Le fabricant américain d'armes Remington pourra être jugé pour déterminer si ses publicités sur le fusil d'assaut AR-15 ont une responsabilité dans les tueries faisant un grand nombre de victimes, a statué jeudi la Cour suprême du Connecticut dans une décision inédite.

Le jugement s'est joué à une seule voix, trois des sept magistrats ayant exprimé leur désaccord.

La plus haute juridiction de ce petit État du nord-est des États-Unis avait été saisie par des familles de victimes de la fusillade de Sandy Hook.

Elles avaient été déboutées en première instance de leur demande en dommages et intérêts visant Remington et sa filiale Bushmaster qui produit le fameux fusil semi-automatique AR-15 (rebaptisé XM-15 dans la version vendue actuellement).

L'arme a été utilisée, le 14 décembre 2012, par Adam Lanza pour tuer 26 personnes, dont 20 enfants, dans l'école de Sandy Hook, à Newton (Connecticut).

Elle a également servi dans les fusillades de Las Vegas en 2017 (58 morts) ou de Parkland en Floride (17 morts) en 2018.

L'issue du combat des familles était très incertaine, car une loi protège, depuis 2005, les fabricants d'armes de la plupart des actions en justice visant à engager leur responsabilité dans un acte violent commis avec l'une de leurs armes.

Mais il existe des exceptions à cette loi, notamment pour négligence du vendeur, sur lesquelles entendaient jouer les familles.

À l'audience, en novembre 2017, l'avocat des familles Joshua Koskoff s'était notamment appuyé sur le marketing de Bushmaster qui, selon lui, avait présenté l'AR-15 dans sa publicité comme une arme d'assaut.

« Cette arme n'a pas été promue pour le sport ou l'autodéfense », avait affirmé le conseil.

« Forces d'opposition, soumettez-vous », disait notamment l'un des slogans de Bushmaster, qui qualifiait également ses fusils « civils » comme « les armes de combat ultimes ».  

Dans une décision rendue jeudi, les juges de la Cour suprême du Connecticut ont considéré que l'argument concernant le marketing pouvait être retenu et le dossier examiné par un jury.

Pour les hauts magistrats, la loi de 2005 « ne visait pas à protéger les fabricants d'armes qui utilisent des méthodes marketing contraires à l'éthique et irresponsables, en promouvant un comportement criminel », selon le jugement.

« Il y a une raison pour laquelle ce produit est utilisé par les gens qui veulent infliger le plus de dégâts », a commenté David Wheeler, le père de Ben Wheeler, une des victimes de la tuerie de Sandy Hook, « et nous en avons une succession d'exemples. »

Lors de l'exercice 2015, le dernier pour lequel la société a publié des comptes, Remington a réalisé un chiffre d'affaires de 808 millions de dollars et une perte de 135 millions.

En difficulté, le groupe avait déposé le bilan en mars 2018, avant de sortir de sa procédure de sauvegarde deux mois plus tard après avoir notamment restructuré sa dette.

« Personne n'est au-dessus des lois, même un fabricant d'armes puissant, qui possède des relais politiques », a déclaré Joshua Koskoff après la publication du jugement.

« Le jugement va contraindre ces sociétés à révéler leurs échanges internes, qu'ils ont jusqu'ici cherché à cacher au public », a commenté l'association Connecticut Against Gun Violence (Connecticut contre la violence armée), dans une déclaration transmise à plusieurs médias américains.

« C'est la publication de documents internes aux cigarettiers qui avait mené à des accords d'indemnisation de plusieurs milliards de dollars », a rappelé l'organisation.