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« Au Cameroun, la littérature est à la fois divertissement et acte de résistance »

A l’origine du salon littéraire Moss, à Douala, Séverine Kodjo-Grandvaux souligne l’engouement du lectorat local malgré la difficulté de se procurer des livres.

Publié le 03 mars 2019 à 18h00, modifié le 03 mars 2019 à 18h00 Temps de Lecture 4 min.

Françoise Vergès (à gauche) et Séverine Kodjo-Grandvaux à la Galerie MAM, à Douala, le 21 novembre 2018.

Chronique. Cet endroit a quelque chose de magique. J’aime cet endroit. La quiétude qui s’en dégage. La chaleur du bois, la solennité du parquet ciré. Ses fauteuils majestueux. L’appel silencieux des livres sur les étagères. Plus de 2 500 ouvrages, essentiellement sur l’art et les littératures d’Afrique, rassemblés par Marème Malong, la fondatrice de la Galerie MAM, à Douala. Des romans, des essais d’histoire, de philosophie, sur nos sociétés, les cultures, la religion, l’économie, l’agriculture… Des recueils de poèmes, des beaux-livres, des albums pour enfants. Une bibliothèque de celles où l’on aime se perdre, prendre un livre au hasard, le feuilleter, humer l’odeur du papier tout en en appréciant la texture du bout des doigts et se laisser emporter pour déambuler loin des sentiers battus, inviter son regard à s’ouvrir sur d’autres horizons, plonger dans des imaginaires nouveaux et éprouver l’inconfort bienfaiteur du dessillement, trouver sa voie au gré d’une errance solitaire, accompagné des mots des autres.

J’aime cet endroit. C’est un refuge. Un havre de sérénité au milieu de la frénésie urbaine. Il est devenu ma madeleine camerounaise. Mes souvenirs s’y constituent. Je me rappelle. La béatitude de Gaston-Paul Effa, venu présenter sa rencontre non loin de là avec la féticheuse Tala et sa redécouverte de l’animisme oublié de ses aïeux, narrée si élégamment dans Le Dieu perdu dans l’herbe (Presses du Châtelet, 2015). Je me rappelle. Les éclats de Dany Laferrière, les verres fumés de Simon Njami, le plaisir d’Achille Mbembe d’être de retour à Douala après plus de vingt ans d’absence, le rire gêné de Max Lobe, les espoirs de Felwine Sarr, la douceur de la voix de Françoise Vergès. Je me rappelle Kidi Bebey, Marc Alexandre Oho Bambe. Le grand et généreux Henri Lopès… Tous ont imprégné ce lieu et offert d’eux-mêmes. Leur présence est là, palpable, qui entoure de bienveillance celui qui franchira, le cœur ouvert, le seuil du salon littéraire Moss.

J’aime cet endroit si rare à Douala, ville portuaire, ville fleuve, ville battue par le tourbillon économique et l’urgence du quotidien. Ville rebelle, dit-on. J’aime cette bibliothèque qui s’offre, tel un trésor, à celui qui aura traversé le dédale de la Galerie MAM, installée depuis 1995 dans le quartier de Bonanjo. Et où, depuis deux ans, j’ai la chance de pouvoir inviter et recevoir les auteurs qui me tiennent à cœur.

Une seule librairie : la Fnac

Lorsque Marème Malong et moi-même nous sommes rencontrées, à cette époque, elle voulait partager son goût pour la littérature et les idées ; ce que, comme journaliste et philosophe, j’ai le privilège de faire depuis une dizaine d’années et qui me semble crucial en des lieux où l’incertitude politique, économique, est omniprésente – l’actualité française le démontre, ce n’est pas là une spécificité qui serait africaine. Où les débats et les échanges intellectuels ne sont pas choses les plus aisées à organiser, voire ne sont pas sans risque pour ceux qui y participent. Là où la parole circule difficilement dans l’espace public. Certains verront dans les rencontres littéraires un divertissement, d’autres un acte de résistance. C’est sans doute un peu des deux.

Les occasions de parler de littérature sont relativement rares à Douala, ville de près de 3 millions de personnes, sans réelle possibilité de se procurer des livres. Seule librairie, la Fnac. Son offre est plutôt limitée et les titres africains peinent à trouver leur place parmi les Stephen King et autres ouvrages de coaching amoureux. La romancière Aminata Aidara a pu le constater lorsqu’elle est venue présenter à Moss Je suis quelqu’un (Gallimard, 2018). Ce premier roman remarqué lors de sa parution n’est pas en vente à Douala, comme de très nombreux ouvrages écrits par des auteurs camerounais, ou plus largement africains.

Manque d’intérêt du lectorat local ? Le succès des événements comme Moss ou le festival Lire à Douala, créé en 2015 par des femmes passionnées de littérature et qui touche un millier de personnes en quatre jours, le dément. Les auditeurs sont là, nombreux et fidèles. Au fil des rencontres, un petit noyau de lecteurs assidus s’est constitué, qui échangent, se conseillent des ouvrages à lire, questionnent les écrivains venus à leur rencontre, lesquels repartent enrichis de leur séjour. L’occasion pour eux de partager leur œuvre avec le lectorat camerounais. « C’était la première fois qu’on m’invitait à parler de mes livres chez moi, au Cameroun », confiait, souriant, Gaston-Paul Effa après deux heures de dédicaces en mai 2017.

Grande leçon d’universalité

Jeudi 21 février, Aminata Aidara était l’invitée de Moss. Après avoir reçu des personnalités comme Achille Mbembe, Felwine Sarr ou Françoise Vergès, j’avais envie de donner la parole à une jeune romancière. J’ai aimé cette rencontre plus intimiste d’une auteure qui commence tout juste à façonner son œuvre. Les échanges ont été riches. Chacun commentait les actions ou les questionnements des personnages de Je suis quelqu’un. Et s’interrogeait sur leur quête non pas tant d’identité que d’eux-mêmes.

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La littérature d’Aminata Aidara a ceci d’admirable qu’elle nous invite à nous plonger dans la psychologie de ses personnages, de nous tous. Nous y lisons nos failles, nos hésitations, nos doutes, nos préjugés, notre force aussi. Que ses personnages soient blancs, noirs, métis, africains, européens, afropéens, africains-américains, nous pouvons nous reconnaître en chacun d’eux. C’est là la grande leçon d’universalité de la littérature. Elle nous rappelle que nos différences font notre commune humanité, si ténébreuse et si lumineuse à la fois.

Séverine Kodjo-Grandvaux, journaliste et philosophe collaboratrice du Monde Afrique, est l’organisatrice du salon littéraire Moss, à Douala.

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