La marque Decathlon s'est lancée dans une opération de communication autour du hijab, annonçant dans un premier temps commercialiser un "hijab de running" au Maroc, avant d'annoncer le vendre en France dans plusieurs magasins, puis sur commande uniquement, puis plus du tout suite au tollé suscité en France.
La vente de cet accessoire nouveau est parfaitement légale, comme l'a rappelé ma collègue Ministre des Sports. Mais je ne crois pas que le droit puisse être ici la seule grille de lecture, au détriment d'une analyse politique de ces faits. Si l'on prend du recul, cette commercialisation, puis ces 24 heures de réactions puis de revirements de Decathlon soulèvent à mon sens plusieurs questions cruciales.
En préambule, comment expliquer que certains responsables politiques ne s'intéressent au droit des femmes à disposer de leurs corps que lorsqu'il s'agit de voile? Quand avons-nous entendu nombre d'entre eux soutenir l'accès à la contraception pour toutes les femmes? Le droit à l'IVG? Le financement des centres de planification familiale? La lutte contre le harcèlement de rue? La question est posée.
Mais celles qui m'intéressent, ce sont les femmes elles-mêmes et leur liberté, particulièrement vis-à-vis des dogmes religieux. Avec l'égalité femmes-hommes, la laïcité est l'autre engagement qui m'est cher. Sur ce sujet comme sur les autres, je déteste les raccourcis idéologiques et les assignations à résidence politique. Je crois qu'il est possible d'avoir l'humilité de défendre des convictions sans toujours apporter des réponses en kit.
Je ne crois pas que porter le voile soit un signe de liberté. Je ne crois pas que porter le voile soit un signe d'émancipation des femmes. C'est ma conviction. Je conçois qu'on en ait une autre. La loi de 1905 permet à chacune de "croire ou de ne pas croire" sans être inquiétée pour cela. Dès lors que c'est leur choix, leur liberté de conscience, il ne me semble pas opportun d'interdire aux femmes de porter un hijab, ou tout autre accessoire similaire tant qu'il respecte la loi. En revanche, il me semble nécessaire de questionner ce choix philosophiquement. Comme il me semble nécessaire de questionner – j'insiste, de questionner - toute intrusion du religieux dans les questions de société. Car, de même que chacun peut "croire" sans être inquiété pour cela, chacun peut "ne pas croire", interroger et critiquer les pratiques religieuses fussent-elles légales. C'est aussi cela, l'esprit de la loi de 1905. Aucune question n'est interdite, il n'y a pas de délit d'opinion, y compris pour les athées et les laïques, il n'y a pas de blasphème en France.
Au-delà des principes, il y a des personnes. La voix de la France est attendue par des femmes partout dans le monde. Quel message la France adresse-t-elle aux femmes courageuses qui, dans plusieurs pays du monde, retirent leur voile au péril de leur vie? Quel message adressé aux jeunes filles qui, en France même, n'ont pas d'autres choix que de se couvrir toujours davantage avant de sortir de chez elles? Le choix pour ces femmes devrait-il se résumer à un dilemme tel que: rester chez soi ou sortir couvertes? La réponse à ces questions ne se trouve pas chez un équipementier, c'est une réponse politique.
Cette année, la France préside le G7. Lors de l'installation du Conseil Consultatif pour l'égalité femmes-hommes du G7 comme lors de la CSW à l'ONU, je me suis prononcée très clairement contre toute forme de relativisme culturel, qui conduirait à accepter dans le monde excision ou mariage forcé sous prétexte que "c'est leur culture". C'est la ligne que le Président a défendue à l'AG de l'ONU et que porte le Ministre des Affaires étrangères.
Au-delà de ces faits, je n'ai jamais cru que le cyber-harcèlement était un moyen de résoudre des questions de société. Insulter en meute le community manager de Decathlon ou des femmes qui ont décidé de porter le voile m'apparaît contre-productif – au-delà, c'est illégal et pénalisé depuis la loi du 4 août 2018 que le gouvernement a fait voter à l'unanimité. Sortons des caricatures et des postures. Chargée de l'égalité femmes-hommes, je ne transigerai sur rien de ce qui fait la liberté des femmes en France. Chargée également de la lutte contre les discriminations, je serai vigilante: nous pouvons débattre de la question du voile. Nous pouvons et nous devons aussi combattre toute forme de discrimination qui serait vécue par les femmes qui le portent.
La République française est une démocratie sociale indivisible. Nous ne sommes pas une addition de communautés, il n'y a qu'une seule communauté: la communauté nationale. A nous, gouvernement, de faire en sorte que chacun y trouve sa place dans un cadre commun. La laïcité dans toutes ses composantes, l'égalité femmes-hommes dans toutes ses composantes, dessinent ce cadre commun.
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