A Malakoff, le «vaillant réseau» de familles qui hébergent des migrants

Autour de l’association Scarabée, qui donne des cours de français aux migrants, une cinquantaine de familles se sont agrégées pour offrir un lit d’appoint ou un canapé aux bénéficiaires.

 Malakoff (Hauts-de-Seine). Frédérique et Sandrine (de gauche à droite), de l'association Scarabée héberge régulièrement des réfugiés chez elles. Ici, elles sont entourées de Mohamed et Jahadullah qu'elles hébergent actuellement.
Malakoff (Hauts-de-Seine). Frédérique et Sandrine (de gauche à droite), de l'association Scarabée héberge régulièrement des réfugiés chez elles. Ici, elles sont entourées de Mohamed et Jahadullah qu'elles hébergent actuellement. LP/M.L.

    « Malakoff est une ville vraiment solidaire avec une tradition d'accueil forte ». Frédérique, mère de famille de 50 ans, loge régulièrement des migrants chez elle. Comme elle, entre 50 et 60 familles ont proposé leur appartement ou leur canapé à des hommes, en majorité, mais aussi des femmes en attente de régularisation de leur situation. « 95 % des familles qui hébergent sont de Malakoff », souligne Frédérique de l'association Scarabée, qui vient en aide aux migrants, notamment à travers des cours de français.

    En 2018, l'association a pu offrir pas moins de 5 000 nuitées en hébergement solidaire à environ 60 - 70 demandeurs d'asile. « On a été surpris aussi, on a recompté mais c'est bien cela, ce qui n'empêche pas que nous ayons toujours des gens qui ne sont pas logés », remarque Thierry Archimbaud, l'un des responsables de Scarabée.

    Certains laissent leur appartement quand ils partent en vacances

    Il y a quelques semaines, leur « vaillant réseau », comme ils l'appellent, était arrivé à saturation, avec deux jeunes et un couple à la rue. « C'est un flux ininterrompu, il y a des demandes tout le temps, même de personnes qui sont en droit d'être logées (NDLR : demandeurs d'asile inscrits dans une procédure d'accompagnement) », ajoute Frédérique qui s'occupe de la coordination des hébergeurs.

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    Les « familles d'accueil » acceptent d'héberger soit en urgence pour quelques jours, soit à long terme. Certaines d'entre elles prêtent même les clés de leur logement lorsqu'elles ne sont pas là : « pendant les vacances de Noël, une Japonaise nous a prêté sa chambre pendant six jours alors qu'elle était absente, on ne la connaissait pas du tout, elle s'est juste proposé, comme ça ». Pendant l'été, d'autres familles ont fait pareil, parfois en échange de garder les animaux de compagnie.

    « On sait qui on confie à qui, souligne Elsa, une des bénévoles. Si on met un jeune chez une femme seule, on connaît le jeune, c'est évident ». Beaucoup de familles qui souhaiteraient apporter leur aide hésitent aussi car elles pensent qu'il existe un délit de solidarité aussi dans ce cas. L'association les rassure car chacun est libre d'héberger qui il veut tant que ça se fait gratuitement.

    « C'EST VRAIMENT UNE SUPER EXPÉRIENCE »

    « C'est un voyage sans retour, il y a un avant et un après ». Pour Sandrine et Frédérique, les deux bénévoles de Scarabée en charge de la coordination des hébergements solidaires de migrants, l'accueil de réfugiés à domicile a transformé leur vie.

    « Ça personnifie le réfugié et ça met en évidence les manquements de notre pays », souligne Frédérique. Cette mère de famille de 50 ans, chargé de mission, a décidé d'héberger des migrants il y a environ un an lorsqu'elle ne cessait de voir passer tous les mails d'appel au secours de l'association pour des réfugiés à la rue. La quinquagénaire en a donc parlé à sa famille et, depuis, elle en a accueilli entre six et sept, pendant une semaine à chaque fois.

    « C'est une expérience tellement enrichissante pour une famille. J'ai deux adolescents à la maison de 16 et 19 ans, j'étais contente de faire ça pour eux, que la situation des migrants ne reste pas une simple image à la télévision car ça casse toutes les murailles, la peur de l'autre », explique-t-elle.

    « Ça a obligé tout le monde à travailler sur soi »

    Pour Sandrine, la cohabitation a été un peu plus compliquée, surtout pour sa fille : « elle était moyennement d'accord au début, ça a été un peu sportif pour elle, une adolescente française qui doit cohabiter avec un étranger assez jeune aussi… Ça a obligé tout le monde à travailler sur soi ».

    Sandrine a ouvert sa porte à une quinzaine de réfugiés sur des périodes courtes et héberge Jahadullah depuis deux ans : « Il a fallu s'apprivoiser, il ne parlait ni anglais ni français et pour lui qui venait de quitter sa famille, se rattacher à une autre a été très difficile », précise-t-elle. Depuis, les relations se sont nettement améliorées. La communication aussi : « on a développé un langage hybride à mi-chemin entre le français, l'anglais et le pachtoune ».

    « Ce n'est pas le grand luxe mais c'est toujours mieux que la rue »

    Elsa, elle, héberge des réfugiés « deux à trois nuits par-ci par-là » depuis un an. Pas plus, car elle n'a pas de chambre. « Je suis en HLM et je n'ai qu'un canapé à proposer. Chacun fait avec ce qu'il a, ce n'est pas le grand luxe mais c'est toujours mieux que la rue ». Arrivée en France à l'âge de 10 ans avec ses parents qui fuyaient le régime autoritaire portugais, Elsa est sensible à la situation des migrants. Alors quand elle reçoit, elle a toujours de petites attentions : son frigo est ouvert, elle prépare toujours une paire de chaussettes et lave leurs affaires.

    Et, en contrepartie, les garçons qu'elle accueille sont volontaires pour l'aider à faire la vaisselle, passer le balai… « Il faut que les gens se rassurent, ils hébergent le temps qu'ils veulent, s'ils ne veulent pas que ça dépasse quelques jours, on a toujours des solutions avec d'autres familles solidaires il ne faut pas se sentir coupable, il n'y a pas de règle, aucune obligation », rassure-t-elle. « Il ne faut pas avoir peur, c'est une super expérience, lancent Sandrine et Frédérique. Il n'y a pas de terroriste, pas de violeur, que de gentils garçons ! »