Printemps climatique : « La fatigue s’accumule mais je resterai mobilisée jusqu’à la fin »

Reportage à Bruxelles, dans les locaux de Greepeace, où les jeunes mobilisés pour le climat ont préparé la grande manifestation du 15 mars.
Printemps climatique : « La fatigue s’accumule mais je resterai mobilisée jusqu'à la fin »

Depuis un peu plus de deux mois, en Belgique, une jeunesse déterminée s’emploie à entretenir la flamme d’une mobilisation historique en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Un boulot joyeux et excitant, qui demande toutefois endurance et sacrifices. Usbek & Rica a suivi ces ferventes petites mains, à deux jours de la grève mondiale pour le climat de ce vendredi 15 mars.

14h, dans la cuisine de Greenpeace, à Bruxelles. Luna, 17 ans, arrivée la première, termine à la hâte son Tupperware de taboulé (« Je sors de cours »), tandis que Martin, 15 ans, cherche une prise pour son laptop (« On peut débrancher le grille-pain ? »). Les minutes passent, les sacs Eastpak s’accumulent au sol, les carnets et claviers sur la toile-ciré, jusqu’à ce que l’équipe soit au complet : la réunion des jeunes Bruxellois pour le climat peut commencer.

Bruxelles, the place to be

Ce mercredi 13 mars, ils sont là, tous les neuf, pour les derniers réglages en prévision de la journée internationale de grève pour le climat du 15 mars. L’assemblée est composée de représentant(e)s de plusieurs collectifs fraîchement créés, preuve de l’effervescence militante qui agite depuis quelques mois la jeunesse belge : il y a Luna et Arno, de Youth for climate ; mais aussi Amin, de Schools for climate action ; ou encore trois membres de Students for climate, un peu plus âgés. La bande est complétée de quelques « activistes indépendants  », précise Martin, qui en fait partie.

Des jeunes attablés dans les locaux de Greepeace à Bruxelles
© BL

Ils ont deux heures – la cuisine de Greenpeace est très demandée – pour peaufiner le programme de ce qui s’annonce comme leur plus grande opération depuis le début des réjouissances. L’enjeu est d’importance : Bruxelles occupe depuis janvier une place stratégique sur la carte de la mobilisation. Après Stockholm, d’où opère la désormais célèbre Greta Thunberg, la capitale belge est même devenue the place to be.

Depuis l’appel à la grève hebdomadaire posté, les premiers jours de l’année, par les deux flamandes Anuna De Wever et Kyra Gantois sur les réseaux sociaux, les pavés belges ne désemplissent pas. Elles qui croyaient n’être qu’une poignée lors de la première édition, le 10 janvier, se sont trompées : ils et elles furent 3 000. Le jeudi suivant, 12 500. Et le suivant, 35 000… Les manifestations ont ensuite essaimé dans tout le royaume, d’Anvers à Liège, et de Gand à Namur, sans jamais s’essouffler.

Pénurie d’arbres

Autant dire que la journée du 15 mars, apogée du mouvement, a intérêt à être réussie. Les jeunes activistes veulent sensibiliser leurs camarades, les rallier à leur cause. Pour cela, ils ont fomenté une copieuse matinée : une projection du film documentaire Demain dans plusieurs salles de la capitale ; et des « stand-ups », ateliers de prise de parole et de débat sur le thème des solutions concrètes pour agir. Un avant-goût pédagogique ponctué par la mise en terre toute symbolique de jeunes arbres aux quatre coins de la ville. L’après-midi, enfin, sera dédiée à la grande manif.

Un DVD du documentaire Demain posé sur un ordinateur portable
© BL

En anglais, français et en néerlandais – coquetterie linguistique très bruxelloise -, il faut donc fignoler l’organisation, répartir les tâches et lever les derniers obstacles. Il y a, d’abord, la question centrale de la communication. Une pub Facebook ? « Il paraît que ça marche bien, et on peut sélectionner la cible ». Il faudra cependant faire avec un micro-budget : « 20 euros max  », dit Louise. « Ok ». Luna s’en chargera. Pour maximiser l’impact, on cherche des relais. « On demanderait pas à Roméo Elvis de relayer l’event ?  », lance quelqu’un. « Il a déjà partagé certains de nos posts », confirme Amin, qui se porte volontaire pour contacter le rappeur belge.

Et, parce qu’il n’y a pas que les réseaux sociaux dans la vie, la jeunesse sait aussi recourir aux vieilles recettes. Louise : « Il faut qu’on mette le paquet sur Etterbeek (commune de Bruxelles), car la mairie a déplacé un mariage pour nous libérer la salle ». Martin : « Je peux passer demain dans les écoles pour faire venir du monde. J’ai cours mais y’a moyen ».

