D’un coup de scalpel, Mehdi Hakimi incise de haut en bas, sur une cinquantaine de centimètres. D’abord la peau, puis trois couches musculaires et, enfin, le péritoine, membrane fibreuse qui recouvre l’abdomen. Un filet de sang coule sur le flanc rasé à nu de l’animal anesthésié, une Rouge des prés de quelque 800 kilogrammes, immobilisée contre le mur de pierre de la minuscule étable.
« Ça sert plus à rien d’avoir des contractions, mémère », lance d’une voix douce le vétérinaire en enfonçant ses deux bras dans le corps massif de la vache, à la recherche de son utérus. A l’intérieur, un veau « petit mais trop rond des cuisses pour passer », confirme Mehdi Hakimi, qui exerce depuis dix-huit ans.
Voilà moins de trente minutes que l’éleveur d’un cheptel de soixante-dix vaches allaitantes de Vaiges (Mayenne) a appelé le cabinet de la commune pour prévenir du vêlage difficile. « Une césarienne peut créer de grosses souffrances pour l’animal, alors plus tôt on s’y prend, mieux c’est », résume Mehdi Hakimi, la blouse plastique vert amande maculée de sang.
Les pattes du veau sont enfin sorties, mais il faudra toute la force de ce grand gaillard de 46 ans et de l’éleveur pour tirer le nouveau-né hors de la matrice maternelle. Au mois de mars, pic des naissances dans ce coin de pâturages verdoyants, Mehdi Hakimi peut réaliser jusqu’à six « obstétriques » en vingt-quatre heures.
Des déserts de soins
Dans les campagnes françaises, les médecins capables de réaliser ces opérations d’urgence sont de moins en moins nombreux. Sur les 18 500 vétérinaires que compte le pays, seuls 4 000 exercent encore « en rural », selon le président de l’ordre, Jacques Guérin.
La plupart des professionnels se tournent de plus en plus vers « la canine », le soin des animaux de compagnie, devenu économiquement plus rentable et surtout moins contraignant pour la vie personnelle. Une pénurie qui pourrait s’empirer « d’ici cinq à dix ans », prévient Jacques Guérin, avec le départ en retraite d’une importante partie de ces professionnels, dont 44 % ont plus de 50 ans.
Déjà, certaines régions connaissent une carence de vétérinaires, qui crée des déserts de soins. Dans l’Oise, le nord de l’Indre ou encore en Corrèze, des éleveurs se retrouvent sans solution d’urgence pour leur cheptel.
« Après 23 heures, il n’y a plus de vétos de garde entre Marseille et Gap », soit 180 kilomètres et deux heures de route, déplore Pierre Romantzoff, 62 ans, installé dans les Hautes-Alpes. A Sarlat (Dordogne), où on peine à trouver des spécialistes pour les élevages aviaires, le périmètre d’action des vétérinaires est désormais de 50 kilomètres, contre une vingtaine voilà encore quinze ans.
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