Sexe, travail, politique : les jeunes ne sont pas ceux que vous croyez

Pour Vincent Cocquebert, auteur de « Millennial burn-out », la génération Y est un mythe. Les jeunes sont bien plus pudibonds et stables que ne le disent les clichés.

Propos recueillis par

Et si la génération Y était plus sage que les clichés qui l'entourent ?

Et si la génération Y était plus sage que les clichés qui l'entourent ?

© Mint Images / Mint Images

Temps de lecture : 6 min

Rédacteur en chef du webzine Twenty (fait « par et pour les 16-25 ans »), Vincent Cocquebert dénonce dans son enquête Millennial burn-out (éditions Arkhê) la vision fantasmée, réductrice et uniformisée que la plupart d'entre nous avons des millennials (individus nés après 1980). Cette jeunesse, aussi connue sous le nom de « génération Y » est dite ultra-connectée, individualiste ou sexuellement débridée ? En réalité, elle est plutôt en recherche de stabilité, pudibonde et pas spécialement calée en informatique. Hyper-médiatisé, le concept de millennials ne serait qu'une simple invention marketing, truffée de stéréotypes auxquels s'attaque ouvertement le journaliste. Entretien.

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Le Point : Poster quotidiennement des stories sur Instagram, swiper sur Tinder, aller acheter du quinoa bio en trottinette, regarder des séries Netflix, être un génie du numérique... Est-ce ça être un millennial ?

Vincent Cocquebert : Ces pratiques correspondent aux caractéristiques de l'archétype du millennial tel que les professionnels du marketing l'ont dessiné et tel qu'ils l'ont fait évoluer. Pour la première fois de l'histoire, en 1993, le marketing invente et construit de manière unilatérale un modèle générationnel auquel ont été greffées des caractéristiques spécifiques : narcissisme, individualisme, consumérisme, autonomie… Autrement dit, le marketing a créé un socle de repères qui dessine la figure d'un être fantasmatique, le millennial. Ce label générationnel est aujourd'hui notre grille de lecture de la jeunesse. Une jeunesse qui porterait des mouvements sociétaux ou relevant de l'ordre de l'intime en les incarnant de manière hystérique et totale. Mais le fait que cette génération Y ait été inventée et analysée a priori, c'est-à-dire alors même qu'elle était en train de se générer, en fait un concept d'autant plus exceptionnel. De même que la génération dite « de Mai 68 ». Les autres générations, elles, n'ont été créées qu'après coup. En réalité, on a besoin d'avoir un recul historique pour tenter de réunir des êtres au-delà de leurs différences spatiales, économiques et culturelles.

Comment expliquer le poids de ces clichés ?

Parce que la force de frappe du discours marketing est sans commune mesure avec celle des discours sociologiques et anthropologiques. Et parce que les discours marketing sont abondamment repris par les médias. C'est une dynamique piégeuse et un peu perverse dans la mesure où l'on participe nous-mêmes à la création de cette fable et où l'on ne fait que renforcer ces stéréotypes. En les diffusant de manière répétitive au sein des millennials, ils finissent par les intégrer et croire en cette réalité fantasmée.

Le concept de génération comme grille de lecture de la société serait-il dépassé ?

Oui, et cela est spécifiquement dû à cette homogénéisation des valeurs et des comportements des 18-60 ans. Nous allons vers une société de fin des âges où l'on ne se définit plus tant par ces critères d'âges et marqueurs professionnels, mais plutôt par ce que l'on est, ce en quoi on croit, ce que l'on fait et ce que l'on consomme. Aujourd'hui, n'importe qui a plus tendance à se définir comme « végétarien qui adore faire du ski et voyager » plutôt que comme « quadragénaire qui travaille à la Défense ».

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Le « clash des générations » n'existe donc pas non plus ?

Il a existé dans sa forme « anciens contre modernes » jusqu'au moment où les valeurs ont été uniformisées entre les différentes classes d'âge, il y a une vingtaine d'années. Les jeunes n'ont jamais autant partagé de valeurs avec leurs parents qu'aujourd'hui. Mais c'est au sein des entreprises qu'on essaie de le mettre en scène pour vendre un discours managérial revendiquant un échange nécessaire entre plusieurs générations aux aspirations différentes. Et cet argumentaire va être repris par le discours politique. On va le voir dans la prochaine réforme du système des retraites. Les politiques vont reprocher à la génération dorée d'avoir spolié la jeune génération. Comme si, pendant les Trente Glorieuses, il y avait eu une France uniforme, parce que née à la même période, qui se serait enrichie et qui aurait tout volé aux plus jeunes. Sauf que ce constat est à pondérer parce que, en termes de redistribution d'argent privé, les parents n'ont jamais autant aidé financièrement leurs enfants.

