En France, la haine anti-juive a ses chambres d'écho sur les réseaux

Des "Heil Hitler" et "sales juifs" parmi les commentaires d'une vidéo sur un cimetière israélite profané: en France, les réseaux sociaux servent régulièrement de support à un antisémitisme débridé, poussant les autorités à mettre la pression sur les plateformes pour qu'elles améliorent leur lutte contre les contenus haineux.

Le 19 février, alors que le président Emmanuel Macron s'était rendu dans un cimetière juif profané à Quatzenheim, dans l'Est du pays, la chaîne publique régionale France 3 Alsace a été obligée d'interrompre la diffusion en direct de cette visite sur sa page Facebook, en raison de dizaines de commentaires haineux.

Début janvier, c'est la secrétaire d'Etat à l'Egalité, Marlène Schiappa, qui avait dévoilé les tombereaux d'insultes qu'elle reçoit "par milliers", dont "pute à juifs".

Pour Sacha Ghozlan, qui préside l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), les antisémites ont trouvé dans internet et les réseaux sociaux une caisse de résonance donnant plus d'impact à leur discours de haine et des outils pour s'organiser.

"On a observé ces 15 dernières années que des personnes qui s'exprimaient autrefois dans des caves sombres ont aujourd'hui une audience décuplée", dit-il à l'AFP. Les réseaux sociaux ont en outre donné la possibilité "à ces personnes d'allier des antisémites de différentes tendances politiques en principe opposées (extrême gauche, extrême droite, antisionistes, identitaires...) autour de la haine du juif".

- Messages haineux "par milliers" -

En France, la haine anti-juive a ses chambres d'écho sur les réseaux

Une violence soi-disant virtuelle mais bien réelle pour les victimes et qui encourage selon lui la récente vague d'actes antisémites en France.

"Si on voit les messages de haine se multiplier sur les murs de Paris, c'est aussi parce pendant trop longtemps on s'est habitués à rester silencieux et ne pas répondre aux messages haineux qui se répandent par milliers tous les jours sur internet", juge-t-il.

Son association, qui lutte depuis 20 ans contre la haine en ligne, a obtenu en 2013 une avancée majeure. Suite au scandale du hashtag "UnBonJuif" (utilisé pour répandre des messages tels que "un bon juif est un juif mort"), la justice avait condamné Twitter "à supprimer tous les tweets associés à ce hashtag et à d'autres comme #SiMaFilleEpouseUnNoir ou #SiMonFilsEstGay, à fournir les adresses IP pour identifier les auteurs de tweets racistes et homophobes, et à mettre en place une plateforme de signalement à l'échelle mondiale", rappelle-t-il.

Twitter, dont l'ancien directeur général Dick Costolo avait lui-même reconnu en 2015 son retard dans la lutte contre les agressions en ligne, a depuis nettement amélioré ses dispositifs de signalement et de blocage des comptes hostiles.

En France, la haine anti-juive a ses chambres d'écho sur les réseaux

Comme l'a rappelé mi-février à l'AFP une porte-parole du réseau, la "sérénité de la conversation" a été érigée "priorité numéro un de l'entreprise", qui a renforcé ses procédures et "investi davantage dans la technologie". Avec des résultats tangibles, selon Twitter, qui revendique une hausse de 214% des interventions préventives en 2018 et "une baisse du nombre de signalements".

Mais "il reste encore beaucoup de travail à faire", estime Sacha Ghozlan, qui reçoit lui même tous les jours "plusieurs dizaines de messages d'insultes, de menaces, de propos haineux ou diffamatoires", et s'insurge que la chasse aux contenus haineux repose in fine sur les victimes.

- Responsabiliser les plateformes -

"Les grandes plateformes répètent qu'il faut signaler les contenus mais nous ne sommes pas les éboueurs du Net et nous ne pouvons pas passer nos journées à le faire", lance-t-il, estimant que les plateformes devraient retirer systématiquement les propos haineux, comme elles le font déjà "pour les contenus violant le droit d'auteur ou pédopornographiques".

Mais si ces contenus visuels sont désormais supprimés le plus souvent avant même leur mise en ligne par les plateformes, grâce à des technologies d'intelligence artificielle, il en va différemment pour les injures et insultes, qui requièrent des interventions humaines. Certaines expressions insultantes peuvent par exemple être admissibles, selon le contexte et la personne qui s'exprime (par exemple une victime qui les cite, une minorité qui se les réapproprie).

Le gouvernement veut responsabiliser les plateformes, notamment via une proposition de loi attendue en mai.

Pour l'UEJF, dont plusieurs propositions ont déjà été endossées par les autorités, le plus efficace serait de les frapper au portefeuille, en leur imposant "une amende indexée sur leur chiffre d'affaires en France, si les contenus haineux ne sont pas supprimés au bout de 24H".