Ces femmes qui ont construit l'Union européenne

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Ces femmes qui ont construit l'Union européenne

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A 86 ans, Louise Weiss rejoint le Parlement à l'occasion des premières élections européennes, en 1979. Elle en est la doyenne, tandis que Simone Veil en prend la présidence. Ici, les deux femmes avec le nouveau président, Piet Dankert, en 1982.
A 86 ans, Louise Weiss rejoint le Parlement à l'occasion des premières élections européennes, en 1979. Elle en est la doyenne, tandis que Simone Veil en prend la présidence. Ici, les deux femmes avec le nouveau président, Piet Dankert, en 1982.
© AFP - Jean-Claude Delmas

A l'occasion de la journée internationale des droits des femmes et à moins de trois mois des élections européennes, zoom sur celles, de Louise Weiss à Angela Merkel, qui ont apporté une pierre importante à la construction de l'Union.

L'Europe n'a que des "pères fondateurs", apprend-on dans les livres d'histoire. En effet, ce sont bien des hommes - Jean Monnet, Robert Schumann, Alcide de Gasperi, Paul-Henri Spaak... - qui ont impulsé la CECA, la Communauté économique du charbon et de l'acier, un embryon d'union, puis la CEE, la Communauté économique européenne. Mais à mesure que les espaces politiques nationaux se sont ouverts aux femmes, elles ont entièrement pris leur place dans les institutions et ont incarné l'Europe.

Louise Weiss, la grand-mère de l'Europe

Infirmière pendant la Première Guerre mondiale, Louise Weiss fonde une revue de politique internationale, Europe nouvelle, dès la fin du conflit. La Française y expose sa volonté de pacifisme, dans la lignée d'un Aristide Briand, et réfléchit aux possibilités de réconciliation entre les pays européens, notamment entre la France et l’Allemagne, afin d’éviter une nouvelle guerre. Elle publie notamment un "mémorandum sur l’Union fédérale européenne", que certains considèrent comme une des bases de la construction européenne.

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 Le principal bâtiment du Parlement européen à Strasbourg porte le nom de Louise Weiss depuis son inauguration en 1999.
Le principal bâtiment du Parlement européen à Strasbourg porte le nom de Louise Weiss depuis son inauguration en 1999.
© AFP - Gérard Cercles

Pour elle, la paix passe notamment par l'implication des femmes en politique. A partir de 1934, Louise Weiss s'implique totalement dans le combat pour le droit de vote des femmes. Elle crée le mouvement "La femme nouvelle", qui aboutit à la présentation d'une loi devant le Parlement français. Un texte rejeté par le Sénat. Résistante pendant la Seconde Guerre mondiale, Louise Weiss reprend ensuite sa carrière de journaliste et se concentre sur les racines des conflits en Europe et ailleurs. En 1968, elle publie Mémoires d’une Européenne, livre dans lequel elle raconte son engagement en faveur d’une Europe unie et plus respectueuse de l’égalité femmes-hommes. Trois ans plus tard, elle crée la fondation qui porte son nom, pour prolonger ce combat.

Présentée comme la "caution européenne de Jacques Chirac", Louise Weiss figure en bonne position (cinquième) sur la liste du RPR en vue des toutes premières élections européennes en 1979. Elle a alors 86 ans et devient la doyenne du Parlement européen. A ce titre, elle préside la toute première session de l'assemblée élue et prononce un discours historique : "L’Europe ne retrouvera son rayonnement qu’en rallumant les phares de la conscience, de la vie et du droit".

En tant qu'eurodéputée, elle se consacre surtout à la culture et à la jeunesse, imaginant notamment la création d’une Université européenne et l’échange généralisé de professeurs. Elle restera élue jusqu'à sa mort en 1983. Le principal bâtiment du Parlement européen à Strasbourg porte le nom de Louise Weiss, depuis son inauguration en 1999.

Simone Veil, la rescapée des camps devenue présidente du Parlement

Simone Jacob a 16 ans, lorsqu'elle est déportée avec sa famille vers le camp d'Auschwitz-Birkenau, où elle passera treize mois. De ce drame, elle garde une révulsion envers les totalitarismes et l'embrigadement. A son retour en France, elle fait des études et devient magistrate. Repérée par Jacques Chirac, elle devient ministre de la Santé en 1974. Elle est la première femme à intégrer un gouvernement sous la Ve République. En première ligne pour porter la célèbre loi qui légalise l'IVG (interruption volontaire de grossesse), elle résiste aux attaques personnelles. Sa combativité et sa dignité la font rentrer dans l'histoire de la politique française.

