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Mines et métaux

Algérie : un enjeu caché, le gaz de schiste

Alors que le peuple algérien secoue le joug de son gouvernement, des manœuvres discrètes se poursuivent autour de la ressource essentielle des hydrocarbures. Les gouvernants veulent lancer l’exploitation du gaz de schiste, que la population avait rejetée en 2015 en raison de ses lourdes conséquences écologiques.

  • Alger (Algérie), correspondance

L’impressionnant mouvement populaire lancé en Algérie depuis trois semaines a conduit, lundi 11 mars, le président Bouteflika à annoncer qu’il ne se représenterait pas et que l’élection présidentielle était repoussée d’un an. Dans un pays où l’économie est extrêmement dépendante des hydrocarbures, une partie se joue par ailleurs discrètement autour du gaz de schiste. Son exploitation, très polluante et consommatrice d’eau, avait été repoussée par une révolte populaire en 2015. Mais le gouvernement espère quand même la relancer.

Des informations données par l’agence officielle de presse (APS) confirment que le gouvernement algérien poursuit sa mise en œuvre de l’option gaz de schiste, dans une fuite en avant qui ne peut s’expliquer que par la pression du contexte politique.

À Houston, où s’est tenu un Forum algéro-américain sur l’énergie, la compagnie algérienne Sonatrach a proposé des projets dans le cadre d’une coentreprise en Algérie, à ExxonMobil. Le géant pétrolier étasunien veut étendre son champ d’activité en 2019 en élargissant ses services de raffinage et d’exploration de gisements pétroliers et gaziers dans les grandes étendues du sud algérien. À la même occasion, un haut responsable du groupe Sonatrach, Toufik Hakkar, vice-président Business Development & Marketing, a fait savoir qu’après ExxonMobil, Chevron, la deuxième compagnie pétrolière étasunienne, s’intéresse à l’exploration et la production des ressources conventionnelles et non conventionnelles. Des dirigeants de Sonatrach (dont le PDG, Abdelmoumen Ould Kaddour) et de Chevron en ont discuté vendredi 8 mars, à Houston, et se retrouveront à Alger en avril pour aborder les détails des projets.

Le Salon international sur l’industrie pétrolière et gazière en Afrique du Nord (Napec 2019, Oran, 10 au13 mars) a servi à la promotion médiatique du gaz de schiste lancée par le président du comité de direction de l’Agence nationale de valorisation des ressources en hydrocarbures (Al-Naft). Celui-ci, Farid Ayadi, a indiqué que les résultats préliminaires de la première étude d’estimation du potentiel national d’hydrocarbures, en cours, montrent qu’« en matière de gaz non conventionnel, nous avons un volume de presque neuf fois celui de Hassi R’mel et pour le pétrole de roche-mère, nous disposons d’un deuxième Hassi Messaoud ». Hassi R’mel est un grand gisement de gaz situé à 550 km au sud d’Alger,Hassi Messaoud un grand gisement de pétrole à 850 km au sud-est d’Alger. « Ces résultats, a-t-il précisé, repositionnent l’Algérie à la troisième place en matière de volume des ressources en gaz de schiste après les États-Unis et la Chine. »

Alertés par une série de faits, des écologistes algériens ont envoyé le 6 mars dernier une lettre ouverte à la ministre de l’Environnement et des énergies renouvelables pour dénoncer « les contrats avec le Français Total et l’Étasunien Exxon Mobil en cours de finalisation dans le domaine du gaz de schiste », évoquant également le contrat qui devait être signé (mais, semble-t-il, ne l’a pas été) le 8 mars à Dallas avec Exxon Mobil. Il y a quelques mois, en octobre 2018, le ministre algérien de l’Énergie, Mustapha Guitouni, avait estimé qu’il fallait aller vite vers l’exploitation du gaz de schiste. Il prenait la précaution d’ajouter « dans un cadre réglementé, en considérant les paramètres sanitaires et environnementaux ».

Une vive opposition populaire

À In Salah, en 2015, des milliers d’Algériens sont descendus dans les rues contre le gaz de schiste.

Le ministre a en mémoire l’échec de la mise en place près d’In Salah (wilaya de Tamanrasset) du premier forage d’exploration de gaz de schiste par Sonatrach, en 2015, du fait de la vive opposition de la population locale à l’exploitation de cette ressource non conventionnelle, comportant le risque environnemental avéré de pollution de la nappe phréatique. Mais, on dirait maintenant que le temps presse. Selon les indications données sur le site de Sonatrach, l’Algérie prévoit d’augmenter sa production de gaz à plus de 140 milliards de m3 d’ici 2023. Pour trouver de nouvelles ressources, la compagnie a affirmé compter développer les ressources non conventionnelles et, dans ce sens, a signé, le 29 octobre 2018, un accord avec les compagnies pétrolières BP (Royaume-Uni) et Equinor (Norvège), pour l’exploration et le développement des ressources non conventionnelles dans les bassins du sud-ouest algérien.

Est-ce un hasard si l’APS (agence de presse officielle) a diffusé, ce lundi 11 mars, une dépêche pour convaincre les Algériens que « grâce à leur industrie de schiste, les États-Unis vont devenir dès 2021 des exportateurs nets de pétrole, talonnant ainsi l’Arabie saoudite sur les marchés mondiaux », en citant le rapport annuel de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Comment va évoluer la question de l’exploitation du gaz de schiste en Algérie ? Tout dépendra de l’année de transition qui a été décidée par le pouvoir à la suite de la forte mobilisation populaire contre le « 5e mandat » pour le président Bouteflika. Ce mandat était censé offrir sur une période de cinq ans, la continuité de la politique énergétique dont un des éléments constitutifs est l’option gaz de schiste avec les projets offerts aux Étasuniens. En Algérie, l’opinion publique a démontré qu’elle était majoritairement hostile à l’exploitation du gaz de schiste, qui implique une consommation d’eau énorme. Parmi les experts, rares sont ceux qui ne se déclarent pas défavorables à cette option. Les manifestations de rues qui se déroulent actuellement montrent également que le mode de prise de décision unilatérale sans consultation de la population est perçu, pour le moins, comme un anachronisme rejeté par tous.

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