SPORT - Exit Emirates, bienvenue à Accor. Ce jeudi 21 février, le Paris Saint-Germain a annoncé qu'il avait signé un partenariat avec le groupe hôtelier français pour en faire son nouveau sponsor maillot. C'est "ALL" (pour Accor Live Limitless, ou "vivez sans limites" en français, le nouveau programme de fidélité d'Accor), qui s'affichera ainsi dès le mois de juin sur les torses de Neymar et Kylian Mbappé
Le PSG devrait ainsi doubler, au minimum, les recettes que lui offrait son précédent partenaire, la compagnie aérienne des Émirats arabes unis. Surtout, derrière ce changement d'apparence cosmétique et financière résident des relations profondes entre les différents acteurs impliqués: l'investissement qatari au sein du groupe Accor, la présence de Nicolas Sarkozy, les troubles géopolitiques au Moyen-Orient, le passé de Sébastien Bazin...
- Un groupe français face à la menace du fair-play financier
"C'était pas cher, mais c'était beaucoup d'argent", voici comment Sébastien Bazin, le président-directeur général du groupe Accor a présenté le partenariat avec le PSG, ce jeudi sur BFM Business. S'il a refusé de chiffrer l'opération, il est plus que probable que le montant dépasse les 50 millions d'euros annuels, la somme que visait le club. Sous la menace du fair-play financier -principe qui empêche les clubs de football de fonctionner à pertes et les contraint à avoir des recettes équivalentes à leurs dépenses-, le PSG avait effectivement un besoin impérieux d'augmenter ses ressources financières.
Or comme le précise le site de l'UEFA, un propriétaire ne peut pas simplement injecter de l'argent via un contrat de sponsoring surévalué, il faut que les partenariats soient chiffrés "dans la mesure appropriée en fonction des prix du marché", ce que les instances de contrôle vérifient. En 2018, il avait par exemple été estimé que certains accords financiers parisiens n'avaient pas été passés à une valeur juste, mais qu'ils bénéficiaient trop au club. Il fallait donc cette année pour le PSGtrouver un investisseur extérieur désireux d'offrir un contrat intéressant.
"Le Paris Saint-Germain, c'est gigantesque. C'est en croissance absolument fulgurante depuis quatre-cinq ans", justifie le PDG d'Accor, selon qui l'équipe de la capitale serait peut-être aujourd'hui "la troisième marque plus importante au monde en matière de sport". Or Sébastien Bazin connaît bien le Paris Saint-Germain, pour en avoir été le président, du temps où le fonds d'investissement américain Colony Capital était le principal investisseur du club. C'est même lui qui actera la vente du PSG à ses propriétaires actuels... l'État du Qatar.
Comme le résume sur Twitter le professeur en économie du sport Simon Chadwick, le fait d'avoir Accor en sponsor maillot, un groupe français, dénote de plusieurs intentions de la part du Paris Saint-Germain: "Cela maintient les liens avec Doha (la capitale du Qatar, qui est l'un des principaux investisseurs dans le groupe Accor), mais ils sont suffisamment lointains pour écarter la menace du fair-play financier. C'est une étape évidente mais importante dans la construction d'une 'marque française' pour le PSG. Au niveau domestique, c'est intelligent et internationalement, c'est utile. Cela va aider les Qataris à renforcer leur relation avec la France."
- Nicolas Sarkozy, forcément central
Mais il n'y a pas que Sébastien Bazin, au sein du groupe Accor, qui dispose de liens avec le Paris Saint-Germain et le Qatar. L'ancien président de la République française Nicolas Sarkozy semble en effet également se trouver au carrefour des intérêts du club de football et de son propriétaire qatari. Un héritage du temps où il se trouvait à l'Élysée, où il a noué une relation très forte avec l'émirat, diplomatiquement et commercialement.
Supporter incontournable et inconditionnel du club de la capitale, au point de s'afficher à pratiquement tous les matches en tribune présidentielle et de se voir souhaiter des 64 ans par l'équipe, l'ancien chef de l'État est aussi au conseil d'administration d'Accor et y dirige un "comité en stratégie internationale" qui lui a été créé sur mesure. Fin janvier, comme le détaille le site Africa Intelligence, il aurait par exemple profité d'un rendez-vous du groupe hôtelier en Côte d'Ivoire pour faire entendre et pousser les volontés d'investissement du Qatar dans le pays.
Nicolas Sarkozy est par ailleurs un proche de Sébastien Bazin. Ce dernier disait de l'ex-président, au moment de sa prise de fonction chez Accor, qu'il était "un homme politique avec une envergure internationale, une connaissance géopolitique absolument indéniable" pour étayer sa décision. Et Nicolas Sarkozy aurait justement œuvré dans le passage de témoin au PSG entre l'homme d'affaires et le Qatar, présentant l'actuel PDG d'Accor à Qatar Investment Group.
Quelques années après le rachat du club, en 2015, le fonds souverain qatari entrera en retour au capital du groupe hôtelier français (le pays possédait au 31 décembre 2018 10,44% des parts d'Accor). Et en 2017, un membre de la famille souveraine du Qatar, Sheikh Nawaf Bin Jassim Bin Jabor Al-Thani, rejoindra Nicolas Sarkozy au conseil d'administration de l'hôtelier français.
L'ancien ministre de l'Intérieur de Jacques Chirac a en outre déjà été embarrassé par ses liens avec le Paris Saint-Germain. Fin 2018, dans le cadre des "Football leaks", ces révélations sur le monde du football, Mediapart nous apprenait que via son entremise et celle de Michel Platini, le PSG et Manchester City notamment avaient échappé à des sanctions liées au fair-play financier, en échange de l'obtention par le Qatar de l'organisation de la Coupe du monde 2022.
- Des tensions au Moyen-Orient en toile de fond
On l'a dit: Emirates, la compagnie aérienne basée à Dubaï qui sponsorise jusqu'à la fin de la saison le PSG, est l'une des marques les plus connues des Émirats arabes unis. C'est aussi l'un de leurs meilleurs moyens pour rayonner dans le monde. Depuis des années, la marque s'affiche sur des maillots de football tous plus prestigieux (Arsenal, Real Madrid, Benfica, AC Milan...), sur les bolides de Formule 1, lors du tournoi de tennis de Roland-Garros etc.
Mais depuis que la querelle entre les Émirats et le Qatar a commencé à escalader, on imagine aisément que le propriétaire du Paris Saint-Germain avait d'autres projets que de donner de la visibilité à l'un des étendards de son rival régional. Pour l'heure, les Émirats arabes unis et leur voisin qatari ont effectivement coupé tous liens diplomatiques, et Abou Dabi n'a de cesse de tenter d'isoler un peu plus le Qatar, notamment en lui interdisant l'accès à ses ports commerciaux.
Dans la lutte d'image et d'influence que se livrent les puissances moyen-orientales, c'est donc une nouvelle bataille qui se déroule, le Qatar privant l'un de ses adversaires d'un atout remarquable. Car Emirates va désormais devoir faire sans Neymar, Buffon, Mbappé et compagnie. Reste simplement à savoir si l'escarmouche dans laquelle s'est impliqué le groupe Accor attirera l'œil de l'UEFA et des instances chargées de contrôler le fair-play financier.
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