Elle a 29 ans et fait partie des 100. La militante maasaï a été classée par le Time Magazine dans son prestigieux top 100 des personnalités les plus influentes de la planète en 2018. De son village Kimana, au sud du Kenya, aux pupitres des Nations Unies, Nice Nailantei Leng’ete s'engage contre les mutilations génitales féminines.

Elle a huit ans la première fois qu'elle dit "non". À cet âge, l'enfant refuse ce destin de fillette excisée, mariée aussitôt et enceinte dans la foulée. Elle a, déjà et trop de fois, été témoin de cérémonies d'excision et de scolarités interrompues. L'orpheline s'enfuit avec sa sœur. Elles cherchent, ensemble, à rejoindre une tante qui habite à 70 kilomètres du village. Mais des hommes de leur communauté, dont un de leurs oncles, les rattrapent, les menacent, les frappent. Nice Nailantei Leng'ete va s'échapper une seconde fois et se réfugier chez son grand-père. Sa sœur, effrayée, ne la suit pas.

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Parce qu'elle a aussi dit "non" pour 16.000 fillettes, l'ambassadrice internationale de l'Amref Flying Doctors, première ONG de santé publique d'Afrique, est imprimée sur papier glacé de l'hebdomadaire américain, aussi invitée à témoigner avec éloquence devant le public TED, applaudie par toutes sortes d'assemblées politiques, d'Espagne aux Pays-Bas.

Nice Nailantei Leng’ete accepte sa mission de speakeuse, de rôle modèle, parce qu'elle n'est pas que ça. Elle est présente sur le terrain, sur les terrains d'Afrique, et sur le terrain digital, suivie par une communauté d'adolescentes sur ses réseaux sociaux. Elle informe, forme, et ce matin de notre rencontre, force notre respect. 

Marie Claire : Lorsque vous vous êtes réfugiée chez votre grand-père pour fuir l'excision, que lui avez-vous dit pour qu'il accepte de vous protéger ?

Nice Nailantei Leng’ete : Je lui ai dit que toutes mes amies qui ont été excisées ont dû se marier rapidement après. Que d'autres en sont mortes. Donc que je ne veux pas être mutilée, car si je dois me marier ou en mourir, je ne pourrais pas aller à l'école. Je lui ai dit que c'était tout ce qui m'intéressait : poursuivre mes études.

Comment a-t-il réagi ?

Mal. Ça n'a pas été facile. Mon grand-père est un "ancien" dans notre communauté, et les personnes âgées au village respectent consciencieusement les normes culturelles. J'ai fini par lui assurer que je m'enfuirais s'il m'obligeait à subir l'excision. Que je deviendrais une enfant de la rue, que je ne reviendrais jamais. C'est à ce moment-là qu'il a décidé de m'apporter son soutien. 

Seul votre grand-père vous a soutenu ?

Mes oncles ont voulu me forcer à être excisée, pour "ne pas faire honte à la famille". Mais j’avais mon grand-père, et aussi ma sœur, qui a accepté d'être excisée pour que moi, je puisse être libre. C’est pour elle et pour lui que j'ai décidé de m'engager dans ce combat.

Et vous vous êtes engagée au point de convaincre le conseil des anciens de bannir l'excision, et de mettre au point un nouveau rite, un rite "alternatif de passage à l'âge adulte". De quoi s'agit-il ?

Nous remplaçons l'excision par l'éducation. Avec le rite alternatif de passage à l'âge adulte, les filles sont considérées comme des jeunes femmes, sans passer par le rite de la mutilation génitale féminine. C'est une formation durant laquelle les membres de la communauté maasaï apprennent leurs droits d'enfants face au mariage forcé, aux mutilations sexuelles, aux conséquences de l'excision. La formation est suivie d'une cérémonie [Nice Nailantei Leng’ete en tenue traditionnelle pendant la cérémonie ci-dessous, ndlr] pendant laquelle les filles formées reçoivent la bénédiction des leaders culturels du village, qui leur souhaitent, non pas d'avoir des enfants et de s'en occuper, mais de poursuivre leurs études et de devenir celles qu'elles rêvent d'être.

La cérémonie est donc entièrement repensée, mais elle demeure.

Oui. Nous avons pensé qu'il ne fallait pas se défaire de toute une culture mais de la pratique de l'excision. Notre culture nous apprend la générosité, l’amour, le vivre-ensemble. Elle est positive et ne s’enseigne nulle part ailleurs. Mais une culture qui contraint les filles à se marier avant leur majorité, qui ne leur offre pas la possibilité d’être scolarisées, doit être modifiée. 

Combien de temps dure la formation des jeunes filles et de leurs proches ?

Trois, quatre, cinq ans... Jusqu'à ce que la famille décide par elle-même. Pendant des années, nous allons lui parler quasiment tous les jours, maintenir le dialogue, expliquer et réexpliquer les dangers de l'excision. Le tout premier rite alternatif de passage à l’âge adulte a eu lieu au bout de cinq ans de conversation. Pour changer les mentalités, désancrer les traditions, il faut du temps et beaucoup de patience.

Et vous avez procédé ainsi avec 16.000 familles ?

Exactement. Depuis 10 ans maintenant. Les 16.000 filles qui n'ont pas eu à subir l'excision sont le résultat d'une décennie de combat.

Imaginez-vous ces rites alternatifs de passage de fille à femme comme une solution à plus grande échelle ?

Ce qui fonctionne dans une communauté, une culture, ne marche pas forcément pour une autre. Je ne crois pas que les rites alternatifs de passage à l’âge adulte soient la solution miracle pour tous les pays qui pratiquent les mutilations génitales. Mais je voyage de village en village, je rencontre des communautés. Quand nous habilitons une population, celle-ci peut alors s’inspirer du modèle kenyan. Je me déplace pour montrer que ça peut marcher, pour donner de l'espoir. Je crois en l'importance de rôles modèles dans lesquels les jeunes filles peuvent se mouvoir. 

Et vous, quel a été votre rôle modèle ?

Michelle Obama. J’aime sa façon de défendre avec passion les droits des filles et des femmes. J'aime ce qu'elle dégage, elle est solide. J’aimerais moi aussi m'engager en politique et faire des plaidoyers pour l'instauration de meilleures politiques en faveur des femmes et des filles. Via la politique on peut négocier, participer à la prise de décision, être encore plus influente.

Comment va votre sœur ? Et votre grand-père ?

Ma soeur et moi sommes les meilleures amies du monde. Et mon grand-père va bien, il vit toujours au village. Quant à mes oncles, ils ne m'aiment toujours pas. Mais est-ce grave ? 

Merci à Anne Girardeau et Nina Fink, les deux interprètes qui ont permis cet échange.