Les « superbactéries » pourraient se répandre plus vite que prévu

Des chercheurs ont observé des bactéries se transmettre leur résistance aux antibiotiques par des mécanismes plus vastes et rapides qu’on ne le pensait.
Les « superbactéries » pourraient se répandre plus vite que prévu

Les bactéries pourraient se transmettre entre elles leur résistance aux antibiotiques de façon plus variée et rapide que prévue, soulignant l’urgence de réduire notre consommation d’antibiotiques, estime une étude.

L’antibiorésistance, ou la capacité des bactéries à devenir résistantes aux antibiotiques, pourrait passer par plus de mécanismes que ceux identifiés précédemment. C’est ce qu’a mis en évidence une équipe de chercheurs de l’Helmholtz Zentrum München, en Allemagne, de l’Université de Copenhague (Danemark) et de l’université de Campinas (Brésil), dans un article publié le 18 février dans la revue Microbiome.

Les chercheurs ont donné à des poissons élevés en aquaculture un antibiotique spécifique, le florfenicol, puis ont observé comment réagissaient les bactéries de leur flore intestinale. Sans surprise, une résistance à l’antibiotique s’est développée de manière croissante avec le temps chez ces bactéries. Ce qui s’est traduit par une présence accrue de gènes responsables de cette résistance.

Échanges de gènes

La façon dont ces gènes d’antiobiorésistance se sont transmis d’une bactérie à l’autre a par contre davantage surpris les scientifiques. La prolifération de la résistance aux antibiotiques vient notamment de la capacité des bactéries à communiquer entre elles : même celles qui n’ont jamais été exposées à un antibiotique peuvent récupérer des informations génétiques de leurs voisines qui ont trouvé la parade. « Jusqu’à présent, nous postulions que les plasmides (en substance, des mini-chromosomes facilement transférables) étaient les principaux responsables de l’échange de gènes de résistance », explique un communiqué du Centre de recherche allemand pour la santé environnementale.

Mais les chercheurs ont observé au cours de leurs travaux que les bactéries échangeaient aussi ces informations génétiques via des virus, appelés phages ou transposons. « La découverte que la résistance est aussi largement transférée entre bactéries sans l’implication des plasmides est vraiment surprenante. Sur la base de cette observation, les modèles de diffusion [de l’antibiorésistance] pertinents devraient être examinés et modifiés  », préconise dans le communiqué le professeur Michael Schloter, co-auteur de l’étude.

L’aisance avec laquelle ces bactéries pourraient utiliser ces mécanismes pour échanger de l’information génétique pourrait impliquer un risque de voir se répandre plus rapidement que prévu les « superbactéries ». De tels agents infectieux contre lesquels plus aucun antibiotique connu n’est efficace font déjà des ravages. En 2015, elles étaient déjà responsables de la mort de 33 000 personnes au sein de l’Union européenne, selon un article de la revue The Lancet Infectious Diseases.

« Ère postantibiotique »

En novembre 2018, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) mettait en garde contre cette montée de l’antibiorésistance, « aujourd’hui l’un des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale  », et alertait sur l’avènement « d’une ère postantibiotique dans laquelle des infections courantes et de petites blessures seront à nouveau mortelles  », relayait alors un article de Sciences et Avenir.

Une situation aggravée par la surconsommation mondiale d’antibiotiques. Elle aurait augmenté de 65 % entre 2000 et 2015, selon une étude que détaillait le Figaro, parue en mars 2018 dans le journal de l’Académie des sciences américaine.

« Jusqu’à 80 % des antibiotiques importants pour la médecine humaine sont consommés dans le secteur animal »

Pour ralentir cette perte d’efficacité des antibiotiques, l’OMS préconise de réduire leur utilisation en accentuant la prévention pour éviter les infections : vaccination, lavage des mains, hygiène alimentaire et rapports sexuels protégés, par exemple. Paradoxalement, il faut aussi éviter d’arrêter la prise d’antibiotiques avant la fin du traitement prescrit, au risque de favoriser la croissance de bactéries devenues résistantes.

Enfin, l’OMS recommande d’éviter l’administration d’antibiotiques aux animaux d’élevage en bonne santé. La pratique, largement répandue dans l’industrie alimentaire, vise à favoriser la croissance des animaux mais multiplie considérablement les risques de développer des bactéries résistantes aux antibiotiques, alors que dans certains pays, jusqu’à « 80 % des antibiotiques importants pour la médecine humaine sont consommés dans le secteur animal  », souligne l’OMS.

Élevage et agriculture intensives, hôpitaux, traitement des eaux usées, notre utilisation massive d’antibiotiques est telle que ces fameux gènes transmettant l’antibiorésistance sont présents en quantité inquiétante jusque dans l’air pollué des villes, établissait une étude parue dans Environmental Science & Technology en juillet 2018. Un symbole éloquent de notre addiction massive aux antibiotiques et de l’ampleur de l’effort de désintoxication nécessaire à opérer, avant qu’ils ne deviennent totalement inopérants.

 

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