"Grève" des IVG : l'injustifiable menace du Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France

IVG
Pour faire entendre ses revendications, le Syngof menace dans un mail interne de prendre en otage le corps des femmes, en appelant à une "grève" des IVG. L'Ordre des médecins et Agnès Buzyn, alertés par les réseaux sociaux, condamnent ces propos.

"Préparez-vous donc à ce que le syndicat vous donne l'ordre d'arrêter les IVG si la ministre de la Santé refuse de nous recevoir." Ces mots sont écrits en gras dans une lettre du Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France (Syngof), adressée à ses 1600 adhérents et envoyée par mail ce mardi 12 mars. Publié sur Twitter, le message rapidement relayé - notamment par des associations de défense des droits des patients et des femmes - indigne.

Dans ce courrier, on apprend que le premier syndicat de gynécologues de France exige d'être reçu par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, pour négocier du plafonnement des garanties d'une assurance professionnelle. Le fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic, ou de soins dispensés par des professionnels de santé (FAPDS) serait associé à un plafond trop fragile selon l'auteur du mail, et ne protégerait pas les professionnels en cas d'erreur dans leur pratique.

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"On n'avait pas d'autres choix que de provoquer la crise"

L'auteur de cette missive, justement, est Jean Marty, ancien président du Syngof et encore membre du Conseil d'Administration du syndicat. Pour éviter toute confusion, ce dernier précise qu'il n'a pas agi sur l'ordre - mais avec l'accord et le soutien - de Bertrand de Rochambeau, l'actuel Président du syndicat qui, en septembre dernier, avait assuré au micro de l'émission Quotidien qu'une intervention volontaire de grossesse est un homicide. 

Contacté par Marie Claire, le gynécologue porte-plume explique ainsi son idée : "Quand on parle de l'IVG dans la société, là, tout de suite, tout le monde nous écoute. Si vous n'aviez pas vu "IVG" dans le mail, vous n'auriez pas appelé !" affirme-t-il. Comprend-t-il que ce chantage à l'IVG choque ? "C'est fait pour, répond-t-il immédiatement. On brandit quelque chose qui effraie tout le monde pour, enfin, être entendus." Et de marteler : "Quand une situation est insupportable, quelle solution avez-vous ? Soit on continue de marcher la tête baissée, soit on fait du chantage. Les grèves, on en a marre."

Il poursuit, cherchant à justifier ses propos : "Les personnes ne peuvent pas vouloir une IVG sans se soucier de la situation de ceux qui la pratiquent. On n'avait pas d'autres choix que de provoquer la crise." Jusqu'alors très serein quand il répond, Jean Marty devient cependant plus hésitant quand on lui demande sérieusement s'il y a, derrière cette communication, un réel projet de passer à l'action, soit de cesser la pratique des IVG. "Si la loi décide de nous protéger, on arrête [avec cette idée de grève, NDR ]. On veut voir les réactions. Si le gouvernement ne cède pas, là, on avisera." 

Condamnation ferme des pairs

S'il plaide le "buzz" intentionel, Marie-Hélène Lahaye, juriste, bloggeuse féministe et auteure du livre Accouchement : les femmes méritent mieux (Michalon), elle, n'y croit pas. Très active sur Twitter où elle relaie depuis ce mercredi matin les propos du mail du Syngof, elle dénonce un délit d'entrave à l'IVG : "Ce n'est pas un bad-buzz. C'est révélateur d'une position hallucinante mais récurrente anti-IVG de ce syndicat." 

"Pour des fautes professionnelles de collègues, ils s'en prennent à l'IVG ?", s'indigne-t-elle. Et donne un autre exemple, pour montrer à quel point elle trouve l'idée scandaleuse. "C'est comme si le Syngof avait dit à ses adhérents : Pour attirer l'attention sur nos problèmes  - qui concernent 15 médecins condamnés par la justice pour négligence et faute -, préparez-vous à pratiquer l'excision. C'est du même niveau." Marie-Hélène Lahaye, comme d'autres internautes, a appelé l'Ordre des Médecins à poursuivre ces professionnels en radiation.

Ce dernier vient de réagir via communiqué et condamne sans réserve la planification d'un arrêt, groupé, de l'IVG : "Le Conseil national de l’Ordre des médecins condamne fermement, au nom de la déontologie, l’expression d’une telle menace mettant en cause les droits des femmes et portant atteinte à l’indépendance des professionnels, qu’aucun conflit avec les autorités ne saurait justifier. Quelle que soit les revendications des médecins adhérents au Syngof quant à leur couverture assurantielle, ils ne sauraient à ce seul motif mettre en difficulté des femmes, en se retirant de soins auxquels la loi leur donne accès. (...) Cela serait un acte inexplicable et injustifiable, aux conséquences potentiellement dramatiques."

Au Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF), on ne s'associe en rien à la menace de grève des IVG proférée par le Syngof. Contacté par Marie Claire, le Professeur Philippe Descamps, gynécologue-obstétricien, chef du pôle Femme-Mère-Enfant au CHU d'Angers et membre du CNGOF, confirme : "Nous sommes bien sûr totalement opposés à cette proposition du Syngof - auquel je n’appartiens pas - qui prendrait en otage les femmes."

L'organisme qualifie la menace du Syngof de "totalement inacceptable et inapproprié." Elle est, comme développé dans un communiqué partagé sur Facebook, "en contradiction avec toutes les règles déontologiques, mais aussi avec les principes mêmes des gynécologues-obstétriciens qui ont choisi, par vocation, d’aider les femmes dans toutes les circonstances qui requièrent nos compétences".

"Bien que le problème assurantiel de certains gynécologues obstétriciens soit considérable et jamais assumé à sa juste hauteur par les pouvoirs publics, reconnaît le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français, il est, pour le CNGOF, hors de question de faire subir aux femmes de France de quelque manière que ce soit, les conséquences de l’inaction gouvernementale sur ce sujet." 

Le gouvernement réagit

Deux membres du gouvernement ont justement réagi. Par communiqué, posté en fin d'après-midi ce mercredi 13 mars, la ministre des Solidarités et de la Santé a souligné le "caractère inadmissible" de ces menaces. "En aucun cas une telle prise en otage des femmes ne peut servir de levier de négociation ou de médiatisation de ce dossier que le ministère suit de très près", conclut-elle. Et la Secrétaire d'État à l'égalité femmes-hommes, ce mercredi à l'ONU pour la convention annuelle des droits des femmes, a ouvert l'évènement "She decides" par un discours. À la tribune, Marlène Schiappa a condamné à son tour les menaces exercées par le Syngof sur l'IVG.

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