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Supermax : La pire prison du monde

Par Jean-Michel Caradec'h , Mis à jour le

Hérissé de tours de garde comme une forteresse de science-fiction, le pénitencier de Florence (Colorado), réputé la prison la plus impitoyable des Etats-Unis, a été baptisé  l’« Alcatraz des Rocheuses » ou le « Trou de l’enfer ». Les détenus y sont soumis à un strict isolement, doublé d’une privation sensorielle systématique.

Miradors de la prison fédérale à sécurité maximum de Florence (ADX). Ouverte en 1994, elle abrite 402 détenus à l’isolement complet.
Miradors de la prison fédérale à sécurité maximum de Florence (ADX). Ouverte en 1994, elle abrite 402 détenus à l’isolement complet. © Chris McLean/AP/SIPA
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Les portes des cellules ne s’ouvrent qu’une heure par 24 heures. A n’importe quel moment, de jour comme de nuit
Les portes des cellules ne s’ouvrent qu’une heure par 24 heures. A n’importe quel moment, de jour comme de nuit © Lizzie Himmel / Sygma via Getty Images
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Les détenus n’ont droit qu’à un appel par mois. Ils peuvent en « gagner » d’autres pour « bonne conduite ».
Les détenus n’ont droit qu’à un appel par mois. Ils peuvent en « gagner » d’autres pour « bonne conduite ». © Lizzie Himmel / Sygma via Getty Images
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Theodore Kaczynski au parloir, autorisé à donner une interview au « Time Magazine » en 1999. De 1978 à 1995, « Unabomber » a envoyé 16 lettres piégées faisant 3 morts et 23 blessés.
Theodore Kaczynski au parloir, autorisé à donner une interview au « Time Magazine » en 1999. De 1978 à 1995, « Unabomber » a envoyé 16 lettres piégées faisant 3 morts et 23 blessés. © Stephen J. Dubner / Getty Images
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La cellule de 7 m2. A gauche, la cabine de douche. Le lit, la table, la tablette et le tabouret sont moulés dans le béton
La cellule de 7 m2. A gauche, la cabine de douche. Le lit, la table, la tablette et le tabouret sont moulés dans le béton © Lizzie Himmel / Sygma via Getty Images
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Escaliers et couloirs forment un véritable labyrinthe voulu par les architectes.
Escaliers et couloirs forment un véritable labyrinthe voulu par les architectes. © Lizzie Himmel / Sygma via Getty Images
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Une salle dite « de sport », utilisée solitairement par les rares détenus qui ont acquis ce privilège.
Une salle dite « de sport », utilisée solitairement par les rares détenus qui ont acquis ce privilège. © Lizzie Himmel / Sygma via Getty Images
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Les détenus notoires de ADX Florence. De g. à dr. : Eric Rudolph (bombe aux JO d’Atlanta) ; Robert Hanssen (agent double) ; Luis Felipe (chef du King Blood Gang) ; Barry Mills (chef du gang Aryan Brotherhood, mort en 2018) ; Djokhar Tsarnaev (attentat du marathon de Boston) ; Zacarias Moussaoui (seul condamné pour les attentats du 11 septembre) ; Dr Michael Swango (tueur en série).
Les détenus notoires de ADX Florence. De g. à dr. : Eric Rudolph (bombe aux JO d’Atlanta) ; Robert Hanssen (agent double) ; Luis Felipe (chef du King Blood Gang) ; Barry Mills (chef du gang Aryan Brotherhood, mort en 2018) ; Djokhar Tsarnaev (attentat du marathon de Boston) ; Zacarias Moussaoui (seul condamné pour les attentats du 11 septembre) ; Dr Michael Swango (tueur en série). © DR
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Miradors de la prison fédérale à sécurité maximum de Florence (ADX). Ouverte en 1994, elle abrite 402 détenus à l’isolement complet.
Miradors de la prison fédérale à sécurité maximum de Florence (ADX). Ouverte en 1994, elle abrite 402 détenus à l’isolement complet. © Chris McLean/AP/SIPA
