Lorsque les politiques ont un rapport hasardeux à la citation

Le ricanement de l’infotainment a réduit depuis plusieurs années le discours politique aux petites phrases acides et clivantes. ©Getty - 	Image_Source_
Le ricanement de l’infotainment a réduit depuis plusieurs années le discours politique aux petites phrases acides et clivantes. ©Getty - Image_Source_
Le ricanement de l’infotainment a réduit depuis plusieurs années le discours politique aux petites phrases acides et clivantes. ©Getty - Image_Source_
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A invoquer trop souvent de célèbres citations mais en se trompant sur leurs auteurs, le personnel politique français, à trop jouer de la langue de bois, malmène et abîme la confiance que leur portent les concitoyens. Car mal citer, c'est se disqualifier.

Ces derniers mois, on a pu constater à quel point les sommets de l’Etat français entretiennent désormais un rapport hasardeux à la citation. Début février, interpellé à l’Assemblée par un député de la France insoumise, Gérald Darmanin a ainsi attribué à Churchill une formule où l’homme d’Etat britannique aurait comparé les statistiques aux maillots de bain en disant « ce qu’ils montrent est intéressant, ce qu’ils cachent l’est encore plus ». Or Churchill n’a apparemment jamais fait cette boutade, que certains commentateurs, en revanche, ont cru pouvoir retrouver chez d’autres figures moins solennelles, en particulier chez Coluche. 

Deux semaines plus tôt, prononçant un discours à Aix-la-Chapelle, en Allemagne, le président Emmanuel Macron avait pour sa part invoqué Madame de Staël. Il avait déclaré : « En vous écoutant, Madame la Chancelière, Monsieur le Président, à l’instant, je me souvenais avec émotion de ce que Madame de Staël disait parfois : ‘Lorsque mon cœur cherche un mot en français et qu’il ne le trouve pas, je vais parfois le chercher dans la langue allemande’.» Hélas, aucun spécialiste de Madame de Staël n’a pu retrouver cette citation. 

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Encore deux mois plus tôt, fin novembre, lors d’une émission de radio, c’est le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, qui s’était atrocement ridiculisé en attribuant à l’historien juif et résistant Marc Bloch le lexique de l’antisémite Charles Maurras. On a alors vu naître sur Twitter un hashtag intitulé #citecommegriveaux, où l’on pouvait lire de fausses citations du type : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous », disait Steve Jobs. « Femme au volant, mort au tournant », disait Simone de Beauvoir. Etc… 

"Bonne, elle qualifie, mauvaise, elle disqualifie"

Ce faisant, et sur le mode de l’ironie, les usagers de Twitter exhibaient la gravité et le caractère profondément pervers d’une confusion comme celle dont Benjamin Griveaux s’est rendu coupable. Car ce qui est en cause, dans cette manière de malmener les citations, ce n’est pas seulement la légèreté ou l’ignorance. C’est une certaine désinvolture qui sape la parole, donc la possibilité même de la confiance.« La citation représente un enjeu capital, un lieu stratégique et même politique de toute pratique du langage », écrit Antoine Compagnon dans son essai intitulé La seconde main ou le travail de la citation. Quelques lignes plus haut, Compagnon résume la vocation propre à la citation : « bonne’, elle qualifie, ‘mauvaise’, elle disqualifie »

Oui, la citation est un travail qui exige une discipline, un effort, des règles aussi, et de ce point de vue, l’enjeu est moins anodin qu’on pourrait le croire. Il y va d’une certaine éthique du langage qui ne tolère pas les éléments de langage, les mots en toc, la langue de bois. Brutaliser une citation, c’est trahir les sources, donc miner toute référence possible, ruiner toute autorité digne ce nom. Mal citer, c’est se disqualifier.

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