Démantèlement du bidonville de San Ferdinando en Calabre dans le sud de l'Italie, le 6 mars 2019. Crédit : Ansa
Démantèlement du bidonville de San Ferdinando en Calabre dans le sud de l'Italie, le 6 mars 2019. Crédit : Ansa

Les évacuations et démantèlements de campements se multiplient en Italie depuis quelques mois sans que les migrants aient de solution de relogement pour la plupart. La semaine dernière, 1 600 personnes ont été délogées d’un camp insalubre en Calabre. Plus de 900 d’entre elles se trouvent actuellement à quelques mètres de l’ancien bidonville dans un autre camp désormais surpeuplé.

Les observateurs locaux la surnomment déjà “la journée des bulldozers” : le 6 mars dernier, les autorités italiennes démantelaient le bidonville de San Ferdinando, en Calabre, dans l’extrême sud de l’Italie. Ce jour-là, près de 1 600 migrants sont délogés devant les caméras de télévision par quelque 600 policiers dépêchés sur place.

Régulièrement détruit par les autorités depuis des années, ce camp insalubre se reforme à chaque fois, accueillant des migrants dans une extrême précarité. Beaucoup d'entre eux ont un travail saisonnier, parfois au noir, dans les nombreuses exploitations agricoles de la région. Sans aucune autre solution d’hébergement et bien souvent sous-payés, c’est donc dans des baraquements de fortune que des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants ont élu domicile.

Lors du démantèlement, plusieurs se sont vus offrir une place d’hébergement, mais beaucoup sont restés sur le carreau, certains passant même la nuit aux côtés des bulldozers en attendant de trouver une solution.

Une semaine plus tard, le terrain est désormais totalement désert et les derniers baraquements ont été réduits à néant. “Nous avions 1 592 migrants [la veille du démantèlement]”, indique le préfet de Calabre, Michele Di Bari, dévoilant les chiffres de l’opération. “Environ 200 personnes ont été transférées vers des centres d’hébergement, 460 sont parties spontanément et 932 se trouvent dans le village de tentes à proximité”. 

Suleyman* fait partie de ce dernier groupe. “Ce démantèlement ne change rien, la plupart d’entre nous sommes partis à quelques mètres du bidonville”, confirme ce Soudanais, joint par InfoMigrants.

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“Un démantèlement purement médiatique et politique”

Présent lors du démantèlement, Salvatore, un photographe italien qui suit la vie du camp depuis des années, pense que les ennuis ne font que commencer : “Le village de tentes est maintenant saturé et cela créée des conflits, notamment avec les Nigérians qui contrôlait le bidonville. La police doit intervenir tous les jours”, confie-t-il à InfoMigrants.

“Ce démantèlement était une opération purement médiatique et politique”, résume un article de Chroniques du racisme ordinaire, un site militant d’information et d’étude du racisme en Italie. “Avec tout le respect que nous devons à l'exultation euphorique du ministre de l'Intérieur qui s’est vanté immédiatement après le démantèlement de réussir à "passer de la parole aux actes, on ne peut pas se réjouir de voir que le bidonville a simplement été déplacé quelques mètres plus bas", écrivent les auteurs. 

Ils regrettent que rien ne soit fait pour enrayer “l'exploitation des travailleurs agricoles” dans la région ni pour les intégrer “dignement” à la société civile.

Du même avis, Suleyman se sent aujourd’hui complètement “abandonné” : “Non seulement j’ai perdu mon toit, mais aussi mon travail dans une ferme qui était à proximité du bidonville”, déplore-t-il. “Et encore, je ne suis pas le plus à plaindre. Certains habitants du bidonville étaient mineurs, des jeunes essayaient de poursuivre leurs études. Je pense que ce sont eux les plus dévastés parmi nous tous. Ils n’ont plus d’endroit pour se reposer ni pour étudier.”

Suleyman raconte que la vie est de plus en plus difficile pour les migrants en Italie. “Les nouvelles lois qu’a fait passer [le ministre de l’Intérieur] Matteo Salvini ont libéré la parole raciste envers nous. Ce qu’il se passe en Calabre se produit partout dans le pays [...] Regardez la gare centrale à Rome, toutes les nuits, de plus en plus de migrants y affluent pour y dormir, faute de logement”, affirme-t-il.

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Ces derniers mois, les évacuations, les coups de filets et les démantèlements se sont effectivement multipliés, notamment à Cona et Bagnoli en Vénétie, à Castelnuovo di Porto dans le Latium, à Borgo Mezzanone dans les Pouilles, ou encore dans l’un des plus grands camps de migrants d’Europe à Mineo en Sicile. 

La loi Sécurité et immigration, portée par Matteo Salvini et récemment votée en Italie, a durci la politique migratoire du pays. Le texte réorganise notamment le système d’accueil des demandeurs d’asile en prévoyant la fermeture des grands centres et camps dont Matteo Salvini estime qu’ils coûtent cher et ne font qu’accroître la criminalité.

D’autres démantèlements et fermetures de centres sont prévus dans les prochaines semaines.

*prénom modifié

 

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