Il y a, aussi, des défis plus prosaïques. Des défis d’ordre technique, d’abord, comme trouver le moyen projeter un film dans sept salles différentes lorsque l’on a que deux DVD à disposition : « On doit bien le trouver sur HDS, non ? C’est la base du streaming », lance Martin. Des défis botaniques également car planter des arbres requiert… des arbres. Problème, BOS+, l’ONG habituellement pourvoyeuse de feuillus, est à sec. « En fait, rigole Louise, lors d’une manif climat en décembre, ils avaient promis de planter 1m2 de forêt par participant. Sauf qu’ils ne s’attendaient pas à ce qu’il y ait 75 000 personnes… ». Et donc 7,5 hectares à reboiser. Cette fois-ci, à coup de mails, il faut demander aux communes de fournir les précieux végétaux.

« La semaine dernière, c’était les vacances, et pourtant je ne me suis jamais levé après 7 heures »

Pour les lycéens, l’accumulation des tâches signifie un quasi mi-temps dédié à la cause. « La semaine dernière, c’était les vacances, et pourtant je ne me suis jamais levé après 7 heures, confie Martin, 15 ans, scolarisé à Auderghem (l’une des 19 communes bruxelloises). Je veux m’impliquer durablement mais il faudra être endurant…  ». « Depuis début mars, j’y consacre 4 à 5 heures par jour, confirme Louise, 17 ans. La fatigue s’accumule mais je resterai mobilisée jusqu’à la fin ». Parce qu’elle y trouve aussi son compte : « C’est super intéressant à vivre. Les rencontres sont multiples, que ce soit avec des politiciens, des organisations ou d’autres jeunes  ».

Deux jeunes attablés dans les locaux de Greenpeace à Bruxelles
© BL

L’activisme implique des sacrifices. « Je n’ai plus vraiment de temps libre et ma copine se plaint un peu, j’ai moins de temps pour elle », dit Luna. L’école, aussi, en pâtit. « Hier, j’ai raté mon exam’. Je ne l’avais pas bossé car je devais finir un truc pour le 15 mars ». Pour autant, pas question de baisser les bras : « Je crois que ça en vaut la peine ». Rien de tel, d’ailleurs, qu’une manif réussie pour se le rappeler. Alors on se remet au boulot. Ou comment une poignée de jeunes gens de 15 à 17 ans préparent un événement qui réunira plusieurs dizaines de milliers de personnes.

« Certains, pour les discréditer, disent qu’ils sont manipulés par les adultes »

À l’étage, Karen Naessens, coordinatrice « mobilisation et bénévoles » chez Greenpeace, apprécie. «  Ils m’impressionnent. C’est assez fort d’être capable, à 15–16 ans, de savoir filmer, monter et diffuser une vidéo de qualité sur les réseaux ; ou de piloter des réunions productives comme ils le font ». L’ONG prend cependant garde de les laisser tranquilles. « Certains, pour les discréditer, disent qu’ils sont manipulés par les adultes. Nous avons donc décidé de rester à distance, pour ne pas risquer de les affaiblir. Notre rôle est simple : leur prêter des locaux, et les faire profiter de notre réseau, point. De toute façon, ils sont très autonomes, ils s’en sortent très bien tous seuls ».

Pragmatisme

Dans la cuisine, la question de l’ordre des cortèges est vite évacuée : citoyens d’abord, puis syndicats (« Ils ont quand même vachement mobilisé  »), ONG, et enfin partis politiques. La sécurité sera, elle, la tâche de Luna, en contact avec la police depuis plusieurs manifestations, et responsable des jeunes stewards bénévoles qui encadrent les défilés. Reste à trouver comment libérer le maximum d’élèves de la contrainte écolière. « Nous, on a réussi à négocier avec le directeur, explique Amin. Si on va en cours le matin, il nous libère l’après-midi pour la grève et la manif ». Réponse de sa voisine : « Mais alors, s’il n’y a plus école, ce n’est plus une grève…  » « Pas faux…  », répond l’intéressé. « En même temps, tout le monde est content ; les profs sont payés et nous on manifeste sans se prendre une demi-journée d’absence  ». L’heure est au pragmatisme.

Des jeunes attablés dans les locaux de Greenpeace à Bruxelles
© BL

Dernier défi, celui des discours, qui clôtureront la manif. « Anuna et Kyra vont parler, en anglais ou néerlandais, il nous faudrait donc un ou une francophone pour compléter. Qui est volontaire ? » Blanc. « Parler devant des milliers de personnes, moi je ne peux pas… », gémit quelqu’un. Louise se dévoue.

16h15, fin de la réunion. Les visages rougis par le labeur, la fine équipe s’égaille. Il reste du pain sur la planche et, cette fois encore, les devoirs passeront au second plan. Le 15 mars promet d’être une belle journée.

 

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Image à la une : © BL

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