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Environnement

Pollinisation: une activité vitale qui reste le parent pauvre de la filière apicole

Entre le miel redevenu tendance et l'élevage d'essaims qui s'affirme comme une activité très rémunératrice pour compenser la mortalité des abeilles, la pollinisation reste à la traîne dans la petite filière apicole. Son rôle reste pourtant indispensable au maintien de la biodiversité.

"La pollinisation est l'activité la moins rémunérée de l'apiculteur", résume Paul Bonnaffé, l'un des pionniers en France de la pollinisation dans les années 1990. "Du coup, elle plafonne. La rentabilité du miel, ou des essaims, est bien supérieure."

Le miel pèse environ 90% du chiffre d'affaires de la filière et la gelée royale française peut se vendre jusqu'à 1.000 euros le kilo. Tandis que louer une ruche pour l'installer plusieurs semaines à proximité d'un champs de céréales ou d'un verger en fleurs rapporte seulement entre 25 et 90 euros en moyenne.

Difficile dans ces conditions pour le marché français de la pollinisation de dépasser les 2-3 millions de chiffre d'affaires annuel, à comparer à une centaine de millions d'euros pour l'ensemble de la filière apicole, d'après les rapports de France Agrimer. Selon l'institut de l'abeille (Itsap), la pollinisation crée pourtant deux milliards d'euros de valeur en production de céréales, de fruits, de semences.

La dégradation des conditions de vie des abeilles a rendu encore plus instable cette activité. Le miel et l'élevage semblent moins risqués puisque l'apiculteur peut mieux contrôler l'environnement des insectes.

Les abeilles contribuent à la pollinisation de 80% des espèces de plantes à fleurs, mais selon le ministère de l'Agriculture, leur mortalité hivernale en 2018 flirtait avec les 30%, contre 10% habituellement.

L'interdiction des insecticides néo-nicotinoïdes en France au 1er septembre 2018 devrait améliorer leur situation mais "le réchauffement climatique, la baisse de la biodiversité, des ressources de nourritures et la pression de ravageurs comme le frelon asiatique ou le virus du varroa" expliquent aussi leur mortalité, assure Romain Filiol, porte-parole de l'Anamso (semenciers oléagineux).

- Conflit avec les semenciers -

Le nombre de ruches en production (940.000 environ en 2017 selon FranceAgriMer) a donc tendance à baisser alors que le nombre d'apiculteurs se stabilise autour de 54.000.

L'organisation actuelle de la filière l'empêche depuis longtemps d'avancer. Les apiculteurs possédant plus de 50 ruches sont très minoritaires et les vrais professionnels du secteur sont donc peu représentés au sein du principal syndicat, l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf).

Dans ce microcosme, il a fallu attendre janvier 2018 pour qu'une interprofession émerge.

"La filière est un cas d'étude pour les sociologues", ironise Fabrice Allier, ingénieur à l'Itsap. "L'interprofession Interapi est toute jeune, elle se met en route doucement."

Fondé en 2009, l'Itsap traverse lui une situation économique compliquée et la recherche scientifique n'a pu résoudre toutes les questions que posent les abeilles.

L'institut s'est trouvé pris dans un conflit d'allégeance entre un clan écolo et un clan réuni autour des semenciers, grands utilisateurs d'abeilles pour favoriser la reproduction des plantes, mais également utilisateurs, voire fournisseurs, de produits phytosanitaires.

"On a fait le ménage dans la profession", assure pourtant Raphael Comte, directeur de production semence du groupe Dauphinoise. "Chacun est respectueux mais les discussions restent compliquées."

"Les apiculteurs ne se sont pas structurés pour la pollinisation. Les utilisateurs commencent à le faire, eux, car il y a une forte demande", juge pour sa part Bernard Vaissière, chercheur à l'Inra. "Volontairement ou involontairement, il y a un rapprochement. Les firmes phytosanitaires sont conscientes du problème mais elles ne sont pas très loquaces" sur la question.

Si les deux professions ont enterré la hache de guerre, le manque de succès relatif de beewapi, la plateforme lancée en 2012 pour mettre en relation apiculteurs et semenciers, semble indiquer que des réticences subsistent.

Dans ces conditions, les apiculteurs mènent donc un travail colossal rien que pour maintenir leurs colonies vivantes et parvenir au même résultat qu'il y a 30 ans, quand la pollinisation se faisait librement.

"Les agriculteurs respectent la législation mais il reste du travail sur l'évaluation des risques des produits phytosanitaires", affirme Eric Lelong, le patron d'Interapi, sur la même ligne que le ministère qui a annoncé le 5 février qu'il réfléchissait à des mesures pour renforcer la protection des abeilles.

Avec AFP.