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En Turquie, une jeunesse moins pratiquante

Malgré la pression des islamo-conservateurs, une partie de la population, y compris les femmes, relâche sa pratique religieuse.

Par  (Istanbul, correspondante)

Publié le 04 mars 2019 à 14h47, modifié le 04 mars 2019 à 17h49

Temps de Lecture 3 min.

Cinquante-trois pour cent de la gent féminine turque porte le voile, soit seulement 1 % de plus qu’en 2008, malgré la pression des islamo-conservateurs.

Les Turcs seraient-ils moins religieux ? MalgrĂ© la construction de nouvelles mosquĂ©es, l’accent mis sur les cours d’éducation religieuse, l’importance dĂ©mesurĂ©e prise par la direction des affaires religieuses (Diyanet), dont le budget (2 milliards de dollars pour 2019) a quadruplĂ© ces dernières annĂ©es, une partie de la population semble avoir perdu la foi. Plusieurs signes attestent d’un lĂ©ger relâchement de la pratique religieuse. Cela peut sembler paradoxal au moment mĂŞme oĂą l’islam, religion majoritaire en Turquie, a considĂ©rablement gagnĂ© en visibilitĂ© dans l’espace public sous la houlette des islamo-conservateurs du Parti de la justice et du dĂ©veloppement (AKP), aux manettes du pays depuis 2002, qui ont fait de la religion un instrument de conquĂŞte de leur pouvoir politique.

Parmi les indices de cette rĂ©cente dĂ©saffection, des centaines de femmes turques ont publiĂ©, en janvier, sur leurs comptes Facebook des photos d’elles-mĂŞmes « avant/après Â» : voilĂ©es en 2009, dĂ©voilĂ©es en 2019. S’étant emparĂ©es du hashtag #10yearschallenge, qui consiste Ă  partager sur les rĂ©seaux sociaux une photo de soi-mĂŞme prise il y a dix ans avec un clichĂ© rĂ©cent, ces femmes ont justifiĂ© leur dĂ©cision de la façon suivante : « Nous sommes devenues nous-mĂŞmes, plus belles, plus libres. Â» Une prise de parole courageuse dans un pays oĂą n’importe qui peut recevoir des menaces de mort ou se retrouver en prison pour un mot, un article, un Tweet. Après avoir reçu des volĂ©es de bois vert de la part d’internautes ulcĂ©rĂ©s, plusieurs d’entre elles ont prĂ©fĂ©rĂ© fermer leurs comptes.

Des jeunes sĂ©duits par le « dĂ©isme Â»

Mal vu Ă  l’époque kĂ©maliste, le carrĂ© de tissu islamique, qui encadre le visage sans le cacher, a repris ses droits dans l’espace public depuis que le numĂ©ro un turc, Recep Tayyip Erdogan, l’a autorisĂ©, Ă  l’universitĂ©, Ă  l’école, dans l’administration et, tout rĂ©cemment, dans l’armĂ©e. Pour autant, le foulard n’est pas obligatoire en Turquie. Son utilisation dĂ©pend du milieu familial, de l’origine sociale, de l’appartenance politique. Il se dĂ©cline en plusieurs variantes, que seul un Ĺ“il exercĂ© parvient Ă  dĂ©chiffrer. Cinquante-trois pour cent de la gent fĂ©minine turque le porte actuellement, soit seulement 1 % de plus qu’en 2008, selon un sondage publiĂ©, en janvier, par l’institut turc d’étude de l’opinion publique Konda. Dans le mĂŞme temps, toujours selon Konda, le pourcentage des personnes se dĂ©crivant comme « pieuses Â» a tendance Ă  diminuer. Elles Ă©taient 55 % en 2008 et ne sont plus que 51 % dix ans plus tard. RĂ©alisĂ© fin 2018 sur 5 800 citoyens Ă  travers 36 des 81 provinces du pays, le sondage indique aussi une lĂ©gère augmentation des sondĂ©s se dĂ©clarant « athĂ©es Â» (3 % en 2018 contre 1 % en 2008).

Non Ă©voquĂ© par les sondages, il est un concept, le « dĂ©isme Â», qui donne bien des sueurs froides aux religieux conservateurs. Déçue par la religion officielle, une partie de la population se revendique « dĂ©iste Â», c’est-Ă -dire qu’elle reconnaĂ®t l’existence de Dieu tout en rejetant les rituels et les dogmes. Un phĂ©nomène qui concerne essentiellement la jeunesse, selon un constat dressĂ© en avril 2018 Ă  Konya, dans le centre du pays, Ă  l’occasion d’un sĂ©minaire organisĂ© par le ministère de l’éducation.

Musulman fervent, Mohamed Sezgin, la cinquantaine, ne sait plus Ă  quel saint se vouer depuis que son fils aĂ®nĂ©, Mustafa, lui a confiĂ© ĂŞtre « dĂ©iste Â». « Il ne veut pas aller Ă  la mosquĂ©e, ne reconnaĂ®t pas nos rites sacrĂ©s, notre hĂ©ritage islamique… J’essaie de le convaincre, mais rien n’y fait Â», se dĂ©sole ce père de deux grands adolescents qui exerce comme mĂ©decin gĂ©nĂ©raliste dans le quartier de Sisli, sur la rive europĂ©enne d’Istanbul. Derrière le refus de son fils, il croit flairer une « manipulation Â». Une inquiĂ©tude partagĂ©e par Ali Erbas, Ă  la tĂŞte de la Diyanet. « Alertez vos amis afin qu’ils ne tombent pas dans le piège de ce concept Â», a-t-il mis en garde lors d’une rencontre avec les Ă©tudiants de l’universitĂ© Uludag, Ă  Bursa, le 1er novembre 2018. Preuve que le pouvoir en place commence Ă  s’inquiĂ©ter.

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