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Des médecins du Loiret dénoncent les agressions dont ils sont victimes

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ENQUÊTE FRANCE BLEU ORLÉANS - Les agressions de médecins sont en hausse dans le Loiret depuis quelques années. Le phénomène prend même une tournure inquiétante depuis début 2019. Des médecins ont décidé de raconter leur histoire sur France Bleu, et appellent au calme.

IMAGE D'ILLUSTRATION - Des policiers en intervention aux urgences du CHU de Montpellier.
IMAGE D'ILLUSTRATION - Des policiers en intervention aux urgences du CHU de Montpellier. © Maxppp - Guillaume Bonnefont - IP3 PRESS/MAXPPP

Ils ont décidé de rompre le silence et de prendre la parole sur France Bleu Orléans. Ce sont des témoignages très émouvants, difficiles aussi. Depuis quelques années, les agressions sur des médecins se multiplient en France et notamment dans le Loiret. Ce phénomène était quasiment inexistant dans le département il y a une dizaine d'années, en 2018, ce sont 16 cas qui ont été recensés par le Conseil de l'Ordre des médecins. Et ce n'est que la partie émergée de l'iceberg.

Des médecins à bout de nerfs, qui ne comprennent pas cette situation. Tous les profils sont concernés, des femmes et des hommes, des jeunes et des plus âgés, des généralistes, des urgentistes, des chirurgiens ou encore des radiologues. Les agressions sont le plus souvent verbales. Sur les 16 signalements l'an passé dans le Loiret, 11 concernent des injures ou des menaces. Parfois en revanche, cela va beaucoup plus loin. 

Je lui ai demandé de quitter mon cabinet, et je me suis pris un coup de poing dans la figure"

La docteure Naïma Bouraki est médecin généraliste à la Maison de Santé Pluridisciplinaire de l'Argonne à Orléans. Elle est régulièrement victime de faits de délinquance. Une fois par exemple, quelqu'un a mis le feu à la porte de son cabinet. Mais elle se souvient particulièrement d'une histoire qui remonte à quelques années : "Une patiente est venue pour son enfant, qui souffrait de fièvre. On était en hiver, donc c'était relativement normal. Avant elle, il y avait une femme à qui je devais annoncer un cancer du sein. Ça m'a pris une heure. Elle est donc allée voir ma secrétaire pour lui dire que j'étais très en retard." 

Lorsque son tour est venue, la patiente pressée lui fait de nouveau part de son agacement vis-à-vis du retard. Naïma Bouraki lui explique la situation, mais le ton monte : "Je lui dis que si un jour il lui arrivait quelque chose de grave, elle apprécierait que je prenne du temps pour elle. Je lui indique aussi que si elle trouve que c'est trop long, elle peut changer de médecin traitant. Elle me répond que c'est ce qu'elle allait faire mais qu'en attendant elle exigeait d'être vue. Je lui ai répondu que non, et lui ai demandé de quitter mon cabinet. Là, je me suis pris un coup de poing dans la figure."

Des secrétaires médicales insultées quotidiennement

Si les injures visant des médecins sont déjà très fréquentes (plusieurs fois par semaine dit le Conseil de l'Ordre dans le Loiret, même si toutes les situations ne font pas l'objet d'un signalement), le harcèlement et les insultes sur les secrétaires médicales sont quotidien. Christophe Tafani est le président du Conseil de l'Ordre dans le département, et également radiologue à Saint-Jean-de-Braye. Il raconte : "Ce sont des agressions verbales, au téléphone. Si le rendez-vous n'est pas donné quand on veut et comme on veut, ça part en vrille très rapidement." Constat confirmé par ses confrères et consœurs.

Des médecins peu nombreux à porter plainte

Depuis le début de l'année 2019, la situation semble devenir de plus en plus tendue. "On sent que l'on est vraiment à deux doigts d'une agression physique, violente" affirme Christophe Tafani. Depuis le 1er janvier, cinq signalements ont été effectués auprès du Conseil de l'Ordre du Loiret. Trois seulement ont été suivis d'un dépôt de plainte, car ce n'est pas forcément dans la "culture" et les habitudes des médecins, détaille le président loirétain du Conseil de l'Ordre : "Ils n'ont pas encore passé le cap de se dire 'je me suis fait agresser, je dois me défendre'. La semaine dernière, un confrère a dû appeler la police pour évacuer un patient violent du bloc opératoire. Ce docteur m'a dit qu'il ne voulait pas avoir de problèmes, d'histoires, qu'il ne voulait pas que son nom soit cité."

Autre problématique, ces incivilités et violences sont si fréquentes que certains ne prennent même plus le temps de les signaler. Pour Naïma Bouraki : "Si je m'amusais à porter plainte et à signaler à l'Ordre chaque fois, je crois que je remplirais une benne, et j'y passerais mes journées." Et même lorsqu'elle se décide à dénoncer ce qu'elle vit, elle ne trouve pas forcément l'écoute espérée. 

