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Contre l'antisémitisme, le cri du coeur d’Isabelle Choko, rescapée de la Shoah

RENCONTRE - Profanations, insultes, tags… Depuis quelques semaines, les actes antisémites se multiplient en France. Une fièvre qui rappelle à Isabelle Choko, 90 ans, des souvenirs douloureux du passé. Rescapée de la Shoah, elle n’a jamais cessé son combat contre la haine.

Emmanuel Haddek , Mis à jour le
Isabelle Choko, chez elle à Boulogne-Billancourt, jeudi.
Isabelle Choko, chez elle à Boulogne-Billancourt, jeudi. © Emmanuel Haddek

Isabelle Choko lance un cri, de douleur, de colère, de tristesse et d’espoir. En tout cas un cri du coeur. "Je sens la montée d’une fièvre ces derniers temps. Les choses sont brûlantes. Je n’aurais jamais pensé que tout cela arrive après la déportation et ce miracle d’avoir survécu. Pour moi, il existe deux choses : la haine et l’amour. La haine, ça détruit tout, la vie, les Etats, les hommes. L’amour fait vivre, il permet de vivre ensemble. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, une partie de l’humanité l’a complètement oublié".

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Isabelle Choko a connu l’enfer. D’abord dans le ghetto de Lodz en Pologne, sa ville de naissance, où elle a été enfermée jusqu’à ses 15 ans. Là-bas, son père est décédé. Elle et sa mère ont tenté de se cacher mais elles ont rapidement été découvertes par les nazis et déportées à Auschwitz-Birkenau. En arrivant, le destin ou "la chance", comme elle le dit, les a mis devant un homme qui les sauvera. Il leur a fait prendre la file de gauche, celle du travail, et du chemin vers la vie.

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Une semaine après, les deux femmes ont quitté Auschwitz pour rejoindre le camp de Bergen-Belsen. Sa mère est tombée malade, elle est décédée dans ses bras. La jeune fille a alors commencé un long combat contre la mort : "J’étais presque passée de l’autre côté, ma mère venait de mourir dans mes bras. Je ne pouvais plus bouger, je ne pouvais plus manger, et on m’a sauvé", se souvient-elle.

Face à l'antisémitisme, "nous sommes dans l’urgence"

Après la libération des camps, Isabelle Choko est venue s’installer à Paris. Elle nous reçoit dans son grand appartement de Boulogne-Billancourt. Passionnée par l’art, des dizaines de tableaux sont accrochés aux murs. Son regard est vif, sa voix, apaisée, teintée des accents de son pays d’origine. Mais quand vient le moment d’aborder l’actualité, son ton devient grave. Elle se redresse de son fauteuil, lève le doigt et met en garde.

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Le portrait de Simone Veil couvert de croix gammées, la devanture d’un restaurant Bagelstein taguée de l’inscription "Juden" ("Juif" en Allemand), Alain Finkielkraut insulté samedi dernier, ou encore ces tombes juives profanées en Alsace. Les choses s’enchaînent. Isabelle Choko regarde, à travers le prisme de sa propre histoire, et s’inquiète. "J’ai regretté de ne pas pouvoir être dans la rue mardi dernier au rassemblement contre l’antisémitisme, mais mon âge ne me le permet plus, j’étais de tout coeur avec eux. Ce que j’ai apprécié, c’est que tout le monde, partis politiques et citoyens, se rassemble. Nous sommes dans l’urgence. Moi, ma vie est pratiquement terminée, je n’ai peur de rien. Mais il faut le faire pour nos enfants".

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J’ai regretté de ne pas pouvoir être dans la rue mardi dernier au rassemblement contre l’antisémitisme

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Ses paroles sont calmes, elle marque un long silence. Puis comme prise d’un sursaut de fureur, elle crie : "Il faut arrêter tout ça, et rapidement". Un ordre lancé par la voix de celle qui sait où tout cela peut nous mener. Peu à peu, la femme tranquille laisse place à la femme révoltée. "Je ne me suis jamais engagée en politique, je veux pouvoir dire ce que je veux, quand je veux".

Son témoignage au procès de Jean-Marie Le Pen

En février 2016, Isabelle Choko avait pris la parole lors du procès de Jean-Marie Le Pen , qui était jugé pour ses propos sur les chambres à gaz. Elle se souvient des paroles qu’elle avait prononcées à la barre et le redit avec la même force : "Si les barbares d’aujourd’hui disaient qu’il faut assassiner toutes les jeunes femmes blondes aux yeux clairs et qu’on assassinait les filles de monsieur Le Pen, est-ce qu’il dirait que c’est un détail de l’histoire?".

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Je ne me suis jamais engagée en politique, je veux pouvoir dire ce que je veux, quand je veux

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A 15 ans, la jeune Isabelle était la même, tout autant insoumise face à la haine : "Un jour, une femme SS a menacé ma mère avec un revolver, je me suis dressée devant elle est j’ai dit ‘on ne touche pas à ma mère’". A la réaction d’admiration suscitée par son histoire, elle répond d’un sourire malicieux. Elle marque encore un silence, son sourire s’efface. "On me demande souvent si j’ai pardonné aux nazis. A chaque fois, je réponds la même chose : ‘Moi je suis encore vivante, posez plutôt la question aux morts’". 

Son combat contre l’antisémitisme, elle le mène depuis 30 ans en racontant son histoire aux jeunes générations. Sa manière à elle de descendre dans la rue. "J’ai mis du temps à témoigner, il fallait d’abord que je m’éloigne de la petite fille que j’étais à l’époque", explique-t-elle. "Plus je vieillis, plus c’est simple".

Transmettre la mémoire

Impossible de ne pas s’intéresser aux trésors que renferme son salon : livres anciens, œuvres d’art, sculptures... Et cachées parmi eux, des lettres par centaines, envoyées par des lycéens et des professeurs. Elle les sort toutes, fière. L’une d’elle dit : "Si la chance vous a permis de survivre, elle nous a donné le privilège d’être les témoins de demain". Ces mots ont été écrits par les élèves du lycée Darius Milhaud du Kremlin-Bicêtre, mais elle en reçoit de toute la France, et d’ailleurs. Ces lettres, elle veut les transmettre à son tour : "Je vais les rassembler, avec celles que reçoivent d’autres rescapés, et en faire un livre. Il faut qu’elles soient lues, qu’elles soient entendues".

Isabelle Choko croit en la jeunesse et elle le montre aujourd’hui. "Il est plus que jamais nécessaire que les gens soient au courant de ce qui s’est passé. Je suis contente que ce soit un jeune journaliste qui vienne me voir. Mon rôle de transmission envers la jeunesse n’est plus important, il est devenu capital".

Deux heures de rencontre étaient trop courtes pour qu’Isabelle Choko ait le temps de raconter toute son histoire. Mais, fidèle à elle-même et à son engagement, elle nous offre le livre* qui renferme son témoignage. Un petit morceau de sa mémoire. Un dernier sourire, puis elle referme la porte, confiante.

La Jeune Fille aux yeux bleus, Isabelle Choko, Editions Le Manuscrit / Fondation pour la Mémoire de la Shoah, 2014.

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