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Brésil: "que restera-t-il de la liberté d'enseigner sous le gouvernement de Jair Boslonaro"?

Brésil : la liberté d'enseigner sous pression

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Par Eric Destiné

Il y a près de deux mois, le 1er janvier 2019, Jair Bolsonaro a prêté serment comme président du Brésil. Jair Bolsonaro c’était le candidat d’extrême droite à la présidentielle (Parti social-libéral). Un homme controversé connu notamment pour ses prises positions ouvertement misogyne ou homophobe. Ceux qui l’ont élu voient pourtant en lui un homme fort capable de lutter contre l’insécurité ou contre la corruption, des fléaux au Brésil. Ce qu’on sait moins, ce que Jair Bolsonaro veut aussi s’attaquer au système scolaire brésilien.

Le président du Brésil,Jair Bolsonaro et le vice-président Hamilton Mourão, à la Une du journal O Globo en février 2019.
Le président du Brésil,Jair Bolsonaro et le vice-président Hamilton Mourão, à la Une du journal O Globo en février 2019. © RTBF

Pour comprendre nous avons poussé la porte d’une réunion de parents d’élèves dans la grande banlieue de Rio de Janeiro. Ce n’était pas vraiment une réunion de parents comme les autres car ces père et ces mères de famille se mobilisent et militent pour tenter d’imposer plus de contrôle du contenu des cours délivrés par les professeurs dans les écoles.

Des parents persuadés que leurs enfants sont "endoctrinés" 

Ces parents d’élèves sont persuadés que beaucoup de professeurs au Brésil profitent de leur position en classe pour littéralement "prendre possession du cerveau" de leurs enfants. Nous avons rencontré Maria Inez. Celle maman est à la tête de ce groupe de parent. Elle précise son sentiment: "Le problème aujourd’hui dans les écoles au Brésil, c’est l’endoctrinement politique. Certains professeurs n'entrent pas dans la salle de cours pour enseigner le portugais, les mathématiques, l’histoire ou la géographie. Ils veulent parler de politique mais en endoctrinant les enfants. Ils utilisent la philosophie marxiste et les discours des syndicats. Ils prennent possession du cerveau des enfants pour qu’ils ne pensent pas le contraire. Pour qu’ils pensent seulement ce que eux croient qu’il faut penser". 

 

Réunion de parents qui défendent l'idée d'une "école sans parti"
Réunion de parents qui défendent l'idée d'une "école sans parti" © RTBF

Ces parents nous expliquent que leur sentiment est basé sur une série de témoignages d'élèves qui seraient venus se plaindre auprès d'eux. Ils affirment que, selon ces témoignages, certains enseignants auraient déjà tenté de faire de la "propagande politique" en classe "en faveur de la gauche". Aujourd’hui, ces parents sont ravis car leur sentiment est partagé par le président du Brésil, Jair Bolsonaro.

Jair Bolsonaro a évoqué "des déchets marxistes" dans les écoles 

Le lendemain de sa prestation de serment, le 2 janvier 2019, Jair Bolsonaro a publié ce message sur les réseaux sociaux: "L'une de nos stratégies pour permettre au Brésil de gravir les échelons et sortir du bas des classements de l’éducation consiste à s’attaquer de front aux déchets marxistes dans nos écoles. Nous devrions former des citoyens et non des militants politiques".

 

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"Merci à Dieu, on a maintenant l’aide de certains politiques et ça pour nous c’est très important". explique Flavia, une autre maman présente à la réunion.

Un projet de loi controversé

Ce discours existe déjà depuis plusieurs années au Brésil, mais avec l'arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, cette vision des choses est maintenant relayée au plus haut niveau de l'Etat brésilien. On voit donc réapparaître l'idée de présenter un projet de loi controversé. Son nom "Ecole sans parti". Dans la dernière mouture de ce projet, l'article 7 va loin. Mot à mot, il dit ceci: "Est assuré le droit des élèves d’enregistrer les cours afin de permettre une meilleure compréhension du contenu et d’assurer le plein exercice du droit des parents ou des responsables d’être informés du processus pédagogique et de juger de la qualité des services réalisés par l’école".

Eduardo, professeur d'histoire de la musique dans un collège de Rio.
Eduardo, professeur d'histoire de la musique dans un collège de Rio. © RTBF

Une volonté d'intimider les enseignants? 

Du côté des enseignants, il n'est pas facile d'obtenir des témoignages face caméra car le sujet est très clivant au Brésil. Ceux qui ont accepté de nous parler au téléphone ou face à notre caméra évoquent "une volonté d'intimidation" derrière cette démarche. Eduardo est professeur d'histoire de la musique dans un collège public de Rio de Janeiro. Il dénonce cette volonté d'encourager les élèves à filmer les cours. "Aujourd’hui, on sait que le smartphone est une arme. Et ce qui est enregistré dessus peut être ensuite diffusé sur les réseaux sociaux. Et l’idée de cette loi, selon moi, c’est d’intimider les professeurs. Et donc même si juste un élève sur une classe de 35 fait cela, cela porte préjudice à la relation de confiance qui doit lier les élèves et les professeurs dans le cadre d’un cours spécifique".   

Des élèves à la sortie d'une école à Rio de Janeiro - Brésil
Des élèves à la sortie d'une école à Rio de Janeiro - Brésil © RTBF

Que restera-t-il de la liberté d'enseigner? 

Reste à savoir si ce projet de loi sera un jour approuvé, et quel type de sanction disciplinaire ou pénale pourrait être imaginée à l'encontre des enseignants qui seraient dénoncées. En attendant, le débat est tellement vif que beaucoup s'interrogent sur la possibilité de parler encore de certains sujets en classe. Comment évoquer la période de la dictature militaire dans le cadre d'un cours d'Histoire, alors que cette période est perçue par certains au Brésil comme une période positive pour le pays et par d'autres une période extrêmement négative? Comment aborder l'histoire du communisme si la notion en tant que telle est déjà mal perçue par le gouvernement brésilien? Ce sont des questions que les enseignants se posent. A tel point que certains professeurs nous ont avoué qu’ils préféraient déjà s’auto censurer sur certains sujets. 

Que restera-t-il demain au Brésil de la liberté d'enseigner au Brésil? Le question est plus que jamais posée dans le plus grand pays d’Amérique latine.

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