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Au Liban, un suicide pour l’exemple

Un père de famille s’est immolé dans le collège de ses enfants car il ne pouvait plus payer les frais de scolarité. Si les réactions ont d’abord été virulentes sur les réseaux sociaux, le soufflé est vite retombé, provoquant la colère de certains journalistes

Photo tirée de la page Facebook du père de famille. — © DR
Photo tirée de la page Facebook du père de famille. — © DR

L’acte désespéré de Georges Zreik a ému le Liban. Le 7 février dernier, ce père de famille s’est immolé dans la cour de l’école de ses enfants, un collège grec orthodoxe dans le nord du pays. Faisant face à de grandes difficultés financières, il s’est suicidé pour protester contre le refus de l’administration de l’établissement de lui délivrer une attestation de scolarité, tant qu’il n’avait pas réglé les frais scolaires. Transporté dans un hôpital de Tripoli, le cinquantenaire est décédé le lendemain des suites de ses brûlures, rappelant le tragique destin du vendeur ambulant tunisien Mohamed Bouazizi, qui s’était immolé en 2010, déclenchant la révolution dans son pays puis les Printemps arabes.

Le directeur du collège avait exercé de fortes pressions sur Georges Zreik, y compris par téléphone, sans prendre au sérieux ses menaces de suicide, d’après le frère du défunt, interrogé par la radio Voix du Liban. Un témoignage que les responsables de l’établissement réfutent. «Nous avons demandé […] aux parents de régler leur situation financière et administrative, mais nous n’avons jamais menacé de renvoyer leurs enfants», se justifient-ils dans un communiqué cité par L’Orient-Le Jour. Ils précisent également que la famille Zreik était exemptée des frais de scolarité depuis 2014, sauf en ce qui concerne le transport, les fournitures et les activités extrascolaires.

Malgré la déclaration du collège, l’annonce du décès du père de famille a bouleversé les réseaux sociaux. Les nombreuses réactions virulentes témoignent du sentiment d’impuissance des Libanais face à la crise sociale et économique du pays. «Révoltée! Honte à nos écoles privées et publiques! Où est l’Etat libanais? Où sont les hommes et les femmes des différentes Eglises?» s’est indigné un internaute sur Twitter. «En mettant fin à ses jours par le feu, Georges Zreik a commis un acte désespéré qui a rappelé aux Libanais une réalité que beaucoup refusent encore de reconnaître», peut-on également lire.

Les conditions de vie au pays du Cèdre se sont considérablement dégradées depuis le début de la guerre en Syrie en 2011, avec un taux de chômage avoisinant les 46% l’année dernière. Quant à la dette publique, elle a atteint des proportions inquiétantes avec un ratio de 150% du PIB, estimée à 50 milliards de dollars. Enfin, la présence d’un million de réfugiés syriens (soit un quart de la population) ne fait qu’aggraver la situation.

En réaction à la tragédie, une manifestation de quelques dizaines de personnes s’est tenue à Beyrouth mardi dernier, soldée par la promesse d’un ministre de prendre en charge personnellement les études universitaires des enfants du défunt. «Des actes bien modestes», selon Paul Khalifeh, journaliste spécialiste du monde arabe, qui déplore qu’un si faible nombre de personnes soient sorties dans la rue en comparaison avec le déferlement de réactions sur la Toile.

«Force est de constater que ce drame a bien vite rejoint la rubrique des faits divers», regrette-t-il, sur le site Middle East Eye. «Les vagues de critiques sont allées dans tous les sens. Elles n’ont pas réussi à converger […] La fureur des citoyens s’est éteinte aussi soudainement qu’elle a éclaté», ajoute la journaliste Anne-Marie El-Hage, à L’Orient-Le Jour. Une position que partage l’artiste libanaise Marie Josée Rizkallah, chroniqueuse à Libanews: «Le même acte commis par Mohamed Bouazizi […] avait déclenché une révolution en Tunisie. Mais au Liban, on a oublié ce que vaut une vie…»