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Biodiversité

Climat : les écosystèmes marins connaissent des changements abrupts

Une étude publiée dans «Nature Climate Change» met en évidence la très grande sensibilité des écosystèmes marins aux variations de température, grâce à un nouveau modèle permettant de prévoir ces phénomènes.
par Nathan Mann
publié le 26 février 2019 à 17h30

On le sait, entre la pêche industrielle et le changement climatique, la biodiversité marine connaît de nombreux bouleversements. Mais les océans sont difficiles d'accès et ce qu'il s'y passe reste mal connu. Une étude parue lundi dans Nature Climate Change révèle que les écosystèmes marins sont régulièrement sujets à des modifications d'ampleur, rapides et localisées. Ces événements, qualifiés de «surprises climatiques», sont causés par des phénomènes atmosphériques naturels et peuvent avoir des conséquences sociales importantes (effondrement des zones de pêche). D'autant que l'on constate une augmentation de leur fréquence et de leur force, possiblement lié au dérèglement du climat provoqué par l'homme.

Poissons virtuels

Les océans recouvrent plus de deux tiers de la surface terrestre mais la biodiversité qui s’y trouve reste mal connue. Selon l’océanologue Grégory Beaugrand, directeur de recherche au CNRS, qui a dirigé l’étude, nous ne connaissons actuellement que 250 000 – la plupart d’entre elles assez mal – des quelque 2 millions d’espèces qui se trouvent dans les mers. Et les observations de terrain, lentes et coûteuses, se concentrent sur les côtes.

Pour pallier ces défauts, les chercheurs ont modélisé la biodiversité marine. Ils ont créé des millions d’«espèces virtuelles» qu’ils ont fait tourner dans un modèle, à défaut d’aquarium. Une sorte de gigantesque simulation mathématique dans laquelle les espèces fictives – chacune avec ses préférences climatiques – se regroupent en communautés et évoluent conjointement en fonction des variations des températures. La majorité des espèces – dont les planctons à la base de la chaîne alimentaire – ne peuvent réguler leur propre température, ce qui les rend plus sensibles aux transformations brusques.

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Ces modèles permettent ainsi de «reconstituer la biodiversité et les communautés présentes dans les océans», explique Grégory Beaugrand, et d'observer la survenue de «surprises climatiques» dans le passé. Des changements rapides d'écosystèmes, marqués par l'apparition ou la disparition d'espèces de certaines régions. En confrontant ces résultats théoriques à des observations concrètes, les auteurs ont pu confirmer l'adéquation de leur modèle. Avant de l'étendre à l'ensemble des océans.

Accélération

L’étude montre que sur la période 1960-2015, en moyenne 2,8 % de la surface océanique a été concernée chaque année par des phénomènes de réorganisations abruptes. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le changement climatique n’est pas le principal responsable de ce phénomène. A part en Arctique, où la fonte des glaces entraîne une réorganisation majeure des écosystèmes, la variabilité atmosphérique naturelle explique en grande partie ces bouleversements.

Le chercheur français note néanmoins qu'«on observe une augmentation de l'étendue et de la force de ces surprises climatiques». Notamment, entre 2012 et 2015, près de 14 % des écosystèmes océaniques ont ainsi connu des modifications brutales (2013, 2014 et 2015 sont dans le top 10 des années les plus chaudes jamais enregistrées). Un passage de 10 à 50 millions de kilomètres carrés affectés, peut être dû au changement climatique, dont on sait qu'il intensifie certains événements météorologiques extrêmes comme El Niño (phénomène climatique qui produit des eaux plus chaudes le long de l'Amérique du Sud ce qui influence le climat planétaire). «A l'avenir, les surprises climatiques risquent d'augmenter dans le contexte du dérèglement du climat», ajoute Grégory Beaugrand.

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Ces bouleversements se traduisent localement par des apparitions ou des disparitions d'espèces parfois centrales dans les économies. Utiliser ce modèle permet de déceler et de prévoir plus tôt les chutes abruptes de certaines espèces – par exemple la diminution actuelle des planctons puis des saumons du Pacifique Nord-Est ou encore la réapparition du thon rouge dans la Manche – et d'attirer l'attention sur les zones à risques avec un an d'avance sur les problèmes. Une fois les températures connues, les prédictions vont plus vite que les changements biologiques réels, qui vont, eux, au rythme de la reproduction des poissons. De quoi aider chercheurs, industriels et pêcheurs à éviter les mauvaises surprises.

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