Crise politique sans précédent au Canada : Trudeau accusé de pressions sur la justice

Son ancienne ministre de la justice l’accuse de l’avoir poussé à éviter un procès à un géant du BTP canadien, au coeur d’un scandale de corruption avec la Libye.

 Les révélations du Globe and Mail ont fait l'effet d'une bombe politique au Canada, à quelques mois des élections législatives d'octobre.
Les révélations du Globe and Mail ont fait l'effet d'une bombe politique au Canada, à quelques mois des élections législatives d'octobre. REUTERS/Christinne Muschi

    L'ex-ministre canadienne de la Justice a provoqué la pire crise politique du mandat de Justin Trudeau en affirmant que le Premier ministre et son entourage avaient fait pression pour qu'elle évite un procès à une grande entreprise nationale. Une affaire qui n'en finit pas de rebondir. Explications.

    De quoi Trudeau est-il accusé ?

    L'ancienne ministre, Jody Wilson-Raybould, accuse le chef du gouvernement, l'un de ses ministres et une dizaine de proches conseillers d'avoir multiplié entre septembre et décembre 2018 les pressions « inappropriées », parfois assorties de « menaces voilées », pour qu'elle intervienne dans une procédure judiciaire en cours.

    Objectif selon elle : l'inciter à faire pression sur la directrice des procureurs, indépendante du pouvoir politique, pour qu'elle négocie un accord à l'amiable avec le géant du BTP SNC-Lavalin. Ce qui éviterait un procès à cette société au coeur d'une enquête sur un vaste scandale de corruption avec la Libye. Ces allégations ont été révélées le 7 février par le quotidien Globe and Mail. L'ancienne ministre les a confirmées elle-même mercredi devant la commission de la Justice de la chambre des Communes.

    Depuis 2015, le groupe québécois est accusé de corruption pour avoir versé 48 millions de dollars canadiens de pots de vin (32 millions d'euros) à des responsables libyens du temps du dictateur Mouammar Kadhafi, entre 2001 et 2011, pour décrocher d'importants contrats dans ce pays.

    Pourquoi venir à la rescousse de SNC-Lavalin ?

    Un accord hors cour aurait entraîné l'abandon des poursuites judiciaires, en échange d'une forte amende. C'est la solution recherchée par les actuels dirigeants du groupe, qui ont fait un intense lobbying en ce sens auprès du gouvernement, selon la presse.

    Or le groupe québécois, basé à Montréal, est l'un des principaux employeurs privés du pays, avec 9000 salariés au Canada. En cas de condamnation pénale, SNC-Lavalin se verrait interdire tout contrat public pendant 10 ans au Canada, ce qui menacerait son avenir économique.

    Quelle est la position du gouvernement ?

    M. Trudeau dément toute tentative de pression, affirmant qu'il s'agissait de simples discussions visant à chercher les moyens d'éviter « une perte potentielle de 9000 emplois ». Ces emplois se trouvent principalement en Ontario et au Québec, tout comme la circonscription du député Justin Trudeau, à Montréal. L'opposition le soupçonne donc d'une manœuvre électoraliste.

    Le Premier ministre n'a cessé de réaffirmer qu'il avait toujours respecté l'indépendance de son ancienne ministre de la Justice, qui bénéficie d'un statut à part au sein du gouvernement.

    Quelles conséquences politiques pour Trudeau ?

    Les révélations du Globe and Mail ont fait l'effet d'une bombe politique au Canada, à quelques mois des élections législatives d'octobre. La démission de Mme Wilson-Raybould avait démissionné avec fracas quelques jours après avoir été rétrogradée au poste de ministre des Anciens combattants à la faveur d'un mini-remaniement début janvier.

    « Je pense que si les Libéraux n'avaient pas remplacé Mme Wilson-Raybould en janvier, on n'aurait peut-être jamais entendu parler de cette affaire », explique Daniel Béland, politologue à l'université McGill de Montréal.

    Ces accusations pèsent d'autant plus lourd que M. Trudeau n'a cessé de réaffirmer l'indépendance de la justice canadienne dans la procédure d'extradition en cours de la responsable du géant chinois Huawei, Meng Wanzhou, arrêtée au Canada à la demande des Etats-Unis. L'opposition conservatrice, requinquée par cette affaire, a immédiatement demandé la démission de M. Trudeau et l'ouverture d'une enquête. Une réunion d'urgence est organisée ce jeudi soir à la Chambre des communes, selon Radio Canada.

    « M. Trudeau n'est pas sorti de l'auberge », selon M. Béland. « Son image est affectée, surtout à l'extérieur du Québec. Pour un Premier ministre qui se vantait d'être un féministe et un ardent défenseur de la réconciliation avec les peuples autochtones, ça crée une dissonance qui ne lui est pas favorable ». Un sondage publié la semaine dernière donnait pour la première fois les Conservateurs en tête des intentions de vote, devant les Libéraux de M. Trudeau.