Et si la première crise provoquée par le réchauffement était alimentaire ? L'agriculture est en première ligne du dérèglement du climat, détraqué par l'augmentation des gaz à effet de serre émis par les activités humaines. Même dans l'hypothèse la plus favorable du respect des Accords de Paris, des changements régionaux de précipitations vont affecter durablement plusieurs régions avant 2040, dont celles des champs français et européens. C'est la conclusion d'une étude publiée ce lundi dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) par quatre chercheurs basés au Royaume-Uni, au Chili et en Colombie.

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L'équipe a estimé les périodes à partir desquelles les pluies vont définitivement changer leurs habitudes au-dessus des champs de blé, de maïs, de soja et de riz - soit les quatre premières cultures mondiales. Leur travail s'appuie sur plusieurs cas possibles d'évolution du climat, des scénarios calculés par le groupement des climatologues du GIEC. Pour chaque trajectoire globale, les auteurs ont évalué à partir de quand les régions cultivées allaient subir une raréfaction ou bien un excès de pluies, dépassant les variations météo enregistrées de 1986 à 2005. Et ainsi menacer, selon les saisons et les besoins des plantes, les productions agricoles établies.

PNAS climat agriculture

Plus la couleur est foncée, plus le changement durable des pluies arrive vite. En rouge, leur raréfaction ; en bleu, leur augmentation. (Cas du pire scénario RCP8,5).

© / PNAS / Maisa Rojas

Quel que soit le cas étudié, l'article souligne que ces évolutions arrivent rapidement... ou sont déjà en train de se produire. "Dans les latitudes élevées, du Canada à l'est des Etats-Unis, le nord de l'Europe et la Russie, les précipitations seront plus intenses que la normale dès 2020, ou alors le sont déjà", écrivent les chercheurs qui évoquent une hausse de 10 à 20 %.

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À l'autre bout du spectre, elles vont diminuer de 10 à 30 % d'ici 2040 dans les pays de la Méditerranée et dans les régions subtropicales, voire à l'ouest du Mexique dans certains scénarios. "La sécheresse estivale devrait devenir plus importante dans le sud de l'Europe, y compris en France", assurent les chercheurs.

Raréfaction sur le bassin méditerranéen

Les impacts envisagés sur l'agriculture varient justement selon de tels effets saisonniers. Sous forme de cartes, les auteurs ont représenté la rapidité avec laquelle ces changements de pluviométrie, favorables ou non, se produisent pour chaque production mondiale. Afin de visualiser autrement ces données, ils ont calculé la proportion des cultures affectées par ces modifications, pays par pays, au moment de la survenue de ces bouleversements.

PNAS / Rojas et al. 2019

PNAS / Rojas et al. 2019

© / PNAS / Rojas et al. 2019

La France, premier producteur de blé et de maïs d'Europe, est particulièrement concernée. Le blé s'avère être la plante la moins sensible à la baisse attendue des pluies dans le pays, avec toutefois de 6 à 26 % des champs français affectés selon la trajectoire du climat. Mais pour les trois autres plantes (maïs, soja et riz), le bilan est beaucoup plus négatif. Même dans le cas d'un respect des Accords de Paris, 80 % de ces cultures tricolores seraient touchées par le manque d'apport d'eau. Pire encore, c'est l'intégralité du riz planté en France, essentiellement en Camargue, qui est concerné.

PNAS / Rojas et al. 2019

PNAS / Rojas et al. 2019

© / PNAS / Rojas et al. 2019

En Afrique du Nord, le constat dressé atteint un niveau dramatique, en particulier en Algérie et au Maroc. Le blé y est déjà soumis à un stress hydrique dans 21 à 44 % des cultures agricoles. Ce taux dépasserait pourtant 90 % dès le premier scénario considéré.

"Réfléchir rapidement à ces productions"

Quant à l'augmentation des pluies - dans les régions nordiques mais aussi dans l'est de l'Afrique - elle ne se traduit pas forcément par une augmentation des rendements... Les auteurs rappellent, en effet, que ces régions seront également les plus exposées aux hausses de températures : les sols subissant le cumul de ces deux phénomènes devraient être davantage exposés au risque d'inondations. Les deux régions les plus peuplées au monde, la Chine et l'Inde, devraient en tout cas bénéficier de précipitations accrues sur leurs cultures.

PNAS / Rojas et al. 2019

PNAS / Rojas et al. 2019

© / PNAS / Rojas et al. 2019

"Les fermiers de toutes ces régions vont vivre des conditions de culture nettement différentes de ce dont ils ont l'habitude", résume pour PNAS Julian Ramirez-Villegas, l'un des chercheurs. Le groupe espère que ces calculs de changements de précipitations "permettent d'identifier les régions où les adaptations des pratiques et des stratégies politiques devraient avoir lieu, et à quelle vitesse", soulignant au passage que cet impératif existe même dans le scénario le plus favorable.

"Certains pays vont devoir réfléchir assez rapidement à leurs productions agricoles", explique l'auteure principale de l'étude, Maisa Rojas. Un homme averti des conséquences du réchauffement en vaut deux.

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