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Les difficultés de recrutement, nouveau poison pour la croissance

LE CERCLE/POINT DE VUE - Sur tous les continents, les entreprises sont confrontées à d'importantes pénuries de main-d'oeuvre. Pour Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, ce phénomène explique en partie le ralentissement des économies.

Le marché du travail inclut très largement les plus formés, mais laisse de côté une frange croissante des moins formés.
Le marché du travail inclut très largement les plus formés, mais laisse de côté une frange croissante des moins formés. (Simon Lambert/Haytham-REA)

Par Denis Ferrand (économiste, directeur général de Rexecode)

Publié le 6 mars 2019 à 15:21

La plupart des économies avancées sont confrontées à d'importantes difficultés de recrutement. Celles-ci ont probablement contribué à ralentir l'activité en Europe en 2018 comme elles pourraient désormais le faire aux Etats-Unis. Elles viennent principalement du ralentissement général de la population en âge de travailler. Elles illustrent aussi des difficultés spécifiques à chaque pays : une situation de surchauffe aux Etats-Unis, un fort vieillissement de la population au Japon, un défaut d'inclusion dans l'emploi des jeunes non qualifiés en France.

Les indicateurs de difficultés de recrutement battent des records dans de nombreuses économies. 35 % des entreprises américaines sont confrontées à des difficultés à pourvoir des postes. Il y a 1,6 offre d'emploi pour une demande au Japon.

En France, 75 % des entreprises du bâtiment se déclarent confrontées à des difficultés de recrutement.

En 2018, une entreprise allemande du secteur des services sur trois déclarait que son activité était freinée par les difficultés d'accès à la main-d'oeuvre. C'était le cas d'une entreprise industrielle sur quatre. Ces proportions ont un peu fléchi depuis. Elles restent élevées. Elles le sont encore plus en Europe centrale, où l'activité d'une entreprise industrielle polonaise sur deux est contrainte par l'insuffisance de main-d'oeuvre. Elles concernent 3 entreprises industrielles hongroises sur 4. C'est cette économie qui a ainsi le besoin le plus urgent de flux migratoires entrants pour suppléer une main-d'oeuvre introuvable.

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En France, 45 % des entreprises de l'industrie, 65 % de celle des transports, 75 % de celles du bâtiment se déclarent confrontées à des difficultés de recrutement. Derrière cet inventaire, c'est l'expression d'un phénomène transversal qui apparaît : celui de la rareté des compétences mobilisables.

La population en âge de travailler ralentit

Les explications de ce phénomène sont multiples, même s'il procède d'un facteur commun : le ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler. La population des 15-64 ans n'a quasiment pas augmenté en Allemagne en 2018, et elle devrait y diminuer de 0,4 % par an d'ici 2023. Au Japon, elle recule de 0,9 % par an depuis dix ans et la pénurie est telle qu'elle a conduit le pays à voter une loi autorisant l'afflux de migrants pour des métiers en tension. Le recul démographique de l'Europe centrale s'accompagne de mouvements migratoires sortants. La croissance de la population en âge de travailler ralentit également aux Etats-Unis, mais le taux d'emploi de la population de 16 à 64 ans a retrouvé le niveau qui était le sien avant la récession de 2008.

Toutefois, l'analyse fine de ce mouvement interpelle quant à sa durabilité. Il s'explique exclusivement par l'augmentation du taux d'emploi des plus de 55 ans, alors que la part des 16-54 actifs dans la population de cette tranche d'âge est encore inférieure au niveau qui était le sien avant le déclenchement de la récession de 2008. La crise des opiacés, notamment, est passée par là, contribuant probablement à la sortie d'une frange importante de la population jeune hors du nombre des actifs.

En France, le problème des jeunes peu formés

Le cas de la France est particulier et préoccupant au regard de ce que les difficultés de recrutement disent du dysfonctionnement de son marché du travail. La population en âge de travailler est quasiment stable en France. Elle reculerait faiblement d'ici 2023.

Surtout, ce handicap démographique pour la croissance se double d'un défaut majeur d'inclusion de la population jeune et peu formée. Le taux d'emploi des 20-29 ans ayant un diplôme supérieur à bac + 2 a progressé de 2 points depuis 2008. Mais, à l'inverse, il a reculé de 10 points en ce qui concerne la population du même âge sans diplôme et de 5 points pour ceux ayant un diplôme proche du bac.

Deux observations sur ce point : la baisse du taux d'emploi des jeunes non ou relativement faiblement formés ne s'explique nullement par la réduction drastique des emplois aidés. Elle s'est effectuée de 2008 à 2015 et lui est donc bien antérieure. Une telle divergence des taux d'emploi des plus jeunes, selon les niveaux de formation, ne s'observe dans aucun autre des grands pays de la zone euro.

Pour donner un ordre de grandeur, si le taux d'emploi de la population de 20 à 29 ans dont le niveau de formation initiale ne dépasse pas le bac était resté au même niveau que celui observé en 2008, 250.000 personnes de 20 à 29 ans en plus seraient en emploi. A titre de comparaison, le nombre d'emplois vacants dans les entreprises de plus de 10 salariés est estimé à 150.000 par la Dares. Rapprocher ces deux chiffres ne peut donner autre chose qu'un ordre de grandeur, l'appariement entre les emplois non pourvus et les compétences inemployées n'allant pas de soi.

Toutefois, il illustre bien un dysfonctionnement du marché du travail, qui inclut très largement les plus formés, sans que, pour autant, les postes occupés correspondent toujours à leur niveau initial de qualification, mais qui laisse de côté une frange croissante des moins formés tout en oubliant de pourvoir à un nombre croissant de postes. Répondre aux difficultés de recrutement, c'est aussi interroger les ressorts d'un retour à l'emploi de ceux qui en ont été de plus en plus éloignés et leur donner un horizon autre que le refuge dans le travail non déclaré dont la prévalence a été bien documentée récemment par le Conseil d'observation pour l'emploi.

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Denis Ferrand est directeur général de Rexecode.

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