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Ce que l’antisémitisme révèle de la France

Des manifestations de soutien aux juifs de France ont eu lieu mardi soir à Paris et dans plusieurs villes de province. Dans le collimateur? Les franges les plus radicales des «gilets jaunes»

Rassemblement contre l’antisémitisme à Strasbourg, le 19 février 2019. — © Vincent Kessler/REUTERS
Rassemblement contre l’antisémitisme à Strasbourg, le 19 février 2019. — © Vincent Kessler/REUTERS

La France est-elle, comme l’a souvent répété Emmanuel Macron, revenue à la très sombre période des années 1930? Depuis samedi et la pluie d’insultes racistes et antisémites adressées par un groupe de «gilets jaunes» à l’écrivain et académicien français Alain Finkielkraut, le débat fait rage. Et tout démontre qu’il ne va pas cesser, malgré l’appel à manifester mardi soir à Paris et dans plusieurs villes de province.

Preuve de la volonté du gouvernement d’apporter son soutien à la communauté juive, le premier ministre, Edouard Philippe, et une dizaine de ministres étaient présents place de la République, à Paris. Le président français s’est pour sa part rendu en Alsace, à Quatzenheim, où plusieurs dizaines de tombes israélites ont été profanées, avant de visiter, dans la capitale, le mémorial de la Shoah.

Lire notre éditorial:  Contre l’antisémitisme, le sursaut républicain

Libération dramatique de la haine verbale

La réalité est qu’en cette période de colères et de convulsions sociales, deux problèmes se télescopent. Le premier est celui de l’augmentation très préoccupante du nombre d'actes antisémites violents en France depuis plusieurs années (+74% en 2018), comme l’ont montré l’enlèvement, la torture puis le meurtre d'Ilan Halimi en 2006 par le «gang des barbares», l’attentat contre l’Hyper Cacher le 9 janvier 2015, ou l’assassinat de la retraitée Mireille Knoll en mars 2018. Des actes criminels commis, à chaque fois, par des délinquants issus de l’immigration africaine ou arabe.

Le second problème est celui d’une libération dramatique de la haine verbale anti-juive à la faveur du mouvement des «gilets jaunes», en particulier au sein de ses éléments les plus radicaux parmi lesquels figurent de nombreux partisans de La France insoumise (gauche radicale) et du Rassemblement national (l’ex-Front national).

L'antisémitisme des extrêmes politiques

D’un côté, une extrême gauche traditionnellement pro-palestinienne, très sévère envers Israël et prompte à dénoncer le lobby juif de la finance comme l’a montré la gêne de Jean-Luc Mélenchon face aux attaques contre Alain Finkielkraut. De l’autre, une extrême droite taraudée depuis toujours par un antisémitisme rampant, malgré la condamnation plus rapide de l’incident par Marine Le Pen.

L’autre non-dit est la présence, au sein des éléments violents des «gilets jaunes» de militants proches des milieux islamistes. Dans le cas des insultes proférées contre Alain Finkielkraut, l’un des individus repérés par la police serait connu pour de telles fréquentations. S’ajoute aussi la présence croissante, lors des derniers samedis de manifestations, de jeunes venus des quartiers pour «casser», comme beaucoup de vétérans du mouvement des «gilets jaunes» l’ont eux-mêmes déploré.

Lire aussi:  Un sale climat s'est emparé de la France

Syndicats et partis permettent d’installer des tabous, des règles, des principes de vie en société sur lesquels on ne peut revenir. Sans eux, […] il n’y a plus de structure pour canaliser la colèreLe philosophe Raphaël Glucksmann

Preuve que le climat social s’est radicalisé au fil de l’étiolement du mouvement, et alors que se tiennent à travers la France les réunions du «grand débat national», l’une des figures des «gilets jaunes», Ingrid Levavasseur, a aussi été violemment prise à partie ce week-end.

«Le fait qu’un mouvement social soit pollué à ce point par les antisémites est largement lié à l’absence de cadres et à la crise des corps intermédiaires», expliquait mardi dans Libération le philosophe Raphaël Glucksmann. «Syndicats et partis permettent d’installer des tabous, des règles, des principes de vie en société sur lesquels on ne peut revenir. Sans eux, ces tabous sautent. Il n’y a plus de structure pour canaliser la colère.»

L’antisionisme comme nom de code

Comment en sortir et prévenir de futures dérives? Outre la manifestation de mardi soir organisée à l’initiative du Parti socialiste, de plus en plus de dirigeants français, y compris parmi ceux qui soutenaient les «gilets jaunes» – Alain Finkielkraut s’était d’ailleurs montré lui-même compréhensif à leur égard –, demandent maintenant d’interdire les prochaines manifestations.

C’est le cas, à droite, du député des Alpes-Maritimes Eric Ciotti, critique virulent d’Emmanuel Macron. L’autre proposition consiste à durcir l’arsenal judiciaire pour créer, en plus du délit d’antisémitisme, un délit d’antisionisme, option défendue par plusieurs députés de la majorité macronienne, mais a priori écartée par le chef de l’Etat. La confusion des registres, en revanche, est réelle sur les réseaux sociaux. «L’antisionisme est devenu un nom de code, on l’utilise de plus en plus dans un contexte antisémite», explique la rabbin Delphine Horvilleur.

Oligarchie financière détestée

Bien que le sujet soit peu évoqué, l’antisémitisme, en particulier dans les quartiers populaires, est lié, en France, au poids de la communauté musulmane, qui regroupe environ cinq millions de personnes (contre environ 550 000 juifs). Il est à noter toutefois que les banlieues ont, pour l’heure, été peu secouées par le mouvement des «gilets jaunes», dont une partie de la rhétorique est mise en cause.

Sous forme de slogans et d’affiches, les manifestants ne se privent ainsi pas de dénoncer depuis le début la banque Rothschild, ex-employeur d’Emmanuel Macron, comme symbole de l’oligarchie financière qu’ils exècrent.