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« Si seulement nous étions morts ensemble » : le siège d’Idleb dévaste les familles

Alors que l’attention se concentre sur les derniers combats contre l’État islamique, le conflit syrien continue de faire de nombreuses victimes parmi les civils, y compris des enfants
Les secours viennent en aide à une blessée, après une frappe sur la ville de Khan Cheikhoun, le 15 février 2019 (AFP)

Suite au largage, par deux fois, de bombes à sous-munitions sur des écoles de la campagne d’Idleb, les enseignants avaient décidé de fermer les établissements scolaires de la région plutôt que de risquer la vie de leurs élèves.

Mais en raison de l’intensité des bombardements menés par les forces gouvernementales et de la violation des accords faisant de la province d’Idleb une zone tampon, plusieurs enfants figurent parmi les plus de 70 personnes tuées fin février, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.

Dans la ville de Maarat al-Nouman, cinq enfants ont ainsi été tués par des bombardements.

« Je travaillais quand les attaques se sont produites. Mes fils jouaient avec leur cousin Ibrahim. Tous les quatre sont morts », raconte Khador Zynab, 39 ans.

« Je me suis précipité sur les lieux et je les ai tous trouvés couchés au sol, ne respirant plus, silencieux et couverts de poussière. J’ai perdu toute ma famille. Il ne me reste plus rien »

- Khador Zynab

En quête d’un revenu stable depuis le décès de son épouse d’un cancer il y a deux ans, il vendait des fruits à l’extérieur de son domicile quand il a entendu une explosion à proximité.

« Je me suis précipité sur les lieux et je les ai tous trouvés couchés au sol, ne respirant plus, silencieux et couverts de poussière », poursuit-il. « J’ai perdu toute ma famille. Il ne me reste plus rien – personne qui compte dans ma vie. »

Début février, la Russie, la Syrie et la Turquie ont publié le dernier d’une série de communiqués faisant suite à des pourparlers visant à « stabiliser » Idleb en la transformant en zone démilitarisée et en éliminant des forces telles que Hayat Tahrir al-Cham (HTC), une coalition anciennement alignée avec al-Qaïda.

 Cependant, la Turquie, qui tente de retarder une offensive gouvernementale à grande échelle, a récemment mis en place des postes d’observation renforcés autour d’Idleb en raison de l’intensification des attaques contre Maarat al-Nouman et Khan Cheikhoun par le gouvernement et ses alliés russes.

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Mazen Enedane avait envoyé sa famille loin de Khan Cheikhoun, dans la maison de leur grand-mère, pensant qu’ils y seraient plus en sécurité, mais c’est là qu’ils ont été tués par une frappe de mortier.

« Je les ai envoyés à la mort, tout est de ma faute. Je n’aurais pas dû les éloigner », se désespère ce père. « Nous n’avions nulle part où aller, nous avions [déjà] survécu aux attaques chimiques et à d’autres frappes aériennes… Si seulement j’avais été avec eux, si seulement nous étions morts ensemble. »

Selon Salem Sukare, directeur d’école, l’accord de démilitarisation signé à Sochi entre la Syrie, la Russie et la Turquie en septembre dernier n’a offert aucun répit à Khan Cheikhoun. Les bombardements ont touché des écoles dans plusieurs quartiers de la ville et leur intensité s’est accrue au cours des dernières semaines, rapporte-t-il.

« Nous avons été obligés de renvoyer tout le monde chez eux. Accueillir les élèves à l’école ne ferait qu’augmenter le nombre de victimes. Mais malgré la fermeture des écoles, les enfants sont de plus en plus nombreux à mourir chaque jour. »

Des écoles surpeuplées

Les écoles situées dans les camps pour personnes déplacées de Maarat al-Nouman peinent à décider si elles doivent poursuivre leurs activités ou non, en plus de devoir faire face au grand nombre de nouveaux élèves qu’elles doivent accueillir.

Khaled Armnaz, professeur de mathématiques dans le camp d’al-Wafa, indique que les chiffres ont doublé ces dernières semaines.

« Beaucoup sont logés dans des tentes communes et le manque de places ici rend difficile l’accueil des familles. Les enfants viennent en classe pour essayer de passer le temps. »

« À leur arrivée, nous essayons d’aider les enfants à surmonter leur déplacement… la plupart d’entre eux ont tendance à être isolés et ont du mal à apprendre ou à se fondre dans le nouveau groupe. C’est une mission très difficile. »

Des enfants suivent les cours à Kufayr dans la province d’Idleb, le 4 février (AFP)
Des enfants suivent les cours à Kufayr dans la province d’Idleb, le 4 février (AFP)

Après des mois de bombardements soutenus dans sa ville natale d’al-Teh, Lubna Salman, 12 ans, était heureuse d’arriver dans une nouvelle école, mais elle a eu du mal à se faire des amis dans son nouvel environnement.

Pire, les bombardements l’ont suivie jusqu’ici, et sa nouvelle école n’est pas à l’abri.

« Nous attendons que les bombardements cessent. Nous pouvons entendre les attaques d’ici aussi. »

Nulle part où aller

De nombreux parents se sentent responsables de ne pas avoir déménagé dans un endroit plus sûr – bien que les options s’offrant à eux soient limitées.

« Je les ai envoyés à la mort, tout est de ma faute. Je n’aurais pas dû les éloigner »

- Mazen Enedane

Un article récent des Nations unies indique que depuis le mois de décembre, les attaques du gouvernement et des groupes armés ont laissé près d’un million de personnes, y compris des personnes déplacées, « dans une situation de vulnérabilité extrême ».

Plus de 90 villes du nord de la Syrie ont été prises dans les combats alors qu’elles se trouvaient dans la zone démilitarisée, selon Mohammad Halaj, qui dirige le groupe syrien Humanitarian Emergency Response.

Il ajoute que plus de 8 300 familles ont quitté leur domicile depuis février et que beaucoup d’entre elles sont sans abri.

« Certaines personnes partent quelques jours, puis rentrent chez elles car elles ne trouvent aucun refuge. Des dizaines de familles vivent dans des fermes sur des terres non aménagées sans même de tentes pour les protéger. »

Khador Zynab, qui a perdu ses fils et son neveu, regrette de ne pas avoir pu quitter la Syrie ou du moins rejoindre les familles qui se sont réfugiées à la frontière. « J’aurais voulu avoir la possibilité de partir et de vivre loin d’ici », dit-il.

« Je n’ai pas eu les moyens de quitter ma petite maison, mais j’aurais préféré pouvoir partir, quitte à être sans abri près de la frontière. Aujourd’hui, je suis seul ; je n’ai plus rien pour quoi me battre, plus de rêves sur lesquels construire une vie. Tout a disparu, on ne peut revenir en arrière. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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