Souleimane - Suis-je juif ?

CHRONIQUE. Le jeune écrivain syrien installé en France raconte son expérience de l'antisémitisme dans le métro parisien il y a quelques années.

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« Je suis juif quand il s'agit de l'Holocauste ou lorsque les islamistes invitent à anéantir les juifs. »

« Je suis juif quand il s'agit de l'Holocauste ou lorsque les islamistes invitent à anéantir les juifs. »

Temps de lecture : 4 min

Minuit dans le métro parisien. Il tend le bras et palpe doucement la poche de l'homme assis juste derrière lui. Le pickpocket est en face de moi et personne ne remarque son manège. D'un clin d'œil, il me signifie de ne rien dire et je le regarde à mon tour avec insistance. Il ne trouve rien à voler dans la poche de son voisin et échange quelques mots dans un dialecte du Maghreb avec son camarade. Je détourne le regard jusqu'à l'arrivée à la station Robespierre.

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Le pickpocket se lève, s'approche de moi et me demande un mouchoir. Je ne réponds pas. Il me demande alors comment je m'appelle. Je n'ouvre pas la bouche. «  Je hais les juifs, vous êtes des tueurs, des animaux, vous détestez les musulmans. Je vais te casser la gueule, je vais te tuer  », me dit-il en français. Il pose ses mains autour de mon cou et m'étrangle presque. Je prends ses mains et le repousse vivement. Il recule d'un pas, s'arrête devant la porte de la rame qui vient de s'ouvrir. Il sort alors un couteau de sa poche et hurle : «  Sale juif, espèce de connard ! Descends et tu vas voir ce que je vais faire de toi !  » Un des voyageurs se lève et lui donne un coup de pied qui le fait tomber sur le quai où son copain le suit. Je dis alors aux voyageurs : «  D'habitude je ne suis pas juif, mais aujourd'hui je le suis.  » Le signal de départ retentit et les portes se referment. Depuis le quai, le pickpocket fait glisser une vitre du wagon et me crache dessus ainsi que sur l'homme qui l'a frappé. Le métro repart. Une jeune fille se met à pleurer, elle veut retourner à la station Robespierre histoire de lui apprendre la politesse. Son ami la calme et, arrivés au terminus, tout le monde descend.

«  Vous, les Souleimane, vous êtes bien des juifs. Pas étonnant que vous fassiez autant de mal autour de vous !  »

Chaque fois que ma grand-mère se disputait avec mon grand-père, elle lui disait : «  Vous, les Souleimane, vous êtes bien des juifs. Pas étonnant que vous fassiez autant de mal autour de vous !  » Je me demandais alors pourquoi ma grand-mère répétait à l'envi ces paroles. Une fois, j'ai osé poser la question à mon oncle. Il m'a répondu qu'à l'époque ottomane, un de nos ancêtres, appelé Souleimane, était un commerçant juif de Damas. Quelques années plus tard, j'ai étudié l'arbre généalogique de la famille et tout ce que j'ai trouvé, c'est que le père de mon grand-père s'appelait Younès. Il s'était établi à Quotayfa, à cinquante kilomètres au nord de Damas, comme beaucoup d'autres familles ayant quitté la capitale lors du mandat français.

Notre origine juive est toujours restée confuse et secrète. Dans notre village, comme dans tous les pays arabes, le mot «  juif  » est synonyme de bassesse, d'avarice, de haine et de perfidie. Dans mon enfance, je n'avais pas besoin de demander pourquoi nous détestions les juifs. Les aînés nous mettaient en garde de ne jamais rester seuls avec un juif, le prophète Mahomet ayant dit un jour : «  Un juif ne reste pas avec un musulman sans songer à le tuer. » Mon grand-père possédait un modeste magasin de chaussures à Quotayfa et chaque semaine se rendait à Damas s'approvisionner auprès d'un commerçant juif. Parfois, lorsqu'il rentrait tard le soir, ma grand-mère lui demandait s'il avait faim et lorsqu'il lui répondait qu'il avait mangé chez son collègue juif, elle lui rétorquait que c'était «  haram  » et que les gens du Livre ne doivent pas être pris comme amis.

Des «  racines  » juives, réelles ou fictives

Pendant les congés d'été, nous allions à la mosquée pour y apprendre le Coran et le cheikh nous répétait ce verset : «  Tu constateras que les plus agressifs vis-à-vis des croyants sont les juifs et les polythéistes  » (Coran, sourate 5, La table dressée, verset 82). Il nous racontait l'histoire de la bataille contre la tribu juive des Banu Quorayza pendant laquelle le prophète aurait fait égorger 40 hommes, 300 d'après certaines sources. Après quoi il s'empara de leurs terres, de leurs biens, de leurs femmes et de leurs enfants pour avoir collaboré avec les Quoreychites lors de la bataille du Fossé. Après tous ces récits et ces textes pleins de haine, je ne m'étonnais plus que ma grand-mère utilise le mot juif à chaque fois qu'elle voulait insulter mon grand-père.

L'incident du pickpocket a précédé de deux mois le massacre de l'équipe de Charlie Hebdo et des clients juifs de l'Hyper Cacher. Un pickpocket arabe a agressé un autre Arabe issu d'une famille musulmane pensant qu'il était juif du fait de son apparence physique. Je me dois de le remercier pour m'avoir rappelé les «  racines  » juives de ma famille, qu'elles soient réelles ou fictives. Si elles étaient prouvées, cela ne changerait rien à ma façon de voir le monde. Quoi qu'il en soit, je suis juif quand il s'agit de l'Holocauste ou lorsque les islamistes invitent à anéantir les juifs. Je suis juif et je suis fier d'avoir combattu les régimes qui persécutent les juifs tout en condamnant, dans le même temps, la politique de l'État d'Israël à l'égard des civils palestiniens.

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Commentaires (9)

  • furlukin

    ... Qui nous présente une scène de l'antisémitisme sinon exactement français, du moins tel qu'on peut l'observer en France.

    Car nous assistons là à une algarade entre l'antisémitisme d'un Maghrébin culturel - fût-il éventuellement de nationalité française - et un Syrien de rencontre qu'il a pris pour un juif en raison de son seul look (et qui l'est d'ailleurs peut-être en partie par ses origines lointaines, ce qui n'excuse absolument pas l'agression).

    C'est dire s'il s'agit d'un antisémitisme à base "raciale" comme conçu sous le IIIème Reich et non à base religieuse comme ce fut le cas des "dhimmis" juifs et chrétiens dans le monde musulman, puisqu'à aucun moment l'agresseur ne s'inquiète de la religion de sa victime...

    Il faut dire que les deux aspects se mélangent souvent pour n'en faire plus qu'un dans la tête obtuse de ces pénibles rétrogrades.

  • jo2666

    Les racines de l'antisémitisme sont dans le catholicisme et l'islam pour une raison parmi d'autres, mais commune : la haine de l'argent qui était (et est encore) vivace chez les conservateurs des deux religions. Les juifs sont devenus marchands ou banquiers, parce que chrétiens et musulmans n'avaient (ou pour certains n'ont pas) le droit de travailler avec l'argent.

  • satoralj

    L'évènement que vous rapportez conforte, s'il le fallait, le fait qu'il n'y a pas de bon ou de mauvais arabes, juif, chrétien, noir, français, azerbaïdjanais, etc. Qualifier une personne par son appartenance à un groupe ethnique ou une religion c'est faire preuve de stupidité et d'ignorance. Dans cette évènement, il y a une vermine et un homme de bien : l'important c'est ce qu'il y a dans la tête.