Née sans avant-bras gauche, Maureen Beck réinvente l’escalade

Aventurière de l’année National Geographic née sans avant-bras gauche, Maureen Beck s’investit pour que son sport atteigne de nouveaux sommets.

De Jayme Moye
Maureen Beck est l’une des principales figures qui militent en faveur de l’escalade adaptée aux États-Unis. Selon elle, nous n’avons pas encore vu jusqu’où les grimpeurs handicapés pouvaient emmener ce sport. « J’ignore quelle est la véritable limite », confie-t-elle.
PHOTOGRAPHIE DE Cedar Wright

Après avoir achevé ses études dans le Vermont en 2009, Maureen Beck, surnommée « Mo », s’est mise à l’escalade sur glace. Sur rockclimbing.com, un site populaire à l’époque pour tout ce qui touchait à l’escalade, elle avait alors publié un message qui disait à peu près ce qui suit : « Salut à tous, n’ayant pas d’avant-bras gauche, j’ai ôté l’extrémité d’un piolet Trango dans laquelle j’ai inséré une vis, et je l’ai fixée à l’emboîture de ma prothèse. Pensez-vous que je pourrais faire de l’escalade avec ? »

Une réponse sortait du lot. Elle venait du fondateur de Trango, Malcolm Daly, qui pratique lui aussi l’escalade avec un membre en moins, ayant perdu la partie inférieure de sa jambe droite. Il écrivit à Maureen Beck que cela était possible, du moment qu’elle ne poursuivrait pas en justice Trango si quelque chose tournait mal. Il l’invita aussi à participer à la deuxième édition des « Gimps on Ice » (Handicapés sur glace en français), à Ouray, dans le Colorado. Cet événement d’escalade glaciaire a été créé par Paradox Sports, une jeune organisation basée à Boulder, dans le Colorado, qui vise à ouvrir l’escalade, l’escalade glaciaire et l’alpinisme aux personnes souffrant de handicaps.

Maureen, qui est née sans avant-bras gauche, n’avait jusqu’alors jamais participé à des activités en plein air en compagnie d’autres personnes handicapées. Elle a grandi avec ses trois frères au sein d’une famille amoureuse du grand air, dans une petite ville située en périphérie du parc national d’Acadia. Ses parents l’ont traitée de la même façon que ses frères et Maureen a appris à trouver des solutions pour remplacer sa main, comme scotcher la pagaie à sa prothèse pour aller faire du canoë. À l’école, elle insistait pour essayer chaque sport proposé en cours d’EPS, même si cela signifiait lancer et attraper la balle de baseball avec sa seule main, sans gant. Au collège, lors des essais de sélection pour le football, Maureen voulait être gardienne. Lorsqu’un entraîneur, un animateur ou un professeur de sport lui disait : « Il vaudrait peut-être mieux que tu passes ton tour pour cette fois », elle répliquait : « Vous pensez que je ne peux pas le faire ? Regardez. »

« Une fois, mes parents m’ont inscrite à une colonie de vacances pour enfants handicapés et j’ai détesté ça », se souvient-elle. « Je ne m’identifiais à personne. J’avais le sentiment que c’était juste beaucoup de temps perdu à s’apitoyer sur son sort. »

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    Maureen Beck en train d’escalader une voie près de Vedauwoo, dans le Wyoming. En 2014, elle est devenue la première Américaine à remporter les Championnats du monde d’handi-escalade de la Fédération internationale d’escalade.
    PHOTOGRAPHIE DE Cedar Wright

    Lorsque Maureen est arrivée dans le Colorado pour les Gimps on Ice, elle assista à quelque chose de complètement différent. Des dizaines de personnes amputés d’un membre, aveugles ou paralysés des jambes tentaient de gravir les 30 m des parois glacées de la gorge Uncompahgre. Et ils ne cherchaient pas à trouver des excuses. « C’étaient de véritables athlètes », confie la jeune femme. « Le jour, ils se donnaient à fond pour escalader et la nuit, ils prenaient une cuite. On a fait la fête tout le week-end. Alors je me suis dit que j’avais peut-être trouvé mes camarades. »

    À l’époque, Maureen était témoin d’un début d’adaptation dans l’escalade. L’idée selon laquelle ce sport pouvait être maîtrisé, et même atteindre de nouveaux niveaux, grâce aux personnes handicapées, comme c’était le cas avec le cyclisme handisport et l’handiski, faisait son chemin. Pour la première fois de sa vie, la jeune femme avait envie de tisser des liens avec d’autres personnes handicapées et est devenue une habituée des Gimps on Ice. Puis, en 2012, au moment de déménager à Boulder, dans le Colorado, elle a contacté Paradox Sports et a intégré la communauté locale d’handi-escalade. Depuis, Maureen fait régulièrement de l’escalade avec ses camarades athlètes handicapés.

    En 2019, Maureen Beck participera aux Championnats du monde d’handi-escalade de la Fédération internationale d’escalade. Elle organise aussi des ateliers dans les salles d’escalade sur l’accueil des grimpeurs handicapés. « J’appelle cela la normalisation de l’anormal : faire en sorte que cela devienne si courant que ce ne soit plus surprenant », déclare-t-elle.
    PHOTOGRAPHIE DE Cedar Wright

    C’était une période passionnante. En avril 2013, Ronnie Dickson, un grimpeur handicapé de Floride, a rallié la communauté d’escalade Paradox pour se rendre aux GoPro Mountain Games, une compétition annuelle qui avait lieu à Vail, dans le Colorado, et y participer dans la première catégorie d’handi-escalade des jeux. Maureen Beck a pris part à la compétition, davantage par solidarité que par intérêt, mais aussi pour pouvoir passer du temps avec quelques amis grimpeurs handicapés. Mais une fois sur place, le feu qui brûlait en elle quand elle était plus jeune s’est ravivé. « Je n’ai pas eu de médaille », dit-elle. « Et cela m’a en quelque sorte énervée. »

