Sur les réseaux sociaux, la mobilisation a fédéré plus d’un millier de personnes. Ils sont au moins la moitié à répondre présent, ce mardi 12 mars à la bourse du travail de Paris. Les enfants placés de toute la France, en tout cas plusieurs centaines d’entre eux, étaient rassemblés ce soir-là autour du hashtag #LaRueà18ans. « Cette initiative va bien au-delà de nos espérances, se félicite Lyes Louffok, un de ses initiateurs. On devait faire cela dans un café de 50 places, on se retrouve dans une salle qui peut accueillir 500 personnes. »

Le combat des enfants placés est vieux de plusieurs mois, plusieurs années. Pour tenter de poser des mots sur leur douloureux passé au sein des services de protection de l’enfance. Dénoncer les violences d’un système géré par les départements, à bout de souffle… Un reportage diffusé en janvier sur France 3* avait fait office d’électrochoc. Il offrait à voir le sort des 350 000 enfants confiés chaque année à l’aide sociale à l’enfance (ASE), montrait aussi la difficulté à sortir du dispositif. Une étude du Conseil économique, social et environnemental publiée en juin dernier révèle que seulement un tiers des jeunes placés bénéficient d’un contrat « jeune majeur » après leur 18 ans. Pour le reste, c’est donc #LaRueà18ans, en tout cas la débrouille.

Depuis la diffusion du reportage, un secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance, Adrien Taquet, a été nommé. Une députée LREM, Brigitte Bourguignon, a porté une proposition de loi visant à rendre obligatoire le contrat jeune majeur, ce fameux sésame permettant d’accompagner les jeunes jusqu’à 21 ans, voire 25 ans pour maximiser leurs chances d’insertion. C’est de tout cela dont il s’agit de parler, ensemble, ce mardi soir. Mettre de l’humain et du vécu derrière les acronymes, à commencer par celui de l’ASE, jadis appelée la DDASS – pour Direction départementales des affaires sanitaires et sociales.

Ce serait mentir de dire que je vis. Je survis.

Il y a bien quelques personnalités présentes, journalistes, députés ou militants, qui parlent de leur engagement. Un peu de chahut, aussi, lorsque des parents d’enfants placés hurlent leurs revendications, celles selon lesquelles l’ASE leur a enlevé leur enfant de façon injuste. Mais, ce mardi soir, c’est la voix des enfants qui compte. Lyes Louffok réagit : « Laissez-nous parler. Rien n’a plus de prix que la dignité humaine, et le sort réservé aux jeunes de l’ASE est une violation de la dignité humaine. Notre mobilisation doit nous permettre d’être entendus. Il faut laisser les anciens enfants placés briser le silence. »

A tour de rôle, chacun se livre sur l’estrade. Parfois non sans mal. Sur le visage doux et expressif de Catherine se lit la douleur ; ses traits se crispent, sa voix se noue de trémolos. Catherine s’est retrouvée à la rue sèche à 18 ans, sans toit. « C’est une épreuve phénoménale pour moi de vous parler ce soir, dit-elle en préambule. J’ai honte depuis 35 ans. J’en ai 38 aujourd’hui. Ce serait mentir de dire que je vis. Je ne vis pas. Je survis. Je suis très marquée. Il existe une pyramide des besoins de l’être humain, la pyramide de Maslow. Tout en bas, il y a la survie. On monte un peu, il y a la sécurité. Un peu plus haut, l’appartenance. Encore plus haut, la reconnaissance, l’estime de soi. Et enfin tout en haut, la réalisation de soi. Ce n’est pas de la poésie ni de la musique. Je peux vous dire que lorsque l’on se retrouve à 18 ans sans toit, face à une sortie sèche de l’ASE, on n’a même pas passé le premier stade de cette pyramide. Aujourd’hui, je suis diagnostiquée hypersensible. Je n’aime pas les gens… »

