Bagnols : le combat de Élina, ex-SDF, sortie de l'enfer

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  • Elina Dumont a longtemps vécu dans la rue. Un logement pour tous, c’est son combat.
    Elina Dumont a longtemps vécu dans la rue. Un logement pour tous, c’est son combat. DR
Publié le , mis à jour
Constance COLLE

Elina Dumont est l’invitée du festival Femmes du monde pour une table ronde et un café littéraire ce vendredi 1er mars. Entretien.

Elina Dumont est l’invitée du festival Femmes du monde ce vendredi, pour une table ronde à la Mas puis un café littéraire à la médiathèque de Bagnols, autour de son livre paru en 2014, Longtemps, j’ai habité dehors, de la Ddass à la rue, de la rue à la vie. Depuis qu’elle est sortie de d’enfer, elle déploie son énergie à la cause des femmes, celle du logement, et de la dignité humaine, sans tabou.

Sur scène, à la radio dans “Les Grandes gueules”, à travers des campagnes que vous menez, vous ne vous lassez pas d’être la voix des sans-voix. Où puisez-vous cette énergie ?

Quand j’ai eu, à 44 ans, mon premier studio en HLM (19 m²), où je vis toujours, et que Pôle emploi me dit "Vous êtes senior", j’ai eu les boules. Je me suis battue toute ma vie, me suis sacrifiée pour des emplois pourris. J’ai décidé d’en faire un combat. De tout mon cœur, je ne souhaite à personne de vivre ce que j’ai vécu.

À l’époque, je travaillais pour un cabinet d’avocats, où je faisais un peu de tout. Quand on m’a proposé ce studio, on m’a dit : "Si vous voulez un HLM, il faut gagner 1 800 € net." C’était le pompon, j’ai magouillé ! J’en fais un combat, pour tous les gens qui sont au Smic. Dans ma tranche, une personne seule, smicarde, vous n’avez droit à rien ! Les HLM font des loyers libres, c’est pour ça qu’on y trouve avocats, députés… mais pas des pauvres ! Ou alors on te propose le 93, au milieu des dealers, où personne ne veut aller. J’ai donc magouillé, l’ai dit devant des millions de personnes, et les bailleurs sociaux n’ont jamais porté plainte. C’est un micmac, le logement social est en panne.

Et en plus, c’est cher, 562 € mon 19 m² dans le 19e. Les bailleurs regardent combien les logements coûtent dans le privé et enlèvent 100 €. Mon logement date de 2015, il y a des fuites partout ! Il a été construit avec des matériaux pas cher… Par contre, dans les HLM du 16e, les ascenseurs ne tombent pas en panne pour les avocats et ministres… qui paient 1 200 € pour 150 m². J’ai appris que la loi empêche de virer les anciens ministres qui ont plus de 65 ans. Et il y a de plus en plus de personnes âgées dans la rue. La loi est stupide.

Je le dis aux élus : vous fabriquez des sans-abri. Au bout d’un an à la rue, c’est foutu

Il y a donc toujours plus de sans-abri, constatez-vous.

À mon époque, une gamine de 18 ans comme moi dans la rue, c’était rare. Plus aujourd’hui… La politique du logement est catastrophique.

Des politiques vous sollicitent pourquoi ?

Je suis invitée par des politiques car j’en sais plus qu’eux sur le logement. PC, PS, LR, je m’en fous. Je travaille avec Ian Brossat, l’adjoint au logement de Paris. Je suis chargée de mission pour Valérie Pécresse (*), pour la même cause, les femmes à la rue, un logement pour tous. Je l’avais rencontrée en 2014 à la parution de mon livre. Je lui envoyais des mails pour lui raconter la réalité des femmes à la rue. Elle m’a contactée en novembre. Je l’ai emmenée faire une maraude. Maintenant, elle sait ce que ça veut dire. Elle m’a remerciée. Sa conseillère m’aide pour la rédaction d’un rapport. On fait plein de terrain. Mardi, nous partons à Rennes.

Vous soutenez des initiatives concrètes, pouvez-vous citer quelques exemples ?