    L’année suivante, Atlanta a accueilli les premiers championnats d’handi-escalade des États-Unis. Maureen était la seule participante dans la catégorie « femme membre supérieur » et a remporté la compétition par le simple fait d’être venue et d’avoir fait de l’escalade. Ce n’était pas ce dont elle rêvait, mais Maureen s’est sentie pousser des ailes : la médaille l’a qualifiée pour participer aux championnats du monde, en Espagne. À Madrid, son premier voyage hors des États-Unis, la grimpeuse est devenue la première Américaine à remporter les Championnats du monde d’handi-escalade de la Fédération internationale d’escalade (IFSC). Mais plus important encore, elle y a rencontré d’autres femmes ayant perdu un bras et qui, comme elle, donnait tout au moment de grimper.

    Maureen Beck grimpe une voie du canyon Clear Creek, dans le Colorado. Avant de participer à un rassemblement d’escalade en 2009, la jeune femme n’avait jamais pris part à des activités en plein air avec d’autres personnes handicapées.
    PHOTOGRAPHIE DE Taylor Keating

    Depuis, Maureen Beck a décroché six titres nationaux, escalade sur bloc et escalade confondues. En 2016, elle a défendu avec brio son titre de Championne du monde en France (les Championnats du monde d’handi-escalade de l’IFSC ont lieu tous les deux ans). Lors des Championnats du monde 2018 en Autriche, la grimpeuse a pris la troisième place. « En fait, c’était une super façon de perdre », confie-t-elle. « C’était la première fois qu’il y avait autant de participantes dans ma catégorie et le niveau était bien plus élevé qu’avant. »

    Pour ne pas avoir lieu en même temps que les Jeux olympiques, les Championnats du monde d’handi-escalade de l’IFSC de 2020 ont été avancés à 2019. Ce sera la dernière compétition de Maureen Beck, qui souhaite ensuite se concentrer sur d’autres projets. Tout d’abord, elle voudrait « faire exploser » la participation des personnes handicapées dans le sport. Maureen a récemment pris la présidence du comité d’handi-escalade de USA Climbing, l’organe décisionnel de l’escalade sportive aux États-Unis. Le 30 mars 2019, elle attend plus d’une centaine d’athlètes pour l’U.S. Nationals, qui se tiendra à Colombus, dans l’Ohio. L’époque à laquelle Maureen Beck était la seule participante de sa catégorie est depuis longtemps révolue. Toutefois, la jeune femme estime qu’il reste encore beaucoup de pain sur la planche quant à l’éducation des grimpeurs handicapés, notamment sur la façon dont ils peuvent s’enrichir et exceller dans la discipline, et en ce qui concerne les outils et ressources dont ils ont besoin pour ce faire.

    En grandissant, quand un entraîneur, un animateur ou un professeur de sport lui disait : « il vaudrait peut-être mieux que tu passes ton tour pour cette fois », Maureen Beck répliquait : « Vous pensez que je ne peux pas le faire ? Regardez. »
    PHOTOGRAPHIE DE Taylor Keating

    Monitrice pour Paradox Sports, elle organise à cet effet des ateliers à travers le pays sur la manière dont les salles d’escalade peuvent améliorer l’accueil des sportifs handicapés. « Ainsi, lorsqu’une personne souffrant d’un handicap se présentera dans sa salle d’escalade locale, la personne à l’accueil ne la dévisagera pas comme si elle était folle », explique Maureen Beck. « J’appelle cela la normalisation de l’anormal : faire en sorte que cela devienne si courant que ce ne soit plus surprenant. » Elle a donné six ateliers comme ceux-ci l’année dernière et précise que la demande est forte. En tout, Paradox a organisé une centaine de ces ateliers.

    Maureen Beck veut bien évidemment continuer de repousser les limites de ce qui est considéré comme possible pour les grimpeurs handicapés en extérieur. À ce jour, la voie d’escalade la plus compliquée qu’elle ait eu à grimper était notée 5.12a selon le Yosemite Decimal System (Système décimal de Yosemite en français), un niveau de difficulté inaccessible à la plupart des grimpeurs, qu’ils soient handicapés ou non. Maureen fut la première femme avec un membre supérieur en moins à gravir cette voie, une quête qui a fait l’objet d’un documentaire, intitulé Stumped. La jeune femme a actuellement en vue l’Archangel. Cette voie, notée 5.12c, suit un angle orienté vers l’intérieur qui s’étend sur environ 30 m au-dessus de la paroi d’un canyon en périphérie de Boulder. « C’est Alex Honnold qui me l’a recommandée en fait », raconte Maureen Beck. « Il m’a dit qu’il n’y avait pas vraiment de prises, mais que, de toute façon, ça ne devrait pas me défavoriser. »

    Et parce que l’escalade ne lui suffit pas, Maureen a participé à sa première expédition d’alpinisme en août dernier. Accompagnée du grimpeur handicapé Jim Ewing, elle a réalisé l’ascension de la Lotus Flower Tower (la Tour de la fleur de Lotus en français), un pic de granite de la Cirque des Parois impossibles, situé dans les Territoires du Nord-Ouest du Canada et qui culmine à près de 2 600 m d’altitude. Elle prévoit de se rendre pour la première fois au parc national de Yosemite à l’automne 2019, pour mettre son courage à l’épreuve face aux plus grandes parois du continent américain, qui s’élèvent à près de 1 000 m d’altitude. « J’ignore quelle est la véritable limite », dit-elle au sujet de ce qui est possible pour les grimpeurs handicapés. « Je pense que nous ne l’avons pas encore trouvée. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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