Frédéric Potier : « Il y a deux formes d'antisémitisme très virulent »

Le jeune préfet à la tête de la Dilcrah aborde sans langue de bois l'antisémitisme islamiste comme d'extrême droite et revient sur les annonces d'Emmanuel Macron.

Propos recueillis par

Frédéric Potier est délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah).

Frédéric Potier est délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah).

© DR

Temps de lecture : 10 min

Comment faire refluer une vague d'antisémitisme que les données statistiques comme l'actualité récente illustrent de manière alarmante  ? Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), Frédéric Potier explique ce que les annonces d'Emmanuel Macron au dîner du Crif changeront concrètement dans la lutte contre l'antisémitisme. Le « Monsieur Antiracisme » du gouvernement évoque sans langue de bois la banalisation des slogans antisémites au sein des Gilets jaunes, le fourvoiement d'une certaine gauche, mais aussi les inquiétantes migrations internes des populations juives en France, qui quittent la Seine-Saint-Denis pour le centre de Paris ou même Bordeaux. Entretien.

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Le Point : Emmanuel Macron a annoncé au dîner du Crif que la définition de l'antisémitisme intégrerait certains aspects de l'antisionisme, « une des formes modernes de l'antisémitisme », mais qu'il n'y aurait pas de changement de loi...

Frédéric Potier : Il y a une définition de travail de l'antisémitisme, portée par l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste, où siège un ambassadeur français. Cette définition a été adoptée dans un certain nombre d'États, comme la Grande-Bretagne ou l'Allemagne, mais aussi par le Parlement européen. Mercredi soir, Emmanuel Macron a annoncé que la France l'endossait officiellement. Cela aura des conséquences opérationnelles, car on utilisera notamment cette définition dans les formations des magistrats ou policiers... Mais il n'y aura pas de modifications du Code pénal ou de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Ce qui n'est pas tranché, c'est de savoir si cela prendra la forme d'une résolution. Ce n'est pas normatif, mais cela serait un symbole fort.

La philosophe Marylin Maeso estime que les différences entre antisionisme et antisémitisme sont aujourd'hui très hypocrites, mais qu'une pénalisation de l'antisionisme serait contre-productive, car laissant entendre qu'il y aurait une forme de censure entourant Israël. Elle plaide donc pour la pédagogie plutôt que pénalisation...

C'est très exactement ça. Cette définition nous aide à faire cette pédagogie. L'apport de cette définition est qu'elle parle de la haine d'Israël en tant que collectivité, même si le mot d'« antisionisme » ne figure pas en tant que tel. Elle permettra cependant de qualifier d'antisémite une partie des propos antisionistes. Quand sur une pancarte est inscrit « Mort aux sionistes », ça veut dans les faits dire « Mort aux juifs ». Ce n'est pas qu'une haine d'une idée politique ; on cible des personnes en particulier, les juifs, via la haine d'Israël.

Emmanuel Macron a aussi annoncé la dissolution de trois associations d'extrême droite. N'est-ce pas encore laisser entendre que l'antisémitisme se concentre dans cette frange politique ?

Il y a des groupes identifiés comme étant violents et structurés, tel Bastion social. Il faut utiliser les armes de la République, et dissoudre les groupes qui apparaissent comme dangereux. On est dans l'application pure de la loi. Il y a des preuves, des écrits et des comportements, car pour ces dissolutions, il faut démontrer qu'il y a un caractère collectif et organisé. Sur d'autres types de mouvements, c'est moins facile à faire...

Comme pour ce qu'on appelle « le nouvel antisémitisme »  ?

Je maintiens qu'il y a deux formes d'antisémitisme très virulent. L'un est poussé par l'islamisme radical, qui a tué en France. L'autre est un antisémitisme d'extrême droite qu'on a vu s'épanouir ces dernières semaines à travers des tags et des profanations. Il faut combattre les deux. Combattre l'un, ce n'est pas omettre l'autre.

Günter Jikeli, chercheur allemand à l'université d'Indiana, explique que « les données disponibles ne font aucun doute : l'antisémitisme est en Europe significativement plus élevé parmi les musulmans que chez les non-musulmans ». Selon lui, l'existence d'un antisémitisme spécifiquement musulman est une réalité qu'il ne faut pas nier, tout comme il a existé un antisémitisme spécifiquement chrétien...

