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Le destin hors du commun d’un réfugié syrien devenu patron de start-up


Saleem Najjar et Rami Alattar, en plein travail à la House of Startups. (photo Tania Feller)

Le Quotidien avait raconté en 2015 le périple d’un réfugié de guerre syrien, qui avait fini par arriver au Luxembourg, avant d’y faire une demande d’asile. Près de trois ans et demi après, Rami Alattar a cofondé sa start-up qu’il développe au sein de la Luxembourg House of Financial Technology (LHoFT).

Coup de projecteur sur un réfugié au destin hors du commun, qui contribue au processus de digitalisation au Grand-Duché.

On vous avait quitté en septembre 2015 alors que vous étiez logé dans un chalet du camping de Bourscheid, dans le nord du pays. Et l’on vous retrouve trois ans et demi plus tard, chef d’entreprise. Quels ont été les faits marquants de ce changement radical de vie ?

Rami Alattar : Ma demande d’asile a été acceptée et j’ai obtenu le statut de réfugié le 29 avril 2016. J’ai donc pu quitter le camping de Bourscheid avant de me mettre à la recherche d’un logement. Les démarches administratives furent très compliquées, car sans contrat de travail et donc sans fiches de salaire, sans parler des mois de garantie locative, il est compliqué de louer un studio ou une chambre. J’ai finalement réussi à trouver un logement à Esch-sur-Alzette, via une connaissance portugaise et grâce aux 1 400 euros de RMG que je touchais mensuellement. J’ai donc emménagé dans un logement en colocation, que l’on a partagé à six personnes. Je payais un loyer de 800 euros par mois.

Vous êtes-vous alors mis en recherche d’un emploi ?

Après avoir fui la Syrie en 2012, j’avais d’abord rejoint la capitale de la Jordanie, Amman, ville dans laquelle j’ai rencontré mon futur associé, Saleem Najjar, lui aussi réfugié syrien. Saleem disposait d’un bagage universitaire en ingénierie mécanique et a appris à gérer une plateforme de commerce en ligne, avant de se former à la création d’entreprise. Nous avons dès lors, en septembre 2016, créé une société dénommée « sharqi.shop », qui avait pour objectif d’aider des réfugiés syriens, par le biais de vente d’objets artisanaux typiques syriens, fabriqués en Jordanie. Nous avons effectué des ventes dans le monde entier depuis Amman.

Vous n’aviez, à cette époque, toujours pas d’autorisation d’établissement, dite « autorisation de commerce », au Luxembourg ?

Non, mais nous avons pu bénéficier de l’aide précieuse du Lisko (Lëtzebuerger Integratiouns a Sozialkohäsiounszenter), qui est un service de la Croix-Rouge luxembourgeoise, conventionné par le ministère de la Famille et de l’Intégration et qui, comme son nom l’indique, œuvre pour l’intégration et la cohésion sociale.

Concrètement, comment êtes-vous parvenus à monter votre start-up au Grand-Duché ?

Eh bien, j’avais été redirigé vers un notaire et ai aussi pu profiter de l’entrée en vigueur, en janvier 2017, de la nouvelle loi sur les sociétés à responsabilité limitée simplifiée (ou SARL.-S ) à 1 euro. Deux mois plus tard, j’obtenais mon autorisation d’établissement et je baptisais ma start-up du nom de « yapip SARL-S ».

Quelle a été l’étape suivante ?

J’ai emménagé dans un logement à Strassen qui a fait office de bureau durant un an. Pendant cette période, j’ai parcouru le monde (Allemagne, Russie, Grèce, Soudan…) pour donner des conférences dans les domaines de la finance, des fintech et des marchés boursiers, à des personnes arabes, dont des réfugiés syriens, étant donné que je suis consultant à la base et que je suis très suivi sur les réseaux sociaux dans le monde arabe. J’ai également donné des cours en ligne, mais ces activités ne me permettaient que de couvrir mes frais.

Votre objectif prioritaire était-il d’aider d’autres réfugiés syriens ?

Effectivement. J’avais – et j’ai toujours – pour ambition d’aider d’autres réfugiés syriens à s’en sortir et à devenir autonomes professionnellement, car j’estime que l’on est redevable envers les pays qui nous ont accueillis. Je suis contre la mentalité de certains réfugiés qui profitent des aides financières qu’on leur accorde, telles que le RMG au Luxembourg. Les réfugiés syriens ne doivent pas être considérés comme un fardeau pour la société !

Qu’avez-vous fait après cette année de conférences ?

De fil en aiguille, je m’étais mis en contact avec la House of Entrepreneurship, qui a été ouverte au Kirchberg en octobre 2016 par la Chambre de commerce. J’ai ensuite loué un bureau à « The Office Luxembourg », qui est un espace de coworking, jusqu’en novembre dernier. Je travaille depuis lors au sein du LHoFT, dont je remercie les responsables qui ont été séduits par nos activités dans le domaine des fintech. Entretemps, mon collègue Saleem m’a rejoint au Luxembourg et nous avons réfléchi à de nouvelles idées. C’est comme ça que nous sommes arrivés à créer une nouvelle application mobile.

En quoi consiste concrètement cette application ?

Il s’agit d’un software qui permet de conseiller des investisseurs dans leurs placements en Bourse et dans les devises étrangères, par rapport aux risques encourus. Le nom de notre société, « yapip », n’a pas été choisi au hasard. « Ya » signifie « bonjour » ou « salut » en arabe, tandis que « pip » veut dire « profit » ou « gain ». « Yapip » peut donc être traduit dans le sens : « Montrez-moi les profits (à faire) ». Je vais prochainement lancer un site internet « yapip.com ».

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre nouvelle vie ?

Je suis très heureux au Luxembourg et je considère ce pays comme ma deuxième maison. Je ne remercierai jamais assez tous ceux qui m’ont aidé ici. Le Luxembourg m’a permis d’entamer une nouvelle vie. Je vis désormais à Belvaux avec ma femme que j’ai épousée dans la capitale du Soudan, Khartoum. Cela dit, je ne pourrai jamais oublier le passé et la guerre, car j’y ai perdu sept personnes de ma famille.

Et sur la situation actuelle en Syrie ?

Si le pays est presque définitivement débarrassé de Daech, la situation est loin d’être stable. De plus, il faudra des années pour reconstruire le pays.

Entretien avec Claude Damiani

Un commentaire

  1. Bravo un parcours exemplaire

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