La France va taxer à 3% le chiffre d'affaires des Gafa : 400 millions d'euros attendus en 2019

La France va taxer à 3% le chiffre d'affaires des Gafa : 400 millions d'euros attendus en 2019
Les Gafa vont-ils supplanter les Etats ? (CREATIVE COMMONS)

En attendant un accord international, la France va instaurer une taxe de 3% sur le chiffre d’affaires de trois activités numériques, en visant essentiellement les géants américains.

· Publié le · Mis à jour le
Temps de lecture

"A un moment, il vaut mieux décider une solution imparfaite que ne rien faire du tout", a affirmé ce mercredi 6 mars Bruno Le Maire. Le ministre de l’Economie présentait à la presse, avant de le faire en Conseil des ministres, son projet de loi sur la taxation des grandes entreprises du numérique.

Ce projet d’imposition, annoncé depuis des mois après de longues discussions, notamment avec l’Allemagne, va créer une taxe de 3% sur le chiffre d’affaires de services pouvant être rattachés au territoire français, pour les entreprises réalisant au moins 750 millions d’euros de CA mondial et 25 millions de CA en France.

La suite après la publicité

La taxe s’appliquera à trois types d’activités : la publicité ciblée en ligne (qui s’adapte selon les données personnelles recueillies par le service, comme dans Google ou Facebook), la vente de données sur les utilisateurs à des fins publicitaires et l’activité d’intermédiaire (Amazon par exemple ne sera pas taxé sur la vente de ses propres produits, mais sur celle d’autres vendeurs via son site).

400 millions d'euros attendus cette année

Cette taxe sera imposée pour l’activité à partir du 1er janvier 2019, et selon les estimations de Bercy, elle devrait rapporter 400 millions d’euros cette année, 450 millions en 2020, 550 en 2021 et 650 en 2022 – des prévisions fondées sur la croissance observée du numérique depuis cinq ans en France.

Google a déplacé près de 20 milliards d'euros aux Bermudes en 2017"Jamais nous ne reprocherons aux géants du numérique leur succès", assure le ministre, pour lequel "le signe le plus évident de leur valeur, c’est leur capitalisation boursière". Bruno Le Maire rappelle l’engagement d’Emmanuel Macron à faire descendre d’ici 2022 le taux de l’impôt sur les sociétés de 33,3% à 25%. "Un effort considérable de nos compatriotes pour améliorer la compétitivité de nos entreprises", estime le ministre, pour lequel l’attractivité de la France se jouera bien plus là que sur la nouvelle taxe sur les géants du numérique.

Pour Bruno Le Maire, qui rappelle que cette mesure "de justice fiscale" est évoquée par Emmanuel Macron dans sa lettre aux Européens, cette taxe doit réduire l’écart d’imposition entre les géants rois de l’optimisation fiscale et toutes les autres entreprises : selon les calculs de la Commission européenne, une entreprise a un taux d’imposition moyen de 23,2% dans l’Union européenne, contre seulement 9,5% pour une entreprise du numérique, grâce aux rapatriements des bénéfices dans des Etats à faible imposition ou des paradis fiscaux.

La suite après la publicité

Faute d'unanimité dans l'UE, la France mise sur l'OCDE

Cette taxe arrivera en première lecture à l’Assemblée en avril. Elle n’a pas vocation à durer, souligne le ministre, le gouvernement souhaitant qu’une réglementation à l’échelle internationale prenne le relais dès que possible. "Il y a deux ans, nous étions tout seuls" à le proposer, observe-t-il, alors que la France a depuis rallié 23 pays sur les 27 de l’Union européenne – l’Irlande, la Suède, la Finlande et le Danemark restant réfractaires.

L’Irlande a attiré de nombreuses multinationales avec son imposition faible et la Suède veut protéger son champion Spotify, numéro un mondial de la musique en streaming.

Faute d’unanimité – Bruno Le Maire juge à ce propos qu’"il est temps de passer à la majorité qualifiée pour adopter des décisions en matière fiscale" -, la France attend la conclusion des travaux de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) qui planche depuis des années sur ce problème épineux. Le 11 mars, au conseil des ministres européens de l’Economie, il n’y aura toujours pas d’accord sur une taxe GAFA, et Bruno Le Maire souhaite au moins une position commune de l’UE sur le principe d’un débat à l’OCDE. La question pourrait ensuite être abordée à la réunion du G7 en juillet à Paris, puis passer à l’OCDE à la rentrée.

Taxation du numérique: la France table désormais sur un accord à l'OCDEOutre le soutien de 23 pays sur 27 dans l’UE, Bruno Le Maire souligne que l’Inde et l’Australie mettent aussi en place une taxe sur les grands du numérique, et se félicite de l’évolution américaine : lors de la venue la semaine dernière à Paris du secrétaire au Trésor Steven Mnuchin, ce dernier a indiqué que les Etats-Unis sont à présent d’accord sur le principe d’une taxation des activités numériques.

La suite après la publicité

Le principe d'une taxation n'est plus rejeté par les USA

Le 27 février, Steven Mnuchin avait déclaré à Bercy, au côté de Bruno Le Maire, "Nous espérons pouvoir régler ce problème ensemble cette année". Il a ainsi confirmé publiquement le changement d'attitude de Washington, qui bloquait depuis plusieurs années la recherche d'un accord au sein de l'OCDE sur la taxation du numérique.

Steven Mnuchin avait réitéré son opposition au projet français de taxer les géants du numérique sur leur chiffre d'affaires, mais il s'est toutefois "réjoui de l'intention française de l'abroger si un accord mondial était trouvé au sein de l'OCDE" : "Nous soutenons absolument cette taxe minimale" (dans l’OCDE), a assuré le secrétaire américain au Trésor.

Au Forum économique de Davos, le secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria, s'était déclaré optimiste en envisageant un pré-accord sur la taxation des géants du numérique d'ici la fin de l'année, qui pourrait entrer en vigueur dès 2020.

Les entreprises tech "pas sous-imposées"... selon elles

Sans surprise, du côté des géants du numérique, on fait par contre la grimace. Christian Borggreen, vice-président, de la CCIA (Computer & Communications Industry Association, lobby des grands acteurs tech), salue les efforts pour un consensus au sein de l'OCDE... pour déclarer dans la foulée l'inquiétude de l'association que "la proposition française de taxe numérique aboutisse à nuire aux start-up françaises et aux investissements, et fasse monter les prix pour les consommateurs. Les prétendues entreprises numériques ne sont pas sous-imposées contrairement à ce qu'on entend, et elles ne devraient pas être arbitrairement ciblées."

Cette dernière phrase risque d'être peu prise au sérieux par l’opinion publique : selon des chiffres révélés par BFMTV, Google ne verse que 14 millions d'euros à l’Etat français, Apple 19 millions et les autres presque rien : 8 millions pour Amazon, 1,9 million par Facebook, 1,4 million pour Uber, 0 pour Netflix...

Les plus lus
A lire ensuite
En kiosque