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Les portes des cellules ne s’ouvrent qu’une heure par 24 heures. A n’importe quel moment, de jour comme de nuit
Les portes des cellules ne s’ouvrent qu’une heure par 24 heures. A n’importe quel moment, de jour comme de nuit © Lizzie Himmel / Sygma via Getty Images
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Les détenus n’ont droit qu’à un appel par mois. Ils peuvent en « gagner » d’autres pour « bonne conduite ».
Les détenus n’ont droit qu’à un appel par mois. Ils peuvent en « gagner » d’autres pour « bonne conduite ». © Lizzie Himmel / Sygma via Getty Images
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Theodore Kaczynski au parloir, autorisé à donner une interview au « Time Magazine » en 1999. De 1978 à 1995, « Unabomber » a envoyé 16 lettres piégées faisant 3 morts et 23 blessés.
Theodore Kaczynski au parloir, autorisé à donner une interview au « Time Magazine » en 1999. De 1978 à 1995, « Unabomber » a envoyé 16 lettres piégées faisant 3 morts et 23 blessés. © Stephen J. Dubner / Getty Images
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La cellule de 7 m2. A gauche, la cabine de douche. Le lit, la table, la tablette et le tabouret sont moulés dans le béton
La cellule de 7 m2. A gauche, la cabine de douche. Le lit, la table, la tablette et le tabouret sont moulés dans le béton © Lizzie Himmel / Sygma via Getty Images
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Escaliers et couloirs forment un véritable labyrinthe voulu par les architectes.
Escaliers et couloirs forment un véritable labyrinthe voulu par les architectes. © Lizzie Himmel / Sygma via Getty Images
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Une salle dite « de sport », utilisée solitairement par les rares détenus qui ont acquis ce privilège.
Une salle dite « de sport », utilisée solitairement par les rares détenus qui ont acquis ce privilège. © Lizzie Himmel / Sygma via Getty Images
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Les détenus notoires de ADX Florence. De g. à dr. : Eric Rudolph (bombe aux JO d’Atlanta) ; Robert Hanssen (agent double) ; Luis Felipe (chef du King Blood Gang) ; Barry Mills (chef du gang Aryan Brotherhood, mort en 2018) ; Djokhar Tsarnaev (attentat du marathon de Boston) ; Zacarias Moussaoui (seul condamné pour les attentats du 11 septembre) ; Dr Michael Swango (tueur en série).
Les détenus notoires de ADX Florence. De g. à dr. : Eric Rudolph (bombe aux JO d’Atlanta) ; Robert Hanssen (agent double) ; Luis Felipe (chef du King Blood Gang) ; Barry Mills (chef du gang Aryan Brotherhood, mort en 2018) ; Djokhar Tsarnaev (attentat du marathon de Boston) ; Zacarias Moussaoui (seul condamné pour les attentats du 11 septembre) ; Dr Michael Swango (tueur en série). © DR
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Toi qui entres ici abandonne toute espérance. » Le fronton de la prison de Sécurité maximum (ADX) de Florence, dans le Colorado, mérite d’arborer la devise de « L’enfer » de Dante.
La genèse de Florence ADX remonte aux violents incidents de 1983 au pénitencier fédéral de Marion (Illinois), au cours desquels deux gardiens ont été poignardés par des membres de la Fraternité aryenne, un gang de suprémacistes blancs . Le BOP (Bureau fédéral des prisons) décide alors un « confinement maximum » du pénitencier. Les détenus sont consignés vingt-deux heures et demie par jour, dans des cellules individuelles de 8 mètres carrés. Les activités de formation professionnelle et de loisirs (promenades, sports, offices religieux) ainsi que toute socialisation (conversations entre détenus, activités collectives) sont supprimées. Ceux qui se révoltent sont maîtrisés au Taser et attachés nus sur le lit en béton, sans matelas, pendant plusieurs jours. En dépit d’un rapport d’Amnesty International dénonçant ces mesures, qui violent les conditions de traitement des prisonniers dictées par l’Onu, ADX Marion est devenu le pionnier d’une nouvelle politique du système pénitentiaire américain.