Caroline OUSLEY NASEMAN / Le Bondy Blog

Adama, mineur non accompagné lorsqu’il est arrivé sur le sol français, n’a lui toujours pas pu faire ses papiers, faute de ne pas avoir pu prendre connaissance de ses droits à temps. « Je suis né au Mali, j’ai 20 ans, je suis arrivé à l’âge de 16 ans en France, raconte-t-il. On m’a emmené en garde à vue où je suis resté un moment. Après un test osseux que l’on m’a obligé à faire, la juge pour enfant accepte de s’occuper de moi. J’entame un CAP cuisine. Et puis à 18 ans, plus rien ! Je négocie un contrat jeune majeur jusqu’à mes 19 ans. Je dormais quand même au 115. Je n’ai plus eu de nouvelles de la préfecture pour mes papiers. Je ne peux pas trouver de patron. Je ne travaille plus depuis 7 mois. »

Une lutte politique pour rendre l’accompagnement obligatoire

Meryem a 27 ans, aujourd’hui, et elle travaille comme psychologue. Un parcours choisi et réussi qu’elle doit, plus qu’à l’accompagnement des pouvoirs publics, au lien affectif noué avec ceux qui l’ont accueillie. « J’ai été placée pendant dix ans dans la même famille d’accueil, dit-elle au micro. Des liens se créent. A 18 ans, j’estimais ne pas avoir besoin du contrat jeune majeur, une démarche qui partait d’un choix. Le choix de “choisir”. Choisir pour la première fois d’être aux commandes de mon destin. Je ne me sentais pas de tout le temps être obligée de rendre des comptes, de rester enfermée dans mon statut, dans mon histoire. Ma famille d’accueil m’a autorisée à lâcher prise. Le lien est une vraie garantie. J’ai choisi, ce choix a soulevé le fait de devenir responsable de ma vie, de me rassurer, et de comprendre les raisons de mon placement. Je suis résiliente. Je suis apaisée. »

Chacune et chacun des orateurs a choisi, dans un élan de solidarité, de rejoindre le mouvement « La rue à 18 ans ». Le collectif dénonce l’attitude des départements qui consiste à rompre de façon systématique tout lien avec les jeunes, dès lors que ceux-ci atteignent la majorité. Seule option pour eux : la rue sèche, sans attache, sans argent. Sans accompagnement social, éducatif, sanitaire et affectif. Sans personne sur qui compter. Sans rien. Au micro, Fouzy Mathey, vice-présidente de Repairs 94, l’association départementale d’entraide aux jeunes sortants de l’ASE, dont elle a fait partie, s’insurge. « En France, cinquième puissance économique mondiale, on met à la rue des jeunes de 18 ans ! En comparaison, un pays comme l’Argentine sait imposer l’obligation d’accompagnement de ses jeunes jusqu’à 21 ans, leur permettant de toucher 80% du SMIC par an ! Et ça se fait également en Australie, dans 27 états aux Etats-Unis… Pourquoi ne pas le faire chez nous ? »

Si la soirée était placée sous le signe de l’humain, le combat des anciens de l’ASE est également politique. Dans le viseur de Fouzy Mathey par exemple, le refus d’Adrien Taquet de suivre sa feuille de route proposant un modèle d’accompagnement « digne » au-delà de la majorité. Autrement dit, le fait de rendre obligatoire ou non la prise en charge du jeune par l’Etat après 18 ans. En réponse, le secrétaire d’Etat propose une contractualisation avec les départements et une rallonge financière de 12 millions d’euros par an jusqu’en 2022. Soit 1800 euros par an pour les 20 000 jeunes concernés. Pour les corps associatifs, c’est là une avancée bien trop maigre, qui ne permet pas de payer un loyer mensuel et de subvenir aux besoins. Les grandes lignes du futur pacte pour la protection de l’enfance d’Adrien Taquet prévu pour l’été prochain exclut enfin l’idée avancée par les anciens enfants placés de nationaliser la politique de la protection de l’enfance. Si la parole s’est libérée ce mardi soir, le bras de fer entre les anciens sortants de l’ASE et le gouvernement ne fait probablement que commencer.

Siham SABEUR

Crédit photo : Caroline OUSLEY NASEMAN

*« Enfants placés : les sacrifiés de la République »Pièces à Conviction, France 3, 16 janvier 2019

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