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Stéphanie Gibaud, la lanceuse d'alerte d'UBS se réjouit de l'amende record infligée à son ex-employeur.

Boris Vorgeack

Pour des fautes d'une "exceptionnelle gravité", le géant bancaire suisse UBS a été condamné mercredi par le tribunal correctionnel de Paris à une amende de 3,7 milliards d'euros, la plus lourde peine jamais infligée par la justice française dans une affaire d'évasion fiscale. Dans la foulée, la première banque privée du monde, sa filiale française et trois de ses anciens cadres ont été condamnés à payer 800 millions d'euros de dommages et intérêts à l'État français, partie civile. Pour la lanceuse d'alerte Stéphanie Gibaud, ancienne directrice marketing de la banque en France, en partie à l'origine de l'affaire, cette sanction sonne comme une victoire. Mais elle lui laisse aussi un goût amer : celle qui a fourni pendant près d'un an des informations confidentielles aux enquêteurs des douanes sur les agissements d'UBS alors qu'elle était encore employée par la banque a obtenu le statut de "collaborateur occasionnel de service public" par le tribunal administratif, mais n'a toujours pas reçu un centime de rétribution de la part de l'État. Sans emploi, vivant des minima sociaux, elle dénonce le cynisme de l'État français. Interview cash.

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L'Express : 3,7 milliards d'euros d'amende, la peine la peine la plus lourde jamais infligée à une banque par la justice française, vous criez forcément victoire ?

Stéphanie Gibaud : Évidemment ! Depuis des années, les seuls qui ont su protéger leurs intérêts et sanctionner lourdement des banques pour leurs pratiques opaques d'évasion fiscale, ce sont les États-Unis. En Europe et en France, il ne se passait rien. Dans l'affaire HSBC, qui est en réalité un copié-collé de l'affaire UBS en termes de fraude, la procédure a accouché d'un accord négocié portant sur une amende de 300 millions d'euros. Cette décision d'aujourd'hui fera date, car elle sonne la "fin de la récré". Les banques ne peuvent plus rester dans l'impunité, l'opinion publique ne le supporte plus. Par ailleurs, avec le Brexit, Paris, qui se présente la nouvelle place financière européenne, se montre exemplaire. Ce jugement peut ouvrir la voie à d'autres ailleurs en Europe.

Ces pratiques d'évasion fiscale sont-elles toujours en cours ?

En principe, depuis 2017 avec la mise en place progressive de l'échange automatique d'informations, il n'est plus possible d'ouvrir discrètement un compte bancaire à son nom à l'étranger : chaque pays doit désormais signaler l'existence d'un compte au nom d'un ressortissant étranger à son pays d'origine. Le secret bancaire, en Suisse notamment, est largement entamé. Le problème, et c'est ce qui est bien plus inquiétant, c'est que la fraude se niche désormais dans des paradis fiscaux encore plus opaques où les chefs d'État et les banquiers sont les mêmes ! Enfin, au fur et à mesure que les contrôles et les réglementations se durcissaient, les schémas d'optimisation fiscale sont devenus encore plus compliqués.

Dans cette affaire, vous dénoncez le "lâchage" de l'État français. Pourquoi ?

Il faut bien voir que, dans cette affaire, j'ai tout perdu. Mon travail, ma famille, ma santé. Depuis juillet 2014, je vis des minima sociaux, je n'ai jamais retrouvé de travail, j'ai été obligée de vendre mon appartement, mes enfants ne vivent plus avec moi et je suis tombée en dépression... Pourquoi ? Parce que j'ai accepté pendant près d'un an, de juin 2011 à juin 2012, de transmettre des informations confidentielles à Bercy sur les agissements de mon employeur en matière de fraude fiscale. J'ai été licenciée par la banque UBS en 2012 et j'ai aidé ensuite les services des douanes chargés de l'enquête à analyser des masses de documents. Le 15 novembre 2018, le tribunal administratif de Paris a condamné l'État à me verser 3 000 euros de dommages et intérêts en "réparation du préjudice moral" que j'ai subi. C'est ridicule compte tenu des montants en jeu. L'État m'a utilisée et m'a laissé tomber !

Que comptez-vous faire ?

Que la loi s'applique aussi à mon cas ! Pour rappel, l'article 15-1 de la loi 95-73 du 21 janvier 1995 permet au directeur général des douanes de rétribuer les personnes ayant fourni des renseignements qui ont mené à la découverte de crimes ou de délits ou à l'identification de leurs auteurs. Cette rétribution est discrétionnaire et fixée par le directeur général des douanes. Je lui ai envoyé par l'intermédiaire de mon avocat une lettre le 9 janvier 2019, demandant à bénéficier d'une telle rétribution. Jusqu'à aujourd'hui, personne ne m'a répondu, personne ne m'a reçue... L'exécutif multiplie les déclarations va-t-en-guerre contre les fraudeurs fiscaux, mais laisse tomber les lanceurs d'alerte qui aident à démasquer ces abus. C'est du cynisme absolu !

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