Elue présidente du Parlement européen en 1979, Simone Veil se donne pour mission de redorer son image et de renforcer ses pouvoirs.
Elue présidente du Parlement européen en 1979, Simone Veil se donne pour mission de redorer son image et de renforcer ses pouvoirs.
© AFP - Mychele Daniau

C'est à la demande du président Giscard d'Estaing qu'elle mène la liste UDF pour les toutes premières élections européennes au suffrage universel en 1979. Élue présidente du Parlement, elle rend hommage à Louise Weiss et donne sa vision de cette assemblée :

Puissions-nous avoir le sentiment d'avoir fait progresser l'Europe, puissions-nous surtout avoir pleinement répondu à l'espérance que suscite cette assemblée, non seulement chez les Européens, mais parmi tous ceux dans le monde qui sont attaché à la paix et à la liberté.

Simone Veil se donne en effet pour mission de redorer l'image du Parlement, de renforcer ses pouvoirs et affiche des positions fédéralistes. A l’extérieur du continent, elle est souvent perçue comme le visage de l’Europe.

Elle cède la présidence au bout de trois ans mais reste une députée européenne impliquée. Simone Veil œuvre en particulier en faveur de l'élargissement de l'Europe. Elle appellera en 1992 à une intervention militaire en ex-Yougoslavie. Elle quittera le Parlement de Strasbourg en 1993 pour redevenir ministre en France. Elle s'impliquera ensuite dans la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Entrée à l’Académie française en 2010, elle fait graver la devise de l’Union européenne, "Unie dans la diversité", ainsi que son matricule de déportée, sur son épée.

Éliane Vogel-Polsky, militante de l'Europe sociale

Elle n'a été ni eurodéputée ni commissaire européenne, mais la Belge a mené plusieurs combats en faveur des droits sociaux en Europe. Née à Bruxelles de père russe, elle doit se cacher pendant la Seconde Guerre mondiale pour échapper aux rafles des juifs. Sa famille vit dans la précarité. Devenue avocate, Éliane Vogel-Polsky se spécialise en droit du travail et en droit social. Féministe, elle réalise plusieurs enquêtes sur les conditions des travailleurs et travailleuses, notamment pour la Commission européenne. Parmi ses célèbres combats : la défense des ouvrières de la Fabrique nationale d’armes de Herstal, près de Liège, à la fin des années 60. Elles luttent pendant douze semaines pour obtenir le même salaire que les hommes balayeurs et n'obtiendront qu'à moitié satisfaction.

Éliane Vogel-Polsky se met en tête de faire appliquer l'article 119 du Traité de Rome qui prévoyait que "chaque État membre assure l’application du _principe d’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins__, pour un même travail"._

L'avocate, révoltée, déclare :

On n’avait jamais violé le Traité de la sorte, jamais.

En 1961, une première évaluation souligne l'absence de progrès dans ce domaine. Éliane Vogel-Polsky cherche une affaire qui pourrait faire jurisprudence. Après une première requête infructueuse, elle obtiendra satisfaction en 1976, dans une affaire où les femmes touchaient moins que les hommes et avaient l'obligation d’arrêter leur carrière dès 40 ans.

Dans l'arrêt Defrenne II, la Cour reconnaît que l’article 119 crée un droit qui peut être directement invoqué devant les tribunaux de n’importe quel État membre des Communautés européennes. Cet arrêt fera date dans l'histoire sociale de l'Union européenne. La marche vers l'égalité des salaires a, depuis, bien avancé, sans être devenue une réalité dans bien des pays. Éliane Vogel-Polsky déplorait l'inertie des autorités dans ce dossier.

Sofia Corradi, la "Mamma Erasmus"

Son combat est né avec une mésaventure. En 1958, l'Italienne Sofia Corradi rentre des Etats-Unis avec un Master de droit comparé, un diplôme qui n'est pas reconnu dans son pays, elle doit refaire une année en Italie avant de devenir professeur de sciences de l'éducation.