Sur ce terrain-là, il ne faut bien sûr pas généraliser. Percevoir des sentiments d'antisémitisme via des études ethno-sociologiques, ça reste compliqué du fait que la France ne pratique pas les statistiques ethniques. Pour l'instant, je n'ai pas de données comme ça à ma disposition. La chose qu'on peut dire, c'est que les récents attentats et homicides antisémites étaient le fait d'auteurs prônant la mouvance de l'islamisme radical, que ce soit Mohammed Merah, Amedy Coulibaly, ou dans le cadre des meurtres de Sarah Halimi et Murielle Knoll. C'est un fait. Aujourd'hui, l'extrême droite est dans la rue et s'exprime via des tags et profanations. Les croix néonazies, c'est assez signé, comme symbole. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas être vigilant sur ce front-là. L'attentat dans la synagogue de Pittsburgh, c'était l'extrême droite. Le fait qu'on en a beaucoup moins parlé m'a beaucoup interrogé. Quelques semaines plus tard, une synagogue brûlait à New York, et ce n'était pas le fait de l'islamisme. Je reste dans une vigilance de toutes les formes d'antisémitisme.

Les actes antisémites en 2018 sont en hausse de 74 %...

Ce sont des alertes et signalements faits auprès des forces de police et de gendarmerie. Ce sont donc des chiffres très officiels. Il y a 541 faits, contre 311 en 2017. C'est une très nette augmentation, mais on est en dessous des pics de 2014 et 2015, où les faits dépassaient les 800. Je le redis, ce ne sont pas les victimes qui produisent les statistiques, ce sont des statistiques produites par l'État, qui font simplement l'objet de recoupements avec des associations pour vérifier qu'on n'oublie aucun acte. Et le contexte international est similaire : + 66 % en Italie, + 10 % en Allemagne, + 50 % aux États-Unis. Même Israël n'est pas épargné, la synagogue Jonathan Sandler ayant été saccagée à Jérusalem. Si on met en parallèle l'augmentation assez nette des actes homophobes (+ 15 % sur les neuf premiers mois de 2018), on voit qu'on est dans un mouvement de rejet de l'autre, de la tolérance et de l'altérité. La figure du juif et de l'homosexuel comme boucs émissaires revient au premier plan.

Selon l'enquête de la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch, 44 % des Gilets jaunes croient à l'existence d'un « complot sioniste mondial ». A-t-on été trop indulgents vis-à-vis d'un mouvement qu'on décrivait au début comme purement social ?

Dès les premiers incidents racistes, homophobes et antisémites, je les ai dénoncés. Quelle que soit la manifestation, il ne faut jamais banaliser ces actes et insultes. J'ai trouvé qu'il y avait une forme d'indifférence face à ces slogans. Dans les vidéos des manifestations du samedi, on ne voyait pas beaucoup de gens s'indigner de la présence de ces pancartes du genre « Macron Rothschild » ou « Macron pute à juifs »...

Des figures à gauche, comme Aude Lancelin ou Thomas Guénolé, ont minimisé l'agression d'Alain Finkielkraut...

Le sujet n'est pas ce qu'a pu dire et écrire Alain Finkielkraut. Le sujet, c'est qu'un intellectuel a été insulté pour ce qu'il est, avec des insultes antisémites alors qu'il sortait de chez lui. Quand on lui dit « Retourne à Tel-Aviv », on voit très bien qu'on est dans des mouvements de haine et de rejet identitaire. C'est inacceptable, quels que soient l'adhésion ou le rejet qu'on porte à Alain Finkielkraut. Il ne faut jamais trouver d'excuses et de prétextes, et c'est pareil pour le racisme et l'homophobie.


La gauche antiraciste ne s'est-elle pas dévoyée ? Des associations indigénistes ont par exemple organisé une contre-manifestation mardi soir, avec une Houria Bouteldja qui expliquait que du PS à la droite, on aurait « œuvré pendant plus de vingt ans à une politique profondément islamophobe et pro-israélienne »...

Cette gauche-là se fourvoie. Dans ma mission, je ne hiérarchise jamais la haine. Nous combattons toutes les manifestations de haine. C'est dommage que dans une occasion comme ça, qui devrait être marquée par le consensus et le rassemblement contre l'antisémitisme, certains cherchent à entretenir les divisions.

Un sondage de la Fondation Jean-Jaurès a récemment montré que 10 % des Français interrogés n'ont jamais entendu parler du génocide des juifs, et ce chiffre s'élève à 21 % chez les 18-24 ans...

C'est un sondage que la Dilcrah avait commandé, parce qu'une étude de CNN affirmait que 20 % des jeunes ne connaissaient pas le terme holocauste. On s'était dit que comme c'était le terme américain d'« holocauste » qui n'est plus utilisé en France, cela pouvait expliquer ce chiffre élevé. Nous avons ainsi choisi le mot « génocide ». Mais les résultats ont été les mêmes chez les 18-24 ans. On peut se demander comment transmettre l'histoire de la Shoah et l'utiliser dans la lutte contre l'antisémitisme. Le constat, c'est que l'enseignement de la Shoah basé uniquement sur l'émotion (avec des grands témoins et des visites de lieux de mémoire), ça ne suffit pas. Il faut plus déconstruire les mécanismes politiques et sociaux. On a ainsi besoin de traiter de l'histoire des génocides au XXe siècle, en parlant aussi du Rwanda ou de l'Arménie, non pas pour comparer ou hiérarchiser, mais pour montrer les processus, la recherche des boucs émissaires, le rejet des élites, la préparation organisée de l'extermination... Le mémorial de la Shoah, le camp des Milles ou le centre du patrimoine arménien dans la Drôme travaillent là-dessus.

