Alexandre Dussot-Hezez, victime du père Preynat, décrypte la scène la plus poignante de « Grâce à Dieu »

Alexandre Dussot-Hezez, première victime à avoir dénoncé les agissements du père Preynat, est l’un des héros de « Grâce à Dieu », nouveau chef-d’œuvre de François Ozon, dans lequel il est interprété par Melvil Poupaud. Pour « Vanity Fair », il raconte la véritable histoire de la scène la plus marquante du film, celle où il se retrouve pour la première fois face à son agresseur, plusieurs années après les faits.
Alexandre DussotHezez victime du père Preynat dcrypte la scène la plus poignante de « Grâce à Dieu »
De gauche à droite : Melvil Poupaud, interprète d'Alexandre, le réalisateur François Ozon et Bernard Verley, de dos, interprète du père Preynat.

Le père Preynat entre dans la pièce d’un pas détendu. Il voit Alexandre, lui sourit, puis lui demande de ses nouvelles. Que fait-il dans la vie ? A-t-il une femme ? Et des enfants ? Preynat tutoie Alexandre, comme si ce dernier était encore le petit garçon qu’il avait connu jadis au camp scout. Comme si ce vieux prêtre pouvait encore avoir une quelconque autorité sur lui. Preynat s’assoie, attend qu’Alexandre parle. C'est la première fois que la victime et son agresseur entament un dialogue, des décennies après les faits. L’entretien s’étendra sur quasiment une heure. Dans le film de François Ozon, la séquence ne dure seulement que quelques minutes, mais est d’une profonde intensité. Elle résume à elle-seule toute la puissance de Grâce à Dieu.

Alexandre Dussot-Hezez, cofondateur de l’association La Parole Libérée et première victime du père Preynat à avoir rencontré le cardinal Barbarin, a vu cette scène lors d’une avant-première organisée en novembre 2018 à Paris, pour ceux qui avaient travaillé de près ou de loin sur le film. Il se découvre alors sous les traits de Melvil Poupaud, acteur adoré du cinéma d’auteur. « Il [Melvil Poupaud, ndlr] a bien fait ressortir toute la sidération de ce moment », convient Alexandre Dussot-Hezez, quand nous le contactons début février. À plusieurs reprises, il emploie le mot « surréaliste » pour définir ce face-à-face avec le père Preynat. On lui demande d’ailleurs s’il l’a vécu comme une confrontation, lui nous répond qu’il n’était pas à l’époque dans « une notion d’accusation ».

« C'était devenu un toc »
« Je me demande encore comment j’ai eu la force de le faire. » En juillet 2014, il s’était déjà replongé dans ses douloureux souvenirs et avait écrit au diocèse de Lyon. Quelques semaines plus tard, il rencontrait Régine Maire, membre du diocèse présentée comme une psychologue chargée de recueillir la parole. « J’avais entièrement confiance en elle. Elle avait toujours des mots bienveillants. Elle était dans l’écoute », raconte-t-il. C’est elle qui, en octobre 2014, organisa la rencontre avec le père Preynat, croyant ainsi apporter un point final à toute cette histoire. « Je ne pensais qu’à la justice et à la vérité. C’était devenu un toc. J’en faisais des cauchemars toutes les nuits, pas pour moi mais pour les autres », explique aujourd’hui Alexandre.

« Grâce à Dieu » de François Ozon : Alexandre Dussot-Hezez, victime du père Preynat, décrypte la scène la plus poignante du film

Il avait alors quarante ans et allait se retrouver dans la même pièce que le bourreau de son enfance, celui qui entrait discrètement dans sa tente aux scouts pour abuser de lui en toute impunité. Quand on lui demande de nous raconter cette rencontre, la voix d’Alexandre ne tremble pas. Tout semble encore très précis dans sa mémoire. Il se souvient même des mots. Avec un détachement déconcertant, Preynat reconnaissait être attiré depuis toujours par les petits garçons. Il avouait également qu’il avait agressé sexuellement plusieurs dizaines de jeunes scouts dans les années 80 et 90. Il révélait enfin que beaucoup dans sa hiérarchie était au courant.

François Ozon a su capter la froideur de cet instant. Preynat – interprété par Bernard Verley – se plaint qu’un jour, le père d’un des enfants dont il a abusé l’a frappé au visage. Le personnage de Melvil Poupaud, jusqu’alors étonnamment calme, sort de ses gonds, lui dit que lui a détruit des centaines d’existences et qu’il est un pédophile, rien qu’un pédophile. Voilà. Le mot est enfin lâché.

Ave Maria
Vient ensuite une séquence encore plus lunaire que celle qui vient de se dérouler. La psychologue du diocèse propose à Alexandre et au père Preynat de prier ensemble. Tous trois se lèvent, se tiennent par la main puis récitent un « Notre Père ». Comment l’expliquer ? « Une fois que vous êtes dedans, vous êtes dans l’action. Je ne me suis pas posé la question. Plus tard, j’ai aussi prié lors de ma rencontre avec le cardinal Barbarin », justifie Alexandre Dussot-Hezez. Il trouve que cette prière est particulièrement représentative de l’hypocrisie de l’institution, où l’on croit que quelques « Je vous salue Marie » vont tout arranger. Lui aussi y croyait pourtant. En sortant de cette entrevue, il avait appelé un ami, parce qu’il avait besoin de parler. Il était en effet sidéré par ce qu’il venait de vivre, mais aussi « assez heureux » : « Pour moi, la vérité allait exploser. Il [Preynat, ndlr] parlait de dizaines d’enfants. Donc pour moi, il y allait avoir une enquête interne, un mea culpa, Preynat allait passer devant la justice… »

Mais cet entretien n’a pas suffi à briser l'omerta sur les affaires de pédophilie. « Après avoir digéré tout ce qu’avait dit Preynat, je n’arrêtais pas de faire dans ma tête le remake de cette rencontre. Je me demandais ce que j’aurais dû faire ou non. Et je me suis aussi dit que cette scène, j’aurais dû l’enregistrer », nous confie Alexandre Dussot-Hezez.

Cette scène, il la reverra donc quatre années plus tard, sur un écran de cinéma, filmée par l’un des plus grands réalisateurs français du moment. Plus courte, mais en même temps, si proche de la réalité. François Ozon a en effet tenu à ne pas trop s’éloigner de la vérité. Quand il a contacté Alexandre Dussot-Hezez en juin 2017, pour lui parler brièvement de son projet, le cinéaste comptait même produire un documentaire, un genre étranger à ses œuvres habituelles. Mais Alexandre Dussot-Hezez n’avait pas envie de se remettre en avant, après tout le battage médiatique qu’il avait subi ces dernières années : « Je n’en avais pas le courage, surtout pour ma famille et pour mes proches. » Ozon et lui se sont donc mis d’accord sur un film de fiction, pour raconter son histoire, l’histoire des victimes du père Preynat, l’histoire de La Parole Libérée.