Tactique délibérée d’intox ou tentative obstinée de rattraper une bourde ? Marine Le Pen et les cadres du Rassemblement national (RN) martèlent depuis des jours, contre toute évidence, qu’un migrant peut toucher davantage de prestations de l’Etat qu’un retraité modeste français.
Peu leur importe que leurs affirmations soient systématiquement démenties : ils maintiennent leur constat avec aplomb, quitte à remanier discrètement leur argumentaire au fil de l’eau. Une stratégie déjà éprouvée à plusieurs reprises, qui leur permet d’imposer un thème dans le débat public sur la base d’une déclaration outrancière. Retour en quatre actes sur un cas d’école.
Acte I : la comparaison douteuse de Marine Le Pen
Pour Marine Le Pen, la séquence « migrants contre retraités » commence le 24 février, dans le Nord. Dans son discours de lancement de la campagne pour les européennes, la présidente du RN feint de s’étonner qu’un « migrant fraîchement débarqué puisse toucher davantage qu’un retraité modeste qui a travaillé et cotisé toute sa vie ».
Il faut peu de temps pour que de nombreux médias montrent, chiffres à l’appui, que c’est faux. Les propos de l’ancienne candidate à la présidentielle posent deux problèmes principaux :
d’abord, les droits d’une personne étrangère qui arrive en France sont beaucoup plus restreints qu’elle ne le prétend. Il existe bien des aides, mais celles-ci sont versées à certains publics et sous conditions ;
surtout, elles sont loin de rivaliser avec le minimum social garanti aux plus de 65 ans en France : l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA, l’ex-minimum vieillesse), qui s’élève à 868 euros par mois pour une personne seule.
Acte II : des justifications bancales
Mais il en faut plus pour déstabiliser Mme Le Pen, qui persiste et signe dans un droit de réponse publié sur son blog le 26 février. Bien qu’elle y affirme maintenir sa déclaration, elle y opère, en réalité, un premier glissement sémantique : il n’est plus vraiment question d’évoquer l’ensemble des immigrés (256 000 titres de séjour délivrés par an), mais les seuls demandeurs d’asile qui réclament le statut de réfugié (113 000 dossiers).
Marine Le Pen se focalise sur cette catégorie, probablement parce qu’elle est la plus accompagnée. Les aspirants réfugiés bénéficient, en effet, d’une aide spécifique, l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), pour compenser leur interdiction de travailler pendant le traitement de leur demande.
Sauf que cela ne suffit toujours pas : l’ADA ne représente que 204 euros par mois, bien loin du minimum garanti aux retraités par l’ASPA. Alors, la dirigeante politique y ajoute d’autres avantages accordés aux demandeurs d’asile en matière de logement, de santé ou de transports dans certaines collectivités.
Et elle compare désormais leur sort à une population bien spécifique de retraités français : des personnes assez modestes, selon elle, pour toucher l’ASPA, mais pas assez pour recevoir d’autres aides. Un raisonnement tiré par les cheveux, puisqu’il occulte que la grande majorité de ces retraités ont droit à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et aux aides au logement (et que tous ont le droit à la protection universelle maladie).
Acte III : des tracts truffés d’erreurs
Face à une nouvelle salve de rectificatifs, le Rassemblement national ne désarme pas. Sébastien Chenu, porte-parole du mouvement, reprend l’argumentaire de sa présidente dans un tract diffusé sur les réseaux sociaux le 28 février. On y trouve, cette fois, un tableau comparatif censé démontrer une fois pour toutes l’affirmation de Mme Le Pen, calculs à l’appui :
Le problème, c’est que le raisonnement est une nouvelle fois entaché d’erreurs. Ainsi, le titre du tract prétend toujours évoquer la situation d’un « migrant fraîchement débarqué », mais c’est une nouvelle fois des seuls demandeurs d’asile dont il est question. Le document souffre aussi de grossières erreurs et omissions, par exemple, le fait qu’un retraité très modeste peut prétendre à l’aide personnalisée au logement (APL). Sébastien Chenu finira d’ailleurs par supprimer son tweet, avant de publier une deuxième version du tract :
Ce document est, cependant, tout aussi mensonger. Il prend, en effet, l’exemple fictif d’une « retraitée française qui paye ses impôts, son logement et sa santé » et ne toucherait que le minimum vieillesse : 868 euros par mois.
Le problème, c’est qu’une personne seule dans cette situation pourrait tout à fait prétendre à l’accès aux soins gratuits – ses revenus sont inférieurs au plafond pour prétendre à la CMU-C. Par ailleurs, si elle est locataire, elle pourrait selon toute vraisemblance être éligible à l’APL, à hauteur d’environ 250 euros par mois selon les cas. Enfin, elle ne paierait ni taxe d’habitation ni impôt sur le revenu, du fait de ses faibles revenus.
Malgré cela, le tract en question est allègrement relayé par les cadres du RN dans les jours qui suivent.
Acte IV : la méthode Coué
Jordan Bardella, le chef de file du RN pour les élections européennes, est pourtant contraint de changer une nouvelle fois de braquet le 4 mars. Confronté sur le plateau de France 2 au caractère mensonger de ses chiffres, M. Bardella ne pointe plus du doigt les demandeurs d’asile (qui résident sur le territoire de façon régulière), mais les « clandestins ».
Mais là encore, la machine à intox fonctionne à plein : M. Bardella affirme que ces clandestins seraient « hébergés gratuitement » à leur arrivée en France (c’est faux), et qu’ils bénéficient de soins gratuits (c’est vrai, avec l’aide médicale d’Etat), contrairement aux retraités français (c’est faux, ces derniers bénéficient de la protection universelle maladie, voire d’une couverture complémentaire). Les « clandestins », c’est-à-dire les personnes qui résident en France de manière irrégulière, ne sont pas éligibles aux minima sociaux.
« Nous maintenons cette affirmation (…) et nous continuerons de le dire, car c’est la vérité, je crois », conclut, malgré tout, M. Bardella.
En définitive, les cadres du Rassemblement national ne sont pas parvenus à démontrer l’affirmation initiale de Marine Le Pen. Contrairement à ce qu’elle laissait entendre, les aides sociales sont réservées à certaines catégories de migrants, sous conditions. Et surtout, les retraités les plus défavorisés ne sont pas moins bien protégés par l’Etat français que les ressortissants étrangers.
Ces précisions ne sont pas accessoires car elles touchent au cœur des sujets abordés. Lorsqu’elle cible les supposés « privilèges » accordés aux migrants, Mme Le Pen refuse, en réalité, de nommer la réelle cible de ses propos : les demandeurs d’asile.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu