INTERNATIONAL - Le président américain Donald Trump a chaleureusement accueilli ce mardi 19 mars à la Maison Blanche son homologue brésilien Jair Bolsonaro, l'un de ses plus fervents admirateurs, louant la proximité sans précédent entre les deux pays. "Le Brésil et les Etats-Unis n'ont jamais été aussi proches", a lancé Donald Trump depuis le Bureau ovale. "Nous avons de nombreuses valeurs communes, j'admire le président Trump", a de son côté déclaré le nouvel homme fort du Brésil. D'ailleurs, le Brésilien a souvent été comparé à son homologue américain. Toutefois, il s'avère que sa politique est en réalité encore plus préoccupante.
Jair Bolsonaro et Donald Trump n'ont jamais caché leur désir de proximité depuis l'élection du président brésilien en janvier dernier. Le président américain a même personnellement téléphoné à son homologue pour le féliciter de sa victoire. Et pour cause: leur idéologie d'extrême droite populiste leur permet d'entretenir de nombreuses idées communes sur les minorités, le climat, l'égalité femmes/hommes, les médias, la religion ou encore l'ultralibéralisme. Jair Bolsonaro a même été surnommé le "Trump Tropical".
À tort. Car même si en France on entend davantage parler de celle de son homologue américain, il semblerait que la politique du président brésilien soit bien plus dangereuse que celle de Donald Trump. C'est ce qu'expliquent au HuffPost Corentin Sellin, spécialiste de la politique américaine et Anaïs Fléchet, historienne spécialiste du Brésil.
Trump et Bolsonaro, mêmes idées, même lutte
Pendant sa campagne, Jair Bolsonaro assurait qu'il allait prendre de nombreuses mesures dès son arrivée au pouvoir afin de renouveler le pays. Et il tenu ses promesses: dès les premières heures de son mandat, le nouveau président a signé de nombreux décrets et circulaires. En dix jours, il a restructuré ses ministères et confirmé sa ligne (il a notamment exclu des prérogatives de son nouveau ministère des Droits de l'homme les préoccupations liées aux personnes LGBT). Un comportement qui n'est pas sans rappeler celui de Trump. Dès la première semaine il avait lui aussi signé un certain nombre de décrets et ordonnances polémiques (les décrets anti-immigration et contre l'avortement notamment).
Et ce n'est pas le seul point où les deux dirigeants semblent se retrouver: tous deux partagent de nombreux partis pris tels que la promotion des armes à feu, le rejet du multilatéralisme, le scepticisme face au concept de réchauffement climatique, la volonté de déménager les ambassades en Israël à Jérusalem, le mépris du politiquement correct ainsi que la reconnaissance de l'opposant Juan Guaido comme président par intérim du Venezuela. "Toutes les options sont sur la table, a une nouvelle fois affirmé ce mardi, sans autres précisions. Ce qui se passe au Venezuela est honteux".
Le point commun de ces prises de position: la "lutte constante contre le marxisme culturel", nous explique l'historienne Anaïs Fléchet. Cette expression décrit une théorie répandue dans les milieux d'extrême-droite d'après laquelle les pensées politiques de gauche sont à la base d'un complot qui vise à détruire la culture occidentale.
Trump et Bolsonaro sont aussi des habitués des phrases choc et provocatrices. Leur réputation sulfureuse n'est plus à faire: le président Trump envoie quasi quotidiennement des salves de tweets incendiaires à l'égard des médias et/ou de ses opposants, et sa politique migratoire ainsi que ses décisions à propos de la communauté LGBT et du climat ne cessent d'alimenter les critiques à son égard. De son côté, le populiste Bolsonaro, 63 ans, a lancé à une députée brésilienne qu'elle "ne mérit[ait] même pas" qu'il la "viole" car elle était "très laide", de même qu'il serait "incapable d'aimer [son] enfant s'il était homosexuel". Des sorties qui permettent de se faire une idée sur l'état d'esprit du personnage.
Bolsonaro n'est pas un "Trump Tropical"
A force, le Brésilien a acquis le surnom de "Trump Tropical". Un nom trompeur selon Corentin Sellin. "Certes, Jair Bolsonaro et Donald Trump peuvent sembler similaires sur certains points, notamment, avec leurs idées, l'aspect 'sans filtre' et outrancier et leurs systématiques critiques contre les médias. Mais il me semble que leurs différences sont encore plus remarquables", nous explique-t-il.
