Invité au Festival du film et forum international sur les droits humains à Genève par Léo Kaneman, président d’honneur du FIFDH, le réalisateur de 40 ans met en lumière à travers le monde les expériences de mobilisation citoyenne en faveur de la transition écologique. Il parle des nouvelles formes d’agriculture urbaine, comme les «parisculteurs» dans la Ville Lumière. A ceux qui y voient une activité de «bobos», il rétorque qu’il faut bien commencer quelque part.
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Au départ, son film semble voué à l’indifférence jusqu’à ce que le public se l’approprie et lui réserve un succès tonitruant. «Dans un monde où nous sommes prisonniers de la fiction capitaliste dopée à la croissance, il fallait un nouveau récit sur l’avenir», explique Cyril Dion qui est convaincu que cette méthode a été éprouvée par le passé. «Quand il a fallu confronter le fait qu’un Noir ne valait pas moins qu’un Blanc ou qu’une femme devait avoir les mêmes droits que les hommes, il a aussi fallu trouver un nouveau narratif pour rompre les schémas communément acceptés.»
Aujourd’hui, à voir l’explosion d’initiatives locales qui permettent à l’individu de se sentir investi d’une mission et non d’être écrasé par le déferlement d’informations alarmistes sur le climat, force est de constater que Cyril Dion et d’autres sont en train de gagner une partie de leur pari. C’est d’ailleurs à travers la création de multiples monnaies locales, estime-t-il, qu’il sera possible de casser l’emprise du pouvoir financier et les cycles globaux de distribution qui contribuent à l’explosion des émissions de gaz à effet de serre. Le film de Coline Serreau Solutions locales pour un désordre global qu’il a coproduit développe la même thèse.
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Consumérisme chinois
Changement de paradigme grâce à une mobilisation du «monde d’en-bas»? On est encore loin du compte. Comme le dit l’historien Adam Tooze, spécialiste de l’histoire économique et auteur de Crashed, un ouvrage sur la dernière crise financière de 2008, l’Europe n’aura pas tellement son mot à dire en termes de climat: «Tout sera déterminé par la Chine, l’Inde ou l’Indonésie», des pays dont le poids dans l’empreinte carbone mondiale ne cessera d’augmenter. Cyril Dion lui-même n’est pas dupe. Il s’est récemment rendu en Chine. Il a pu observer un consumérisme débridé qui l’inquiète fortement.
Le réalisateur de 40 ans, qui vit à Dreux en Eure-et-Loir, sait que certaines conditions doivent être remplies pour produire un vrai bouleversement social et écologique. «Ces nouveaux récits doivent être portés par des intellectuels qui projettent un imaginaire et des mouvements collectifs qui engagent des luttes. Ils doivent aussi s’inscrire dans des circonstances historiques particulières. On y est.» Le réalisateur français ne cache pas son admiration pour la jeune collégienne suédoise Greta Thunberg qui a déclenché une vague planétaire de manifestations pour le climat chez les jeunes.
L’activisme de Cyril Dion, qui lui a valu un bref burn-out en 2012, ne devrait pas surprendre. A l’âge de 16 ans, il s’était lui-même promis de mener des activités «qui ont du sens» et de refuser de tomber dans le train-train quotidien ennuyeux de certains adultes. Il s’est rapidement lancé dans le théâtre, puis s’est essayé à écrire des romans. Il s’implique dans l’organisation du Congrès israélo-palestinien à Caux, au-dessus de Montreux, pour créer un dialogue entre juifs et musulmans. Plus récemment, ses livres ont connu un vrai succès: Imago et Petit manuel de résistance contemporaine.
Une stratégie claire
Ce que Cyril Dion a en tête, lui qui est né près de Saint-Germain-en-Laye dans un milieu «traditionnel, bourgeois et catholique», il ne le nie pas, c’est une révolution. Révolution écologique, mais aussi révolution sociale qui doit aller de pair sans quoi la justice écologique sans justice sociale ne sera pas durable. Comment évalue-t-il les chances de réussir après les échecs de Nuit debout ou d’Occupy Wall Street?
Le réalisateur a bon espoir. Selon un sondage réalisé en France récemment, 65% estiment que le climat doit être une priorité du gouvernement. «Notre stratégie est claire, précise-t-il: soit les gouvernements nous écoutent et mettent en œuvre des mesures courageuses, soit ils nous délèguent une part de pouvoir afin qu’une Assemblée citoyenne par exemple puisse proposer une porte de sortie à la crise actuelle. Mais si ni l’un ni l’autre ne se produit, il faudra créer une force politique écologique et sociale très large et écarter ceux qui sont au pouvoir.»
Mais l’activiste met en garde: si on n’écoute pas les plus fragiles et qu’on ne leur vient pas en aide, tout cela sera inutile. «Nous aurons d’autres Trump, d’autres Bolsonaro et d’autres Brexit.» Etablir des ponts entre les clans qui fragmentent la société. Cyril Dion, qui se décrit volontiers comme un caméléon, se sent prêt à le faire, car il le dit: il est capable de s’encanailler avec ses potes écolos dans la Drôme et de discuter avec les milieux bourgeois qu’il a côtoyés dans son enfance.