Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker à Bruxelles, le 24 juin 2018

Si la Commission Juncker a fait grandement avancé la lutte contre l'évasion fiscale, elle s'apprête à dévoiler une liste des paradis fiscaux des plus légères.

afp.com/YVES HERMAN

Pour l'ONG Oxfam, qui s'était félicitée de la publication fin 2017 de la toute première liste européenne des paradis fiscaux à travers le monde, la seconde édition devrait avoir le goût amer des regrets. "Les Bahamas, les Bermudes, Guernesey, Hong Kong, l'île de Man, les îles Caïman, les îles Vierges britanniques, Jersey et le Panama : les ministres des Finances de l'Union européenne semblent disposés à réhabiliter neuf des pires paradis fiscaux au monde dans leur prochaine liste, qui sera dévoilée le 12 mars prochain", se désole Quentin Parrinello, en charge des questions de justice fiscale chez Oxfam France.

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Ces derniers sortiraient donc de la liste dite "grise", ou liste de surveillance, qui comptait alors 63 pays. La liste noire, recensant les paradis fiscaux ayant refusé de coopérer avec les 27, afficherait quant à elle les cinq mêmes petits états insulaires : Guam, les îles Vierges américaines, Samoa, Samoa américaines et Trinité-et-Tobago.

Trop peu de contrôles réels

La raison de cette vague rédemptrice ? Il suffit d'envoyer une lettre de "contrition" à Bruxelles, énumérant les efforts que l'on est prêt à faire afin de retrouver le chemin de la probité pour disparaître de l'infamant listing. "Pour soi-disant éradiquer les sociétés boîtes aux lettres, nombre de ces paradis fiscaux ont par exemple expliqué que les entreprises devraient désormais témoigner d'une activité réelle sur leur territoire, le problème c'est qu'en ne définissant par cette notion d'activité réelle, ils laissent le champ libre aux interprétations des avocats fiscalistes", pointe Quentin Parrinello.

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Autre biais, l'Union européenne ne considère les incitations fiscales comme préjudiciables que si elles confèrent aux entreprises étrangères un avantage sur leurs homologues locales. C'était notamment le cas de Hong Kong. Maligne, l'ancienne colonie britannique n'a eu, pour s'extirper de l'infamante liste, qu'à étendre ses avantages fiscaux aux sociétés locales. "Suffisant pour Bruxelles, alors qu'in fine cela va accroître l'évasion fiscale à Hong Kong !", s'étrangle l'expert d'Oxfam.

L'Europe aveugle sur ses propres paradis fiscaux

Ce qui ne change pas, c'est que cette année non plus les noms de Chypre, de l'Irlande, du Luxembourg, des Pays Bas, ou encore de Malte, pourtant mondialement réputés pour leur douceur fiscale et cités dans les plus grands scandales financiers (LuxLeaks et autres Panama Papers), n'apparaîtront pas plus sur la liste noire que sur la grise. L'explication ? L'Europe n'enquête pas sur ses États membres, les considérant honnêtes par principe. Tout juste, Pierre Moscovici, le Commissaire européen aux Affaires économiques et à la fiscalité, consent-il à parler de "trous noirs fiscaux" à l'intérieur de l'UE. Pourtant, si Bruxelles appliquait ses propres critères définissant les paradis fiscaux, ces pays devraient y apparaître en bonne position, souligne le rapport d'Oxfam.

Une évasion fiscale qui ferait s'envoler chaque année 80 milliards d'euros des caisses de l'État Français, selon le syndicat Solidaires finances publiques. Une mauvaise nouvelle n'arrivant jamais seule, les États membres ont refusé à l'unanimité de valider une autre liste noire, celle des pays à hauts risque dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, proposé par la Commission.

Pour cause, cette liste visait à ajouter l'Arabie Saoudite et quatre petits territoires américains. "Chaque gouvernement a voulu défendre ses intérêts, à commencer par la France avec l'Arabie Saoudite, un de ses principaux clients notamment en matière d'armes", dénonce Eva Joly, eurodéputée écologiste, et ancienne juge d'instruction au pôle financier de Paris. Pas de quoi rassurer nos concitoyens qui, dans les doléances recueillies par les maires dans le cadre du grand débat, ont fait de la justice fiscale leur deuxième principale préoccupation après la justice sociale.

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