Des agriculteurs bio attaquent l’Etat pour non-paiement des aides

Les agriculteurs bio attendent parfois depuis trois ans les aides promises à la conversion. Alors qu’Emmanuel Macron est attendu au Salon de l’agriculture ce samedi, ils nous annoncent qu’ils attaquent l’Etat devant le tribunal administratif. Une première.

 «L’état ne respecte pas sa parole et freine le développement du bio», estime Guillaume Riou, président de la Fédération nationale de l’agriculture bio.
«L’état ne respecte pas sa parole et freine le développement du bio», estime Guillaume Riou, président de la Fédération nationale de l’agriculture bio. Odile Plichon (@oplichon) et Emilie Torgemen (@Emilie Torgemen)

    Trop, c'est trop. La Fédération nationale de l'agriculture bio (FNAB) entend frapper un grand coup à la veille de l'ouverture du Salon international de l'agriculture : ce vendredi, trois premiers exploitants sous label bio ont donc attaqué en justice le ministère de l'Agriculture.

    « Voilà plus de trois ans que cela dure. L'état ne respecte pas sa parole et freine le développement du bio, estime Guillaume Riou, président de la FNAB et agriculteur dans les Deux-Sèvres. Comment? « Parce qu'on ne peut pas investir, parce que des agriculteurs qui voudraient se convertir ne franchissent pas le pas. Et pourtant, on a l'impression de protéger les Français en évitant les pesticides, note-t-il et on voit bien que la consommation bio explose. » Résultat : on importe environ 30 % des produits bios qu'on met dans nos assiettes. Et ce n'est pas fini. On en réclame dans les cantines, l'objectif national est de multiplier par deux les surfaces cultivées en non conventionnel sous 3 ans…

    Alors ce vendredi les premiers agriculteurs bio, qui ont déposé une requête dite en « référé provision », exigent le remboursement des aides qu'on leur doit, respectivement 28 000, 38 000 et 54 000 euros pour les trois premiers plaignants.

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    Un autre paysan soutenu par la FNAB a lui entamé une procédure pour obtenir des indemnités, d'autres préparent en ce moment leur dossier. « Les indemnités couvrent des préjudices économiques, parce que les agriculteurs qui ont dû prendre des crédits à la place des aides dues par l'Etat, se retrouvent à payer des intérêts. D'autres voudraient des compensations pour préjudice moral. Faute de subvention, ils n'ont pas pu s'agrandir. Certains ont dû cesser leur activité », explique Félix Lepers, en charge de ce dossier à la FNAB qui veut croire que « les premiers jugements feront jurisprudence ».

    Selon la Fédération, à terme, environ 25 000 des 35 000 exploitants qui sont lancés dans l'aventure bio pourraient eux aussi initier une procédure pour réclamer leur dû.

    « Nous avons peut-être été trop gentils »

    Réunions avec le ministère, cri d'alarme dans la presse, manifestations à gogo, saisie du défenseur des droits… avant de taper du poing sur la table, les agriculteurs bios auront utilisé toutes les voies amiables, afin de récupérer l'argent que l'Etat leur doit depuis plusieurs années. « Nous avons peut-être été trop gentils », résume Guillaume Riou.

    Au ministère de l'Agriculture, que nous avons contacté, on rappelle que « pour les campagnes 2016 et 2017, les agriculteurs ont déjà touché une avance de trésorerie à hauteur de 80 % en moyenne ». Pour ces deux années, il reste 272 millions d'euros d'aides bio en retard, et si l'on soustrait les avances, il reste donc environ 55 millions d'euros d'argent frais à leur verser. Par ailleurs, « du personnel a été embauché en plus pour accélérer les règlements et le rattrapage du retard », assure-t-on.

    « Un schmilblick complexe »

    Mais comment l'Etat a-t-il pu ne pas s'acquitter des aides promises ? « Au tout début, vers 2015, la France a été condamnée par la commission européenne à redessiner la carte de toutes les parcelles », explique Félix Lepers. Un travail de Titan, notamment confié à l'époque à des… sous-traitants indiens !

    Ajoutez à cela le fait que les aides sont octroyées par les régions – « un schmilblick complexe », résume-t-on à la FNAB –, mais aussi et surtout le fait que le logiciel Osiris, utilisé par l'Agence de service et de paiement (ASP), a enchaîné les bugs, et vous obtenez la situation ubuesque actuelle : un quart des aides dues au titre de l'année 2016 n'est toujours pas parvenu dans les exploitations, de même que la moitié des aides 2017 et… la totalité des aides 2018 !

    « L'Etat a l'argent, c'est juste un problème d'instruction des dossiers », rappelle-t-on à la FNAB où l'on pointe le « sentiment d'injustice » d'un certain nombre d'agriculteurs, d'autant plus remontés qu'ils peuvent payer des impôts sur ces sommes promises mais jamais arrivées…