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À La Une - Conflit

Les talibans n'ont pas changé, avertissent des Afghans sous leur joug

"Les talibans font régner ici une dictature. Ils ont leurs propres lois. Nous avons un peu de sécurité mais pas la liberté".

Des déplacés afghans marchent dans une rue de Kandahar, après avoir fui les talibans dans la province d'Uruzgan, le 9 février 2019. Photo AFP / Javed TANVEER

Ali Ahmad Alizai n'a pas d'autre choix que d'obéir lorsque des talibans frappent à sa porte pour exiger de la nourriture, un abri pour la nuit ou une taxe sur sa récolte pour financer leur insurrection.

"Les talibans font régner ici une dictature. Ils ont leurs propres lois. Nous avons un peu de sécurité mais pas la liberté", indique par téléphone l'agriculteur depuis un district contrôlé par les insurgés dans la province du Helmand, au sud del'Afghanistan.

Ali Ahmad Alizai fait partie des millions d'Afghans subissant le joug du groupe rebelle qui contrôle de vastes pans du pays, essentiellement dans des territoires reculés. Selon un récent rapport américain, moins des deux tiers des quelque 35 millions d'Afghans vivaient fin octobre dans des régions contrôlées par ou sous l'influence du gouvernement de Kaboul.

Alors que les pourparlers de paix s'intensifient et qu'un nouveau cycle de négociations entre les talibans et les Etats-Unis est prévu à Doha lundi prochain, ceux qui vivent ou ont récemment vécu dans ces bastions talibans offrent un aperçu de la façon dont les insurgés gouvernent aujourd'hui, plus de 17 ans après leur passage au pouvoir (1996-2001) avant l'invasion américaine. Ils brossent ainsi le tableau de ce que pourrait être la vie en Afghanistan si un retrait des troupes américaines leur laissait le champ libre pour mettre en oeuvre leur stricte interprétation de la charia.


(Lire aussi : Les talibans adeptes des réseaux sociaux dans leur guerre de propagande)



"Les gens sont terrifiés"

Abdul Bari, qui a abandonné sa maison dans un fief insurgé de la province d'Uruzgan (centre) il y a trois mois, raconte comment les talibans "organisaient de temps en temps des exécutions publiques". "Sans aucune forme de procès leurs combattants décident du sort des gens", déclare l'homme de 66 ans, établi à Kandahar où il s'est réfugié avec sa famille. Même dans des zones apparemment sous contrôle gouvernemental, les talibans rendent leur propre interprétation de la justice, indique Ashley Jackson, chercheuse à l'Overseas Development Institute (ODI).

Ecartant les codes civil et pénal afghan, ils règlent tous types de conflits allant du divorce au meurtre. Les verdicts sont rapides et les peines sévères: amputation d'un membre pour vol, pendaison d'un prisonnier au bord d'une route en guise d'avertissement.

"Les gens sont terrifiés", dit Sayed Omar, qui a échappé à la brutalité des talibans en Uruzgan et vit à Kandahar. "Ils n'ont pas changé. Ils sont les mêmes que durant leur règne", estime-t-il.

Mohammad Qasem, un commerçant qui s'est entretenu avec l'AFP par téléphone depuis un autre bastion taliban, a déclaré que les insurgés avaient interdit les smartphones et confiné les femmes au foyer. Il estime cependant que les talibans ont infléchi certaines de leurs restrictions les plus impopulaires, comme la longueur de la barbe, pour laquelle un homme pouvait être battu ou emprisonné durant leur régime. "Les temps ont changé", fait-il remarquer, suggérant que les talibans ont été contraints à plus de souplesse. Pour Thomas Ruttig, chercheur à l'Afghan analyst network (AAN), les talibans "ne détruisent plus comme avant les postes de télévision" mais "disent qu'il ne faut pas écouter de la musique mais des sermons et des émissions religieuses".


(Lire aussi : Les talibans snobent le gouvernement afghan et imposent leur tempo diplomatique)


Compromis

Ancien commandant taliban, le mollah Rauf estime que les insurgés "ne peuvent plus avoir une gouvernance aussi sévère". "De tels gouvernements n'existent nulle part dans le monde", déclare-t-il au téléphone à l'AFP depuis un district sous autorité talibane de la province de Kandahar. Aucune femme n'a cependant pu être contactée par l'AFP pour décrire les conditions de vie dans ces zones.

Chercheuse pour l'ONG Human Rights Watch, Heather Barr indique que les talibans autorisent par endroits l'éducation pour les filles, mais "seulement jusqu'à la fin du cycle primaire" et dans une stricte non-mixité. Mais selon elle, il serait "ridicule et nocif" d'en déduire que les talibans ont changé leur approche à l'égard des femmes. "Trop d'hommes se hâtent d'affirmer qu'un accord avec les talibans sera acceptable pour les femmes. Les femmes sont mieux placées pour savoir. Mais y a-t-il quelqu'un qui les écoute ?", souligne-t-elle.


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Thomas Ruttig estime que les talibans n'ont pas renoncé à leur idéologie mais qu'ils savent "qu'ils ne peuvent pas gouverner contre la population", et qu'ils pourraient donc être ouverts à certains compromis. Les talibans assurent qu'ils ne veulent pas gouverner par la force mais partager le pouvoir avec d'autres partis politiques dans un "système islamique", un concept encore mal défini. Les Afghans eux espèrent que les libertés dont ils jouissent aujourd'hui - impensables sous l'ère talibane - ne seront pas bafouées dans un accord de paix conclu à la hâte.



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