De plus en plus d'hommes se plaignent d'avoir été sociologiquement castrés et cherchent à mieux éprouver leur masculinité en se retrouvant "entre mecs".

Dans le sillage des révélations sur la Ligue du LOL, plusieurs témoignages émergent sur le sexisme dans la communication (image d'illustration)

iStock/tomazl

À chaque milieu professionnel son #MeToo. Ces derniers jours, les témoignages affluent sur le sexisme dans le milieu de la communication. Dans le sillage des révélations sur la "ligue du LOL", dont faisaient partie de nombreux communicants, des femmes et des hommes dénoncent des comportements misogynes, allant de "simples" remarques graveleuses à des cas de harcèlement moral.

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Encouragés par une culture du "cool", qui prend pour référence les agences de publicité de 99 Francs ou Mad Men, ces hommes profitent souvent de positions d'influence, dans un petit milieu qui fonctionne en grande partie sur la cooptation. Par peur d'être mises à l'écart, les victimes osent rarement témoigner sans le couvert de l'anonymat, sans parler de porter plainte.

Les femmes, absentes des postes élevés

Le milieu de la communication est plutôt paritaire ; les femmes sont même parfois majoritaires. Mais, comme dans beaucoup de métiers, un problème se pose quand il s'agit d'accéder à de plus grandes responsabilités. La publicité par exemple compte 53,4 % de femmes, selon l'Observatoire des métiers de la publicité, mais "à partir de 45 ans, les hommes sont majoritaires et leur pourcentage augmente avec l'âge".

"La communication est un milieu qui subit une très forte pression économique. On nous demande d'être toujours plus rapides, polyvalents, et surtout très accessibles. La norme, c'est de travailler beaucoup,de travailler le soir, le week-end... ce qui est plus difficile pour les femmes de plus de 30 ans, pour peu qu'elles aient une vie de famille", raconte Pénélope*, qui travaille depuis huit ans dans la communication médias. "Comme elles sont plus souvent que les hommes chargées des enfants, elles ne peuvent pas en plus être hyperdisponibles. Donc elles progressent jusqu'à un certain niveau, puis elles disparaissent", poursuit-elle.

"Un tout petit monde"

Dans ce milieu où les hommes cultivent donc un entre-soi aux postes élevés, c'est principalement le réseau qui permet de trouver un emploi. "Le monde de la communication est un tout petit monde. Les CV ont plus de chances d'être retenus si le recruteur connaît des personnes avec lesquelles le candidat a travaillé. Et plus on monte dans la hiérarchie, plus la cooptation est forte", indique Mathieu*, à l'origine du compte Twitter Paye Ta Com, qui recense des témoignages de harcèlement et de discriminations dans la communication et la publicité.

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Pour travailler et monter dans la hiérarchie, mieux vaut donc éviter de faire mauvaise impression à un patron ou un collègue. Il faut surtout être "cool", et ne pas faire de vagues. Même quand des supérieurs ont des propos sexistes ou discriminants. "J'ai assisté à plusieurs situations où je me rends compte que j'ai ri avec le groupe parce que le rire était du côté de ceux qui sont en position de pouvoir", témoigne Pénélope. "J'étais pendant longtemps dans un cadre où le féminisme avait très mauvaise presse, donc si je parlais de sexisme, on me traitait de 'féministe reloue de service', y compris des femmes. Parler, c'est prendre le risque d'être perçue comme celle qui ne joue pas le jeu."

La peur de "se griller"

Stéphanie Valibouse travaille depuis une dizaine d'années dans la publicité. Elle est passée dans cinq agences différentes, et a dû démissionner de l'une d'elles en raison du harcèlement sexiste qu'elle subissait. Sur Twitter, elle raconte comment son ex-patron a tenté de la discréditer auprès d'autres agences. Il va jusqu'à envoyer un message à son nouveau patron "méfie-toi, elle est folle et dépressive".

À L'Express, elle évoque la peur constante de "se griller" auprès de ses supérieurs, en dénonçant des noms ou des comportements abusifs. C'est la même peur qui pousse les témoins interrogés par L'Express à garder leur anonymat. "Mon boss sexiste, je ne veux même pas le dénoncer car j'ai une boule au ventre à l'idée de voir une chasse à la sorcière commencer et de voir tout le monde en parler dans l'open space. Tout se sait", raconte ainsi Mélanie*, qui travaille dans une agence de publicité parisienne depuis cinq ans.

Des syndicats "inexistants"

Les personnes qui osent parler sont ainsi mises à l'écart, et trouvent difficilement des personnes à qui se confier. "Je n'ai jamais raconté le harcèlement que je subissais aux ressources humaines. J'avais vraiment le sentiment qu'elles étaient du côté des dirigeants, et qu'elles me 'grilleraient' d'une manière ou d'une autre. Quant à parler à un syndicat, c'était impossible : ils sont quasiment inexistants", explique Stéphanie Valibouse.

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Un constat partagé par Matthieu de Paye Ta Com : "Dans la communication, il y a un grand discours qui consiste à dire 'vous êtes entrepreneur de votre carrière' : on individualise tellement les carrières qu'on n'imagine pas donner un cadre aux employés. Les syndicats n'ont absolument existence dans les agences, notamment à Paris, donc les problèmes sont traités au niveau individuel."

Dans les rares cas où les victimes réussissent à parler, la situation peut même empirer. Mélanie raconte que lorsqu'elle a essayé de parler de harcèlement moral dans son entourage, elle a subi des pressions, des menaces de lui faire perdre de l'argent et sa réputation ou de la licencier pour faute grave de la part de sa hiérarchie.

Il y a aussi les réactions violentes de certaines agences lorsqu'elles sont mises en cause. Après un article du Monde qui révélait des pratiques sexistes dans l'agence Herezie, cette dernière a ainsi répliqué le 4 mars par un communiqué incendiaire. Finalement, l'agence de publicité s'est tout de même séparée de la personne Baptiste Clinet, le directeur de la création visé par les témoignages. "Nos clients sont très attentifs à leur image, souligne Pénélope. Elles préfèrent éviter d'associer leur nom avec une boîte qui pourrait entacher leur réputation. Les lignes bougent, mais très lentement."

* Les noms suivis de ce signe ont été modifiés

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