À Rennes, le coiffeur suspendu. On a réussi à réunir tous les plus grands coiffeurs pour des ateliers maquillage, massage. Les gens à la rue n’ont pas de rapport à leur corps. Ils en sortent transformés ! Je suis marraine de DoucheFlux à Bruxelles avec Geluck ; on a ouvert un centre pour que les femmes puissent se doucher sans danger. Je fais campagne pour des bains-douches pour les femmes, gérés par les femmes. On a l’argent, on attend le local qui sera prêté par la mairie de Paris. Je vais travailler avec des maires là-dessus. Cet hiver, on a aussi ouvert, à Paris toujours, un centre pour des femmes qui sortent de la maternité.

Les lignes bougent donc un peu…

Oui ça bouge, la preuve avec Pécresse, Brossat… Au niveau logement, là, ça bouge très difficilement. Je le dis aux élus : vous fabriquez les sans-abri, au lieu de les récupérer tout de suite après une expulsion… Car au bout d’un an, c’est foutu ! À la rue, on se retrouve vite dans l’engrenage des marchands de sommeil, des réseaux de prostitution, vous devenez esclave.

La table ronde de la Mas souhaite évoquer ce que vous décrivez, cette difficulté d’accéder aux aides existantes.

Il y a une rétention d’information ! Il faut par exemple qu’il y ait, dans le privé comme le public, en bas des logements, un écriteau avec les démarches à suivre en cas de pépin. Par ailleurs, les travailleurs sociaux ne se rebellent pas assez [elle l’a été pendant des années NDLR]. J’ai moi-même démissionné : quand on vous demande de virer une gamine de 19 ans parce qu’elle n’a pas respecté le règlement… Pour la trêve hivernale, les seuls qui ont droit de vous virer, ce sont les centres sociaux.

Continuez-vous la scène ?

Oui, je joue bientôt à Belfort et Antibes. C’est grâce à ce spectacle que Flammarion est venu vers moi et que j’ai écrit ce livre.

Comment réagissent les spectateurs ?

Je ne savais pas comment les gens allaient prendre mon humour noir. Je flippais : ça va intéresser qui les SDF ? Et on me dit : "Je ne regarderai plus jamais un sans-abri de la même façon." J’invite des SDF dans chaque ville. Ils me prennent dans leurs bras, pleurent, reprennent espoir. Je leur dis que si je suis encore là, c’est parce que j’ai accepté des soins psy. Je suis tombée dans l’alcool, le crack, je me suis soignée. J’ai mis plus de quinze ans !

Quels sont vos espoirs ?

C’est utopique : plus de sans-abri ! En France, c’est possible. J’ai rencontré un député LREM, il fait tout ce qu’il peut, mais m’a dit : "Ce n’est pas la priorité du gouvernement". Macron fait bien une politique de riches.

Vous avez une histoire forte avec l’auteure Marie Desplechin qui vous a aidée. Êtes-vous toujours en contact ?

Oui. On s’adore. Elle est comme ma sœur, elle m’a beaucoup aidée. C’est la première femme avec qui je n’ai pas couché pour avoir un toit. Partout, pendant toutes ces années, il y avait toujours un service sexuel à faire, même chez les bourgeois.

Le programme

La 17e édition de Femmes du monde commence ce vendredi, à Bagnols. À 14 h à la Mas (rue Saint-Victor) avec la table ronde “Femmes : quelle dignité face à la précarité ?” Y participent Elina Dumont, la directrice de la Caf, le Gem, le Planning familial, Riposte, la Mas. Entrée libre. À 18 h, à la médiathèque, café littéraire avec Elina Dumont. Entrée libre. À 21 h, au centre culturel, spectacle Et pendant ce temps, Simone veille ! Tarifs : 13 € et 10 €. Expo “Les femmes se dévoilent”, du 4 au 9 mars, au centre d’art Saint-Maur. Et aussi projections d’Une femme d’exception au Ciné 102, à Pont-Saint-Esprit. Et atelier maquillage avec des astuces pour se maquiller à moindre coût, vendredi 8, à 14 h, à la Mas. 1 €, sur inscription au 06 81 89 06 74.

(*) Présidente de la Région Ile-de-France.
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Les commentaires (1)
Macrot Il y a 5 années Le 01/03/2019 à 18:25

Bravo Madame,

Souhaitons que les politiques vous suivent dans vos projets pour les femmes.