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Le BOP décide alors la construction d’une prison fédérale conçue sur ce nouveau concept destiné, selon son directeur Norman Carlson, à « contrôler les détenus suffisamment désespérés pour assassiner des gardiens ou d’autres détenus dans l’espoir d’être condamnés à mort ». Les habitants de Florence, enthousiasmés par la perspective de 800 emplois permanents et d’un millier de jobs temporaires, se cotisent pour acheter (160 000 dollars) les 240 hectares de terrain nécessaires à sa construction. Le collège local décide d’adapter son enseignement par des cours de « justice criminelle », avec la promesse, pour ses élèves, d’un entretien d’embauche à la prison. ADX Florence, qui a coûté 60 millions de dollars, ouvre ses portes en 1994. Un complexe de 15 hectares, entouré de grillages et de murs surmontés de fils de fer barbelés, de lames de rasoir et de miradors, qui ressemble à d’autres établissements pénitentiaires. La différence se situe à l’intérieur.

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L’agencement des couloirs et des cellules individuelles, imaginé par deux cabinets d’architectes de Colorado Springs, est conçu comme un labyrinthe où l’on perd tout sens de l’orientation. Les « cours de promenade » sont des cages individuelles construites dans des puits de béton d’où l’on aperçoit à peine un carré de ciel. Les cellules sont le pur produit d’un engineering paranoïaque. De 7 mètres carrés de surface (3,5 × 2 mètres), construites en béton, avec des murs insonorisés pour éviter que les détenus ne communiquent en morse. Le mur du fond est percé d’une meurtrière de 90 centimètres de haut sur 7,62 centimètres de large équipée d’une vitre opaque. L’éclairage est fourni par une bande lumineuse fluorescente commandée de l’extérieur. La porte en acier, munie d’un guichet, est doublée par une grille fermée formant un sas à l’intérieur. Le matériel, moulé dans du béton, est fixé au mur ou au sol : une dalle pour le lit, une tablette formant bureau devant un tabouret en ciment, une étagère pour poser (éventuellement) un téléviseur, un lavabo et des toilettes en Inox, avec des boutons antidébordements, et une douche coulée dans le sol dont le débit et la durée sont mesurés par un minuteur.

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C’est dans ce pénitencier que devrait être jeté vivant le chef du cartel de Sinaloa (Mexique), Joaquin Guzman, dit « El Chapo »

A Florence, les détenus sont confinés vingt-trois heures sur vingt-quatre dans leurs cellules, sans autre contact que celui des gardiens qui apportent leurs repas et les emmènent en promenade. Ceux-ci ont pour consigne de ne s’adresser aux détenus que pour les besoins du service ; les réclamations doivent être posées par écrit sur un formulaire. La circulation de tout prisonnier suit un rituel immuable. Revêtu d’une combinaison orange, il doit présenter ses mains dans le dos à travers le guichet de la porte pour qu’on lui passe les menottes. Il s’agenouille ensuite sur le seuil afin qu’on entrave ses chevilles et qu’on lui fixe une « chaîne de ventre ». Toujours escorté de trois gardiens (deux le soutiennent par les bras et le troisième suit derrière, armé d’un M16), il déambule le long d’un tunnel vers une destination inconnue. Le système de caméras permet de suivre chaque déplacement et d’éviter que des détenus ne se croisent. Les grilles et les 1 400 portes en acier, télécommandées électroniquement, s’ouvrent et se ferment à mesure que le cortège progresse.

C’est dans ce pénitencier que devrait être jeté vivant le chef du cartel de Sinaloa (Mexique), Joaquin Guzman, dit « El Chapo », reconnu coupable de dix chefs d’accusation par un tribunal de New York. Entre autres, pour avoir exporté plusieurs tonnes de cocaïne et drogues diverses aux Etats-Unis, de 1989 à 2014, et avoir fait torturer et assassiner des dizaines de personnes. Sa condamnation, prévue pour juin, devrait être de plusieurs perpétuités augmentées d’une cinquantaine d’années de prison, comme l’autorise la justice américaine qui ne pratique pas de confusion des peines. El Chapo s’était évadé en 2015 d’Altiplano, une prison de haute sécurité, par un tunnel de 1,5 kilomètre. Repris par la police mexicaine en janvier 2016, il est extradé aux Etats-Unis, un an plus tard, contre la promesse qu’il n’encourait pas de condamnation à mort, peine abolie par le Mexique en 2005. Mais ce qui l’attend est peut-être pire.

Chaque transfert dans une unité supérieure se mérite par un calcul de « jours bonus » pour bonne conduite

Dès son incarcération à Florence, El Chapo, comme tous les nouveaux arrivants, sera placé au niveau 0 (Control Unit), la plus sécurisée des cinq unités en usage dans les prisons Supermax. Un seul appel téléphonique par mois et pas de visite, pas de télévision, pas de courrier et pas de cantine. Au bout de six mois à un an de ce régime, le détenu « exemplaire » peut passer au niveau supérieur (Special Security Unit) qui lui permet de gagner des coups de téléphone, un téléviseur (à programme déterminé) et le droit de cantiner (achat de denrées et vêtements au magasin de la prison) pour un montant qui ne doit pas dépasser 215 dollars par mois. Chaque transfert dans une unité supérieure se mérite par un calcul de « jours bonus » pour bonne conduite. Il correspond à un savant catalogue de bons et mauvais comportements et des sanctions y afférant, consultables dans le règlement intérieur. Le narcotrafiquant va se retrouver dans le carré VIP des quelque 400 détenus de Florence.