Des années après, elle garde cet épisode en travers de la gorge et décide d'agir pour que cela ne se reproduise pas. Elle va tenter de convaincre les recteurs d’universités ainsi que les responsables politiques italiens et européens de la nécessité des échanges universitaires. Dans ses multiples lettres et entretiens, elle explique qu’étudier à l’étranger a changé sa vie.

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Première victoire en 1976, les cursus et diplômes français sont reconnus en Italie. Ce n'est qu'en 1987 que le texte de la Commission Jacques Delors crée le concept d'Erasmus. Référence au théologien néerlandais Erasme, le nom signifie également EuRopean Action Scheme for the Mobility of University Students.

Depuis, quatre millions d’étudiants ont pu profiter d'une bourse pour passer un semestre ou un an dans un autre pays européen. On estime par ailleurs que 1 million de "bébés Erasmus" seraient nés de couples formés pendant ce cursus à l'étranger. Erasmus a été élargi aux apprentis et aux jeunes actifs, ce programme est l'une des réalisations les plus concrètes de l'Union européenne. En mai 2016, Sofia Corradi a reçu le prix Charles Quint, qui récompense les personnalités œuvrant en faveur de la construction européenne.

Angela Merkel, la dirigeante qui a marqué les 14 dernières années

Née à Hambourg, élevée dans l'ancienne République démocratique d'Allemagne, la physicienne connaît une ascension politique dans les années 90. Elle prend la tête du parti chrétien-démocrate CDU en 1998 et devient chancelière en 2005, poste qu'elle occupe encore à ce jour.

Parfois surnommée "Angela Europa" ou "reine de l'Europe", Angela Merkel incarne l'Europe sur la scène internationale, elle est la deuxième femme disposant d'un poids politique majeur dans les discussions au sein du Conseil européen (après la "dame de fer" britannique Margaret Thatcher). De nombreux observateurs estiment qu'elle a pris "le" leadership de l'Union européenne, ce qu'elle a toujours réfuté, préférant le dialogue et le pragmatisme aux grandes incantations.

Chancelière d'Allemagne depuis 2005, Angela Merkel, née dans l'ex-RDA, incarne l'Europe sur la scène internationale. "Notre meilleure chance pour la paix, la prospérité et un avenir meilleur", estime-t-elle.
Chancelière d'Allemagne depuis 2005, Angela Merkel, née dans l'ex-RDA, incarne l'Europe sur la scène internationale. "Notre meilleure chance pour la paix, la prospérité et un avenir meilleur", estime-t-elle.
© AFP - Kazuhiro Nogi

Dès le lendemain de son investiture, la chancelière se rend à Paris pour rencontrer le Président et le Premier ministre français. Elle explique :

Une bonne relation franco-allemande est non seulement importante pour nos deux pays, mais aussi nécessaire et utile à l'Europe.

Mais elle ne mise pas tout sur le couple franco-allemand, se tournant également vers le Royaume-Uni et l'Europe centrale et orientale.

Angela Merkel impose notamment sa marque lors de la crise économique et financière européenne, alors que son propre pays résiste et reste (de loin) la première puissance économique du continent. Elle reçoit l'intégralité des dirigeants européens, y compris ceux des "petits pays", par groupe de trois au besoin. La dirigeante allemande tente alors de faire passer son message de rigueur, insistant pour obtenir des réformes structurelles et ne pas creuser les déficits. Elle s'est notamment montrée réticente à aider la Grèce.

Lors de l'un de ses nombreux discours pro-européens, le tout dernier devant les parlementaires de l'Union, elle affirme : 

L’Europe est notre meilleure chance pour la paix, la prospérité et un avenir meilleur. Le nationalisme et l’égoïsme ne doivent plus jamais avoir la possibilité de prospérer en Europe. La tolérance et la solidarité sont notre avenir.

Certains imaginent déjà celle qui devrait bientôt quitter son poste de chancelière se reconvertir dans les institutions européennes, par exemple à la présidence du Conseil européen.

On pourrait citer bien d'autres femmes qui se sont investies dans la construction européenne, sans oublier celles qui travaillent encore aujourd'hui dans les différentes institutions : la Haut représentante de l'Union pour les Affaires étrangères Federica Mogherini (italienne), la Commissaire européenne à la Concurrence Margrethe Vestager (danoise), les députées Karima Delli et Sylvie Guillaume (françaises), Cecile Kyenge (italienne) ou encore Kostadinka Kuneva (bulgare, élue en Grèce).