par la justice de l'Eglise d'abus sexuels sur un mineur «avec la circonstance aggravante de l'abus de pouvoir». «Aucun évêque, aussi influent soit-il, n'est au-dessus de la loi de l'Eglise», a déclaré, le cardinal Daniel DiNardo, le patron de l'épiscopat américain. McCarrick s'était déjà vu retirer son titre de cardinal l'été dernier, ce qui, en soi, était historique. Ce prélat mondain et globe-trotter avait aussi été prié d'aller mener une vie retirée de pénitence et de prières.

«Opprobre général»

La chute vertigineuse du très âgé McCarrick (89 ans), résume à elle seule le chaos dans lequel est plongé le catholicisme mondial. Ces jours-ci, les nuages s'amoncellent tout particulièrement en France. Le nonce apostolique - l'équivalent d'un ambassadeur - Luigi Ventura, au bord de la retraite, est, comme l'a révélé le Monde, sous le coup d'une plainte pour «agression sexuelle» sur un jeune cadre de la mairie de Paris qui aurait été commise lors d'une cérémonie à l'hôtel de ville, plongeant le Vatican, une fois encore, dans l'embarras. Dans un bref communiqué, il a indiqué que le diplomate était «toujours en poste» ; ce qui laisse supposer que Ventura n'a pas été exfiltré pour échapper aux poursuites. Très vraisemblablement, les faits, remontant à la mi-janvier, étaient pourtant déjà connus à Rome, ce qui aurait pu laisser le temps de déplacer Ventura, protégé par son immunité diplomatique. Preuve que l'approche de l'Eglise est en train d'évoluer sous la pression des révélations. En 2002, ayant couvert des centaines d'affaires d'abus sexuels, le cardinal Bernard Law de Boston, au cœur de l'affaire racontée par le film Spotlight avait, lui, trouvé refuge au Vatican pour échapper à la justice américaine.

Après le retentissant procès, début janvier à Lyon, du cardinal Philippe Barbarin pour non-dénonciation d'abus sexuel dans l'affaire Preynat, le film de François Ozon, Grâce à Dieu est soumis à une décision de la justice pour pouvoir sortir le 20 février (lire page 5). Quoi qu'il en soit, le long métrage a relancé le débat sur l'omerta dans l'Eglise catholique et, fait nouveau, sur la difficulté de la prise de parole des victimes. «Chez les fidèles catholiques, je perçois une volonté forte de changement, que l'Eglise fasse son ménage pour que l'opprobre général, notamment sur les prêtres, cesse», explique François Ozon à Libération. Son film a déjà été présenté dans plusieurs avant-premières, en particulier la semaine dernière, à la paroisse Saint-Luc à Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône) où ont eu lieu dans les années 80 les abus sexuels avoués par Preynat.

Ouvrant un autre front, celui de la grande hypocrisie de l'Eglise catholique à l'égard de l'homosexualité (lire page 5), le livre Sodoma, écrit par Frédéric Martel, paraît le 21 février dans une vingtaine de pays. «C'est une bombe atomique qui remet en cause les pontificats de Jean Paul II et de Benoît XVI», estime l'ancien chroniqueur religieux du Monde, Henri Tincq, qui a lu, il y a déjà plusieurs mois, le manuscrit.

Vaille que vaille, François tente de reprendre la main, d’insuffler les réformes nécessaires pour sortir du chaos, d’effacer ses propres errements. C’est le but du sommet organisé au Vatican de jeudi à dimanche. Dans ce contexte, l’annonce de la décision de défroquer McCarrick, un prince de l’Eglise, sonne comme un avertissement aux prélats du monde entier. Rien ne pourra plus les protéger… Ce qui reste à voir quand même.

Aile réactionnaire

Jusqu’au printemps 2018, le pape François a lui-même entretenu une position ambiguë sur le dossier de la pédophilie. Il a empêché la création d’un tribunal spécifique au Vatican pour juger les évêques qui ont couvert les cas d’abus sexuels. Il a aussi protégé son numéro 3, le cardinal australien George Pell, chargé des finances, actuellement jugé dans son pays pour des abus sexuels qu’il aurait commis et pour en avoir couvert d’autres.

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Pour le pape, la parution de l'ouvrage arrive finalement à point nommé. L'auteur y défend une thèse très favorable à François mais contestable à bien des égards : le pape est, selon Martel, le grand héros du combat contre la pédophilie. A regarder les faits, c'est très vite dit. Depuis l'été dernier, le pape essuie aussi une violente campagne venant des milieux ultraconservateurs, en particulier américains. Ceux-ci l'accusent d'être trop gay-friendly et d'avoir protégé abusivement, dans le passé, l'ex-cardinal McCarrick. En révélant l'homosexualité cachée de prélats ultraconservateurs (et en même temps violemment homophobes), Sodoma risque vite de mettre dans l'embarras cette aile réactionnaire, ce qui est une bonne chose pour le pape François, au flair politique redoutable…

Au-delà des manœuvres vaticanes, la crise du catholicisme est d’une gravité sans précédent à l’ère contemporaine. En Europe occidentale, l’Eglise catholique, déjà fragilisée par la sécularisation, pourrait même jouer, à terme, sa survie.

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