La grande majorité des prisonniers y ont été transférés depuis d’autres établissements pénitentiaires, sur décision de l’administration, pour comportement dangereux (meurtres, agressions de détenus ou de gardiens, tentatives d’évasion…). Un petit nombre de détenus y ont été envoyés directement parce qu’ils mettent en danger la « sécurité nationale » pour terrorisme, haute trahison ou comme chefs de gang. Parmi les étrangers (la plupart membres d’Al-Qaïda) : le Français Zacarias Moussaoui, qui purge six condamnations à perpétuité pour l’attentat du 11 septembre ; Faisal Shahzad, auteur de l’attentat à la bombe à Times Square, en 2010 ; Ramzi Yousef, cerveau de l’attentat contre le World Trade Center, en 1993. Parmi les terroristes américains : Terry Nichols, coauteur de l’attentat d’Oklahoma City en 1995 (161 peines à perpétuité) avec Timothy McVeigh, transféré en 1997 ; Djokhar Tsarnaev, auteur en 2013, avec son frère Tamerlan, de l’attentat de Boston (condamné à mort) ; Theodore Kaczynski, dit « Unabomber », auteur de lettres piégées (6 condamnations à vie) ; Eric Rudolph (Armée de Dieu), auteur de l’attentat des JO d’Atlanta en 1996… Parmi les agents doubles : Robert Hanssen, l’agent du contre-espionnage du FBI qui a livré pendant vingt ans à l’URSS puis à la Russie les noms d’agents américains en mission (15 condamnations à perpétuité) ; Noshir Gowadia, ingénieur concepteur du bombardier furtif B-2, qui a fourni les plans de missile furtif à la Chine (32 ans de prison). Une mention spéciale pour Thomas Silverstein, chef du gang Aryan Brotherhood (Fraternité aryenne) qui, pour avoir assassiné un gardien de la prison de Marion, est devenu l’« inventeur » des pénitenciers Supermax.

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J’ai tellement mal à l’intérieur que je veux avoir mal à l’extérieur

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Une soixantaine d’établissements Supermax fonctionnent aujourd’hui aux Etats-Unis, certains Etats isolant ainsi 5 % de leur population carcérale, et jusqu’à 12 % dans le Mississippi… sans que le niveau de violence dans les prisons générales en soit véritablement affecté. Initié pour assurer une sécurité maximum pour le personnel et les autres détenus, l’isolement cellulaire de longue durée est surtout une peine de substitution à la mort. Après quelques mois de solitude extrême et d’ennui, les détenus, même les plus solides, commencent à perdre la raison. Hallucinations, panique, dépression, certains développent un épisode psychotique ou catatonique, soigné à coups de molécules. « Je me sens comme un enterré vivant. Tout le monde marche au-dessus de moi. Je les entends mais eux ne m’entendent pas », explique un détenu de ADX Red Onion en Virginie.

D’autres parviennent à résister en accumulant, par esprit de conservation, une colère contre le système. Comme les prisonniers de guerre, notent des chercheurs de la Navy, ils n’ont qu’une envie : se révolter, seul moyen de maintenir leur santé mentale. Un minuscule événement devient alors motif de haine, explique un détenu : « J’ai tellement mal à l’intérieur que je veux avoir mal à l’extérieur. » Cette révolte (refus de s’alimenter, de ranger sa cellule, menaces…) provoque l’intervention musclée des gardiens avec, comme conséquence, le maintien ou la rétrogradation en unité de contrôle. La dimension « rééducative » de l’isolement est perverse : ceux qui s’y adaptent en se révoltant sont condamnés à y rester et perdent le droit de retourner dans le monde social, prison ou société libre. Cette faillite du système est pointée en vain par des recours déposés par des avocats et des organisations internationales. Le Congrès des Etats-Unis a pourtant statué que l’isolement cellulaire prolongé était une « punition infâme à l’origine de graves troubles mentaux ». Mais c’était… en 1890. 

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