L’éditorial de Pascal Coquis Ces femmes qui tombent

Les Dernières Nouvelles d'Alsace - 10 mars 2019 à 05:00 | mis à jour le 10 mars 2019 à 08:39 - Temps de lecture :
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Souvent, le seul écho du drame se limite à quelques lignes dans les journaux. Il arrive parfois que, quand les amis et la famille trouvent la force de se mobiliser, une marche blanche soit organisée. Alors seulement, les noms et les histoires de ces femmes assassinées par leurs conjoints surgissent des limbes.

On découvre qu’elles avaient une vie qui leur a été volée à coups de poing ou de couteau par celui qu’elles ont aimé, devenu leur bourreau. Qu’elles s’appelaient Julie ou Laeticia, Sarah ou Zora. Qu’elles avaient des voisins, de la famille, des amis, des enfants. Que leur mort ne doit rien à un accident ni à un excès passionnel, hypothèse révoltante : on ne tue pas par excès d’amour. Par haine, par colère ou frustration oui, mais pas par amour.

Ce n’est en fait que lorsque l’émotion est trop grande, que le fait divers devient fait de société qu’on parle de ces femmes qui tombent. Et puis, le silence s’abat sur les victimes. Plus rien jusqu’au drame suivant ou celui d’après. C’est ce silence qui condamne chaque année plus d’une centaine d’entre elles en France.

Aujourd’hui l’insoutenable réalité est que dans notre pays, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son compagnon ou de son ex-compagnon. Sans que dans ce décompte terrifiant n’apparaissent les viols, les violences, les suicides et les meurtres de victimes collatérales, sans que ne soient comptabilisés les dégâts irréversibles sur les enfants et les proches.

Des progrès significatifs dans la reconnaissance de ces crimes ont été accomplis ces dernières années, c’est indéniable, mais c’est très largement insuffisant. L’ampleur de l’hécatombe le prouve.

Il est plus que jamais urgent de sortir de ce cycle infernal, de s’attaquer en profondeur à ce fléau. Ce féminicide doit cesser, la peur changer de camp. C’est le rôle de l’État qui doit renforcer les mesures de protection et en inventer de nouvelles. C’est celui de la justice qui doit condamner plus lourdement et systématiquement les auteurs de violences et même de menaces. C’est aussi et peut-être avant tout le rôle de la société qui doit éduquer ses enfants. Pour que la femme ne soit plus reléguée à ce rôle accessoire ; au service des hommes et de leurs désirs. S’il y a une grande cause nationale, c’est bien celle-là.