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On présente les millennials comme des génies de l'informatique…

Au consumérisme joyeux, à la quête d'éthique et à la réceptivité aux marques est venu se greffer le concept de « digital native », à savoir cette génération « née avec Internet ». Dans les années 1990, les entreprises ont mis en scène ce mythe du « digital native » pour faire de la numérisation un levier d'action positif. Une étude de 2017 des deux chercheurs Paul A. Kirschner et Pedro De Bruyckere, corroborée par une étude CSA de 2018, a démontré une surévaluation des connaissances que l'on prête à ces jeunes. Leurs compétences numériques se limitent à la maîtrise des réseaux sociaux et à surfer sur Internet. Et 21 % des jeunes de cette « techno-génération » font partie des « abandonnistes », c'est-à-dire ceux qui ont laissé tomber une démarche administrative, au moins une fois dans l'année, parce qu'elle exigeait un recours numérique. Finalement, s'il existe une jeunesse connectée, soutenir qu'elle aurait des compétences uniformes et partagées en informatique, parce que née à la même époque, c'est un non-sens sociologique.

Côté politique, ça donne quoi ?

On observe globalement un désengagement politique au sens électoral des millennials, tant en Europe qu'aux États-Unis. L'abstention n'a jamais été aussi élevée aux élections présidentielles, comme aux élections législatives. Ce mouvement de « déconsolidation démocratique » est doublé d'un phénomène de radicalité dans la protestation et dans les choix politiques, observé aujourd'hui chez les 18-25 ans. On constate une intensification des mouvements qui ont à voir, à la fois avec la dimension identitaire de construction de son être, et avec l'intégrité et la sécurité. Que ce soit la marche pour la légalisation de l'avortement en Argentine [juin 2018, NDLR]), les marches des femmes aux États-Unis [janvier 2017, 2018 et 2019, NDLR] ou la « Marche pour nos vies » [mars 2018, Washington, NDLR] où 800 000 jeunes Américains étaient présents après le massacre dans un lycée de Parkland. Est-ce que cette radicalisation de la protestation est un effet de génération ou d'âge ? On ne le saura que dans une dizaine d'années. Si les jeunes qui votent « radical » aujourd'hui font de même demain, on pourra parler d'un effet de génération.

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En ce qui concerne la sexualité, vous soutenez que la « génération YouPorn » n'existe pas...

Il y a une démocratisation de la pornographie, mais celle-ci est aussi bien consommée par les jeunes que par les sexagénaires. Cette image de génération YouPorn ne correspond pas du tout aux aspirations des millennials, plutôt pudibonds. Plus leur environnement professionnel est précaire et déstabilisant, plus les jeunes vont être en recherche d'une stabilité dans le domaine de l'intime. Le couple devient dès lors une sorte de cellule de restauration de son estime de soi. De plus, si l'on tient à tout prix à parler en termes de générations, il est prouvé que les millennials seraient beaucoup moins performants, érotiquement parlant, que leurs aînés.

Et vous-même ?

Pour être honnête, je suis resté sur Facebook sans liker un post pendant huit ans et j'ai créé un compte Twitter parce que c'était important en tant que journaliste. Je ne suis pas vraiment le stéréotype du millennial. Je fais assez peu de footing et je ne mettrai sûrement pas mes performances sur Instagram. Je ne suis pas non plus adepte de la nourriture végétarienne. Mes grands-parents étaient bouchers-charcutiers. Finalement, les millennials n'existent pas, mais on est tous un peu millennials quelque part. Ce mythe-là n'a pas vocation à parler de la jeunesse, mais à donner un visage à un ensemble de bouleversements civilisationnels qui infusent l'ensemble des classes d'âge.

Millennial burn-out X, Y, Z… Comment l'arnaque des « générations » consume la jeunesse, de Vincent Cocquebert (éditions Arkhê, 169 p., 17,90 euros)

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Commentaire (1)

  • Bashing Premier

    Vu la platitude des arguments avancés par l'auteur dans l'interview, je pense qu'on peut largement économiser les 17€90 que coûte son bouquin.