Le policier m'a dit que ma plainte finirait forcément à la poubelle"

Il y a trois semaines, un patient refuse d'attendre sa consultation et s'énerve, exigeant d'être reçu immédiatement. Il insulte le personnel, les médecins, donne des coups dans les murs et les portes de la salle d'attente. Naïma Bouraki a très peur, craint d'être frappée. Quelques jours plus tard elle se rend au commissariat pour déposer plainte. Elle est toujours stupéfaite de la réponse du policier : "Il nous a dit que le patient ne nous avait pas touché, qu'il n'avait pas cassé les portes, donc qu'on ne pouvait rien faire. J'ai eu le sentiment d'être agressée une deuxième fois. J'ai insisté, lui ai dit que je connaissais mes droits. Il a fini par me dire que de toute façon il y avait cinq heures d'attente et que la plainte finirait forcément à la poubelle."

J'ai dû appeler les agents de sécurité pour faire mes consultations" 

Parmi les patients mécontents, le docteur Azzeddine Yaïci constate qu'ils sont de plus en plus nombreux à remettre en question le savoir-faire des médecins. Ce pneumologue au CHR d'Orléans se souvient d'une patiente en phase palliative : "Elle était extrêmement inconfortable, avait du mal à respirer. Mon confrère voulait l'anesthésier pour qu'elle ne souffre plus. La famille a refusé. Ils ont barré l'accès à la chambre, et la malade est décédée dans d'atroces souffrances." 

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Quelques temps plus tard, il reçoit une lettre de la famille : "Ils nous accusaient de l'avoir laissée mourir dans d'atroces souffrances, nous disaient que l'on n'avait rien fait pour elle." 

Harcèlement et insultes à caractère sexuel

Une autre fois, il a été harcelé par un jeune homme, dont la mère venait de mourir : "J'ai eu un flot d'accusations qui visait tout le personnel de l'hôpital. Il disait qu'on avait donné les mauvais médicaments. Il appelé notre cadre, il y a eu des insultes à caractère sexuel. Et puis, ça a été un harcèlement ensuite. Jusqu'au jour où il est venu à l’hôpital et qu'il m'a pourchassé. J'ai dû appeler les agents de sécurité pour faire mes consultations." 

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Ces violences répétées sont devenues depuis quelques mois la principale préoccupation au Conseil de l'Ordre. Aujourd'hui, les médecins commencent à expliquer ces agressions. Pour Christophe Tafani, le président de l'Ordre dans le Loiret, c'est une question de désertification médicale : "Il n'y a plus assez de médecins et ils n'ont plus assez de temps à consacrer à chacun de leur patient. Au delà de quarante patients par jour ça devient difficile pour un généraliste. Les délais d'attente sont longs, certains arrivent au cabinet chauffés à blanc." 

Là, on est dans une phase de sidération. Après, il y aura l’écœurement"

La docteure Naïma Bouraki quant à elle, constate une véritable modification dans la relation qu'elle peut entretenir avec certains patients : "Il y a une consommation de l'acte médical comme on consomme du supermarché. On prend, on jette. Il y a des demandes abusives en terme de prescription, en terme d'examens complémentaires. On se retrouve un peu désarçonné en se disant que ce n'est pas notre rôle d'être flic ou de rééduquer les gens."

La solution à ce problème n'est donc pas simple. Le Conseil de l'Ordre agit auprès des policiers et gendarmes pour que les plaintes soient plus facilement acceptées. Ce qui est sûr, c'est qu'il est urgent d'endiguer le phénomène, car de nombreux médecins sont à bout de nerfs. Le docteur Azzeddine Yaïci, les larmes aux yeux, raconte : "Il m'est arrivé d'arriver le matin, et de me dire que je n'avais plus envie." Il poursuit : "Et puis, ça finit par repartir. Mais ça ne va pas pouvoir continuer comme ça. De toute façon, il va y avoir des départs. Là, on est dans une phase de sidération. Après, il y aura l’écœurement."

La boule au ventre avant de venir travailler

Naïma Bouraki, a elle aussi parfois la boule au ventre avant de venir travailler : "Lorsque vous vous faites agresser, il vous faut un certain temps pour vous en remettre. Une à deux heures avant la consultation suivante, le temps d'évacuer un peu. Et puis avec le temps, c'est compliqué. Dès qu'il y a un patient qui hausse la voix, on se dit que ça va repartir en cacahuète. On se dit qu'on ne sera pas capable de gérer ça." 

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Aujourd'hui elle n'a qu'un seul souhait : "On n'attend pas du tout qu'on nous baise les pieds, on ne veut pas se faire remercier en permanence. Nous voulons juste être respectés comme professionnels de santé, être respectés en tant qu'humains."

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