L'autre grande annonce d'Emmanuel Macron au dîner du Crif concerne la lutte contre la haine sur Internet...

Une proposition de loi sera déposée en mai, prévoyant des délais courts pour retirer les contenus appelant à la haine et des sanctions financières. C'est le modèle allemand. Là-bas, les géants de l'Internet ont été amenés à recruter beaucoup de modérateurs, et le bilan est très positif. On veut aussi être plus efficace sur les sites miroirs. Nous avons obtenu le blocage de Démocratie participative, mais le site est réapparu sous d'autres formes. Il faut dans notre législation permettre qu'on puisse dire aux fournisseurs d'accès de bloquer des sites miroirs, et ne plus avoir à refaire un jugement à chaque fois.

Vous venez d'obtenir la fermeture du compte Twitter de Rivarol. Est-ce vraiment utile ?

Ce compte publiait des contenus néonazis de manière répétée. Les lois de la République doivent s'appliquer. Je m'étonne simplement qu'il ait fallu tant de mois pour que Twitter obtempère...

Selon le sociologue Danny Trom, qui vient de publier La France sans les juifs (PUF), le départ massif des juifs d'Europe est inéluctable. Est-ce excessif  ?

Je n'adhère absolument pas à cette thèse. Les chiffres de l'alyah ont baissé par rapport à 2014-2015, et les retours après une année en Israël seraient de 30 %. En revanche, on observe de manière très nette une recomposition interne des populations juives d'un point de vue géographique. Le consistoire central voit très bien quelles synagogues sont fréquentées ou pas. Il y a un dynamisme fort autour du 17e arrondissement de Paris, Saint-Maur-des-Fossés ou Saint-Mandé, aux dépens des territoires beaucoup plus populaires de la Seine-Saint-Denis. De plus en plus de familles s'installent aussi à Bordeaux, venant de la région parisienne. Ce mouvement va bien au-delà de l'attractivité que peut avoir cette ville. Ces mouvements m'inquiètent, car ils renforcent des formes de repli sur une communauté et sur une identité. Emmanuel Macron a d'ailleurs annoncé un audit de tous les établissements scolaires touchés par la déscolarisation des enfants de confession juive. Il n'y a pas de tabou là-dessus, puisque le président lui-même considère qu'il y a un gros problème et qu'il vaut mieux le comprendre.

Lire aussi Antisémitisme : les juifs vont-ils quitter la France  ?

Marlène Schiappa a créé une polémique en évoquant des « convergences idéologiques » sur l'homophobie et l'antisémitisme entre la Manif pour tous et l'islamisme...

Je crois que dans des familles politiques très opposées, il peut y avoir en partage une forme d'extrême-conservatisme sur les mœurs, ainsi qu'une obsession identitaire. Le rapprochement de Marlène Schiappa est en cela cohérent et se tient intellectuellement. J'utilise souvent l'expression d'« extrémisme identitaire ». Cet extrémisme est dangereux, qu'il soit motivé par la religion, l'origine géographique ou la classe sociale. J'oppose à cela la tolérance, l'émancipation des individus, le métissage et la République.

Lire aussi Cordelier - Feu sur les catholiques !

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Commentaires (13)

  • mura97120

    L’anti sémitisme d’extrême-droite existe certainement mais il n’a tué personne en France depuis la dernière guerre.
    Pas plus qu’il n’a fait fuir nos concitoyens juifs de certains départements.
    l’anti sémitisme islamiste est une réalité certaine mortelle parfois, ostracisante souvent.
    avec la bénédiction d’une certaine extrême gauche, telle cette autrice en pentes et ce survivant pas totalement rouillé d’un groupe terroriste.

  • nominoe

    Pour lui il y a 2 antisemitismes : l'historique de l'extrême droite et fait nouveau il reconnait enfin l'islamisme radical ou salafiste. Et surtout il tait le plus lourd antisémitisme qui monte chaque jour de l'antisémitisme de l'ultragauche, qui utilise sciemment les codes (croix gammées, inscriptions) de l'extrême droite pour leur faire porter le chapeau. Et cela marche : toute la mediacratie, les politiques tombent dans le panneau. Ainsi l'extrême gauche réalise deux rêves : maintenir l'extrême droite dans un role marginal de pestifere ( qui arrange bien tout l'échiquier politique) et faire peur aux juifs en esperant qu'ils fuient la France en laissant sur place leurs richesses.

  • librepenseuse

    Contrairement à la précipitation punitive de commentaires inspirés par la peur et le souci d'immédiateté.