D'une part, l'homme d'affaires américain, avant d'être élu, était complètement extérieur à la politique. Bolsonaro, lui, a été député fédéral pendant près de vingt ans (1991-2019). D'autre part, "cet ex-capitaine de l'armée ne cache pas être nostalgique de la dictature militaire qu'a subie le Brésil de 1964 à 1985. Il qualifiait même la junte de 'révolution démocratique'. Enfin, il a déclaré ouvertement ambitionner d'attenter à l'équilibre des institutions et fragiliser les libertés démocratiques", poursuit Corentin Sellin. Après tout, le 21 octobre dernier, avant son élection, il assurait vouloir "accélérer le grand nettoyage du pays des marginaux rouges, des hors-la-loi gauchistes" et annonçait "une purge comme jamais le Brésil n'en a connu".
Donald Trump peut être critiqué sur de nombreux points, "mais les libertés individuelles et ses opposants ne sont pas menacés", met en évidence le spécialiste.
Le Brésil "n'a pas une tradition forte de contre-pouvoir"
C'est ce qui rend Bolsonaro plus "dangereux" pour ses citoyens et le système démocratique de son pays. Certes, Donald Trump, à la tête de la plus grande puissance mondiale, est quotidiennement sur le devant de la scène avec ses sorties et ses scandales, pointé du doigt pour son traitement des minorités et son mépris des grandes causes environnementales (entres autres). Mais il a face à lui un contre pouvoir solide pour éviter les dérives et les prises de décisions périlleuses: le système de 'check and balance' inscrit dans la Constitution (l'échec du décret anti-immigration en est un bon exemple).
Ce barrage, Jair Bolsonaro n'y est pas confronté. "Au Brésil, les contre-pouvoirs sont fragiles. C'est une démocratie qui est encore relativement jeune. 34 ans seulement se sont écoulés depuis la fin de la dictature militaire", nous explique l'historienne Anaïs Fléchet. Une fragilité qui s'explique aussi par la fragmentation du Parlement, faute de partis forts pour structurer la vie politique. "Le parlement est constitué de nombreux petits partis qu'il est difficile d'unifier. Les alliances sont fragiles. Le plus grand d'entre eux est le parti des travailleurs, mais il a été ébranlé par la destitution de Dilma Rousseff et le seul candidat qui pouvait remporter l'élection présidentielle face à l'extrême droite a été mis en prison, Lula Da Silva", ajoute la spécialiste.
Face à ce fragile Congrès, Jair Bolsonaro, lui, s'est entouré de soutiens forts. Faute d'alliances politiques, il s'appuie sur le lobby des armes à feu, de l'Agrobusiness et des Évangéliques (la religion en plein essor au Brésil, face au déclin des Catholiques). "Il a les coudées franches pour faire passer les lois qu'il veut. Évidemment, il y aura quand même de la résistance de la part du Congrès, mais beaucoup moins que s'il s'agissait du Congrès Américain", renchérit Corentin Sellin.
"Une séparation justice/pouvoir/milice parfois floue"
En attendant, depuis deux mois, "les atteintes à la démocratie se multiplient au Brésil, notamment contre les Indiens, la communauté LGBTQ, les paysans sans terre. Ces groupes sont stigmatisés", déplore Anaïs Fléchet. "Il existe désormais un sentiment de peur car on ne sait pas ce qu'il va se passer. Bolsonaro multiplie les sorties choc, souvent très contradictoires qui dénotent une grande impréparation et font douter de sa capacité à gouverner. Il fait beaucoup de déclarations mais il est difficile de savoir dans quel sens va pencher son gouvernement", poursuit encore l'historienne avant de mettre en lumière une autre crainte des Brésiliens: voir les pouvoirs de Bolsonaro dépasser leurs limites légales.
"La séparation entre les pouvoirs exécutif et judiciaire est parfois floue. Par exemple, les raisons de l'emprisonnement de Lula sont juridiquement vagues. D'autres personnalités politiques issues d'autres partis sont ou ont été accusées des mêmes torts et pourtant elles sont toujours en liberté. Il y a eu un acharnement sur Lula, ils ont tapé très vite et très fort. Des questions se posent sur l'impartialité de la justice"... et le sort qui peut être réservé aux opposants de Bolsonaro. Et l'historienne de conclure: "Les liens entre le clan Bolsonaro et les milices soupçonnées de l'assassinat de la conseillère municipale de gauche, Marielle Franco